Le vol des canards
Depuis près de 6 h déjà, le Service du Contrôle Océanique est en contact radiotéléphonique avec un Britannia 300 qui effectue un vol spécial transcontinental sous l'indicatif d'une compagnie dont la présence est totalement inhabituelle dans la région.
Il est 15 h et le trafic aérien est inexistant à cette heure chaude, terriblement chaude de l'après-midi. La température extérieure doit approcher les 40° C. Il serait plus agréable d'être à la plage et de se baigner !
Aucun trafic dans la Zone Terminale d'Approche et les échanges radios entre le contrôleur et l'équipage sont réduits aux minima réglementaires pour le contrôle du vol.
En finale, le quadri-turbo-prop de près de 90 t s'apprête à atterrir pour une courte escale technique, le temps de prendre du carburant et décoller vers sa destination finale, après la traversée du continent comme l'indique son plan de vol.
Étranges horaires quand même pour effectuer ce trajet ! Peut-être s'agit-il en fait d'un vol d'essais climatiques ?
Arrivé sur l'aire de stationnement totalement inoccupée, le Britannia est quand même impressionnant ! C'est sûrement le premier avion de ce type à atterrir sur l'Aéroport international. Ce qui incite un contrôleur à tenter une visite à bord.
Au sol et autour de la machine, c'est l'agitation habituelle liée aux actions d'escale, avec pourtant un grand nombre de personnes à proximité immédiate de l'appareil. Sans doute les membres de l'équipage du premier et long tronçon qui vient d'être réalisé et auxquels peut-être se sont joints ceux en charge de la seconde partie du vol, compte tenu de sa durée totale.
Pour rejoindre le poste de stationnement du Britannia, le contrôleur doit parcourir, à pieds, la diagonale de l'aire de stationnement où règne une atmosphère comparable à celle d'un sauna du fait de la réverbération du soleil sur le béton.
Et, à mesure qu'il s'avance vers l'appareil, il constate une modification des comportements des personnes proches de l'avion. D'ailleurs une d'entre-elles vient vers lui, alors que les autres prennent position à partir du cockpit, d'autres encore à partir de l'empennage vertical pour former, ensemble, une figure semblable au "V" que l'on peut observer lors d'un vol de canards... La première gestion optimisée d'une zone de sûreté d'aéronef venait de naître.
Après les présentations auprès de l'homme de pointe, ce dernier émet un refus poli mais net :
- « Il n'y a rien à voir, ni à visiter... ni aller plus avant. »
Presque du jamais vu à cette époque où, même lors des visites de Chefs d'État, seuls les rapprochements physiques étaient interdits par les services de protections....
À 30 m de l'avion la règle est cependant strictement émise et appliquée, obligeant le contrôleur à regagner, déçu, sa tour de contrôle. En se retournant, il observe que la figure géométrique du vol des canards s'est désagrégée et que l'activité d'escale a repris.
Quarante minutes plus tard, le Britannia décolle. Et 100 nautiques plus tard, le contrôleur signifie à l'équipage de contacter les fréquences d'informations en route. Et, comme il est d'usage, l'on se quitte sur un au-revoir que le contrôleur, pas rancunier, exprime dans le seul mot connu par lui dans la langue d'immatriculation de l'appareil.
En réponse, le pilote lui transmet, dans sa langue, un long, très long message... bien évidemment incompréhensible par le contrôleur. Et tout fut dit.
Quelques semaines plus tard, la planète apprenait par les médias que les services secrets d'un État avaient « exfiltré » un personnage recherché et l'avait transporté, par avion, du continent sud-américain dans leur pays moyen-oriental. Ce passager s'appelait EISCHMANN.
Quant au long message du pilote au contrôleur, il restera toujours un mystère....
Gérard CLAUDE
Extrait de "Des histoires de l’air" de Jean Belotti (Éditions Vario - 2011)
Date de dernière mise à jour : 09/04/2020
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