Le show du siècle
N’Djamena - Tchad -1986
Dans la série des missions à émotions, je ne peux passer sous silence celle que j’ai appelée dans mon carnet de vol ‘Le show du siècle’ (certainement sans mesure avec certains vols de la Deuxième Guerre mondiale, mais pour moi, ce fut sans doute le ‘best of the summum’).
Ça chauffe un peu dans le nord du pays. Des ‘rebelles’, armés par la Libye ou le Soudan, tentent de s’approprier un bout de désert, au nord du 16ème parallèle. A l’appel du président tchadien et selon les accords passés entre nos pays, le gouvernement français dépêche une véritable armada aérienne sur place.
Je me retrouve dans cette ‘manip’ un peu par hasard, parce que j’ai simplement remplacé un pilote indisponible pour effectuer un convoyage de 4 avions (aller-retour) vers l’Afrique. Devant l’urgence de la situation, je suis ‘enrôlé de force’ dans cette opération, sans qu’on me demande vraiment si j’étais partant… Le monde des « Jagmen » étant finalement assez petit, je me retrouve évidemment sur place avec quelques bons camarades. Cependant, n’ayant pris que très peu d’affaires avec moi, je suis résigné à m’habiller pendant deux semaines avec des vêtements et sous-vêtements d’emprunt…
« À la grrr comme à la grrr ! »
Nous avons sur le parking 12 Jaguar, 4 Mirage F1 CR et 8 Mirage F1 C. Soit, en omettant les avions ‘spares’ (de rechange), 24 chasseurs armés jusqu’aux dents et prêts à décoller. Après plusieurs jours d’indécision et aucun véritable ‘feu vert’ de l’Élysée (Chirac), l’état-major décide de faire une répétition de ce qui pourrait être un ‘mass raid’ sur les positions rebelles.
Whaou ! Rien que la dénomination de l’opération nous fait tous un peu rire…
Pour cela, nous aurons trois KC135 (Boeing ravitailleurs en vol), car la zone d’action est lointaine et il faudra ravitailler tous les chasseurs à l’aller et au retour de la mission. Les Boeing doivent décoller de divers terrains africains, se rassembler sur le Tchad et nous donner le pétrole en route.
Le plein d’un chasseur prenant un peu de temps, il est crucial que chaque participant ait à peu près la même autonomie en fin de ravitaillement. Tout le monde réfléchit ainsi sur ce problème pendant quelques heures… Malgré quelques solutions très simples, mais certainement jugées comme ‘trop’ simples, il est décidé qu’on mixera les patrouilles avec différents types d’avion pour parvenir à un équilibre acceptable.
Pour ajouter un peu de piment à l’aventure, la mission doit évidemment se faire en silence radio total.
Je me retrouve ainsi n° 3 d’une patrouille de 4 Jaguars. Sauf que je m’aligne en tant que leader avec deux Mirages F1 CR et un Mirage F1C derrière moi ! Déjà, je subodore qu’il risque d’y avoir quelques différences dans les taux de montée…
Faire décoller 24 avions sur une seule piste, même en travaillant par paquets de 4 et avec des pilotes expérimentés, ça prend au minimum 6 fois 4 minutes. C'est-à-dire, en comptant les incontournables petits retards, environ 30 minutes…
Les Boeing nous attendant à environ 100 km au nord de N’Djamena, cela signifie que les premiers auront presque fini leur plein avant que les derniers n’aient décollé ! N’ayant pas été invité à participer aux fumeux calculs de pétrole, je doute que chacun en ait à peu près la même quantité 800 Km plus au nord… Mais bon, on verra bien !
Les Boeing sont censés se présenter à trois de front, sur environ 10 km de large et chaque chasseur a un numéro d’ordre (comme à la sécu…) pour aller ‘sucer’ l’un des trois. J’ai ainsi noté au briefing que je devais ravitailler à l’aller en sixième position sur le Boeing de gauche, et au retour, en seconde position sur le Boeing du milieu (ouf !). J’ai aussi noté les types et numéros des avions devant se trouver devant moi, afin d’assurer mon coup. Ce qui me remplit pratiquement toute la surface utilisable sur ma pochette de genou.
Nous voici en l’air. Je souffle. Par chance, j’étais dans le deuxième paquet de 4 et je n’ai pas eu le temps de me liquéfier sous la verrière, parce que par 40° à l’ombre, ça fait à peu près du 65° dans le cockpit, surchauffé par l’effet de serre, la réverbération du tarmac et la chaleur dégagée par les réacteurs des autres avions. De plus, la climatisation d’un chasseur est inopérante au sol…
A d’autres occasions, les mécanos ont réussi à faire cuire un œuf sur une aile !
Comme prévu, de gros écarts se font rapidement sentir pendant la montée, essentiellement causés par les charges très différentes de nos avions. L’ensemble devrait normalement pouvoir se regrouper derrière les Boeing, beaucoup plus lents que nous.
Voici les nounous, droit devant, un peu plus haut, dans la brume de chaleur. On s’approche en montant, doucement…
Mais… il n’y en a que deux !
Début du show : ‘Top fumigène !' comme ils disent dans la Patrouille de France.
Les deux gros porteurs sont relativement proches, à environ 2000 m entre eux, et les chasseurs commencent déjà à s’agglutiner derrière, en échelon à droite, qui ne cesse d’augmenter de longueur.
Seulement deux Boeing ! D’instinct, je sens que se prépare une belle pagaille.
Je m’approche de celui de gauche, comme prévu, afin d’observer les types d’appareil qui s’y trouvent déjà. Scrutant à bonne distance les numéros des avions présents dans la file d’attente, afin de m’insérer au bon endroit, je sursaute d’un seul coup : un Mirage vient de me dépasser par le dessous et j’ai vu sa dérive remonter juste devant mon nez, grandeur nature… Je prends une terrible claque dans le souffle de son réacteur qui fait déclencher mon avion… Je me récupère ‘en vrac’, 2000 pieds plus bas.
Cette manip commence à me plaire moyennement…
Revenu à proximité de ‘mon’ Boeing, je m’aperçois qu’aucun des chasseurs présents ne fait partie de ma liste. Je me laisse donc doucement reculer afin d’aller voir sur le deuxième Boeing, me disant que les positions ont peut-être été inversées… A l’arrière du dispositif, je peux maintenant observer un balai incroyable, un essaim d’insectes s’affairant sur 2 proies.
Du jamais vu pour moi. Il y a une vingtaine de chasseurs en train de butiner, glissant latéralement du Boeing de droite vers celui de gauche, et inversement. Certains avions se croisent de très près pendant leurs manœuvres. On frôle la collision à tout moment. Je ferme les yeux de temps en temps, car il me semble que je vais en voir certains s’emplafonner’ à tout moment.
Devant une telle débandade, je remonte un peu en maintenant ma position arrière, pour m’écarter de cette bande de fous. Les procédures de ravitaillement, d’ordinaire si strictes, paraissent ici totalement obsolètes. Je n’en crois pas mes yeux, et je regrette maintenant de ne pas avoir pu filmer cette ‘démonstration’ de la chasse française !
Au bout de quelques minutes, le silence radio est enfin rompu. Il était temps !
Un des Boeing nous annonce que le troisième ‘collègue’ est en train de rejoindre par l’arrière et que tout le dispositif va faire une orbite par la gauche, pour mettre un peu d’ordre et reprendre la formation prévue.
Parfait ! Mais… pagaille générale : Les avions en train de ravitailler se déconnectent en hâte et deux grands accordéons se mettent en virage désordonné, tantôt à l’intérieur, tantôt à l’extérieur, au-dessus, en dessous. Il y a des avions dans tous les sens. Bref, un joyeux foutoir, qui pourrait paraître beau pour un néophyte, mais qui s’avère d’une dangerosité extrême.
Le troisième Boeing se positionne très lentement et la valse des chasseurs reprend derrière. Je tente de retrouver ma ‘nounou’ d’assez loin, en comptant et vérifiant les types d’avions, mais il semble que l’ordre prévu n’est plus du tout respecté, chacun se positionnant visiblement où bon lui semble. Comme l’un des Boeing a l’air un peu moins encombré, je décide de m’ajouter à sa file d’attente, en dernière position, pour ne pas rajouter de désordre.
Cela fait plus d’une demi-heure que nous volons vers le nord, en ordre ‘dispersé’, mais tout le monde n’a pas pu encore ravitailler. J’ai calculé la distance à partir de laquelle je dois absolument revenir à N’Djamena si je n’ai pas ravitaillé, sinon, je risque de manquer de carburant si je me loupe…
Les files d’attente se réduisent peu à peu et les chasseurs se regroupent maintenant en patrouilles ‘constituées’ (avions similaires), un peu en arrière et en dessous du dispositif. Quatre Mirages F1C, chargés d’assurer la protection des Boeing, dessinent de larges S au-dessus du dispositif, radars en émission, prêts à engager d’éventuels (mais fort improbables) Mig libyens en maraude.
C’est assez beau, finalement !
J’estime que nous ne sommes plus que cinq ou six avions à devoir ravitailler. A ma gauche, je reconnais le casque de Marcos. Celui-ci me fait signe du pouce sur le front. C’est un code dont nous avons convenu ensemble, qui nous permet de nous retrouver sur une fréquence radio… privée.
Il attaque :
- Champy, t’as vu ce bordel ?
- Ouaip, on atteint des sommets... (Rire)
- Le ‘seizième’ (parallèle Nord) est à 3 minutes. Les ‘lourds’ vont faire demi-tour !
- Je crois que c’est râpé pour nous
- T’as raison. Ça sent le pâté !
Effectivement, peu de temps après, les Boeing virent vers le Sud. Nous sommes ainsi trois Jaguars et un Mirage à n’avoir pas ravitaillé. Les deux autres avions nous rassemblent, alors que j’observe avec amertume le reste de l’armada qui poursuit en piquant vers le Nord…
Marcos me demande :
- Pétrole ?
- Deux point huit (2,8 tonnes)
- Idem. Ça passe. On se casse.
- Et le Fox one ? (Mirage F1)
- Il se démerde… me répond-il, visiblement en rogne.
Le fait est ! Comme s’il avait reçu l’information, le F1 passe trois-quarts dos, pique vers le sol, et disparaît bientôt dans la brume… Quel abruti, me dis-je, s’il lui arrive quoi que ce soit, il risque de regretter d’être parti en solitaire…
Les Boeing se mettent en attente au sud du seizième parallèle, avec leurs 4 chiens de garde.
Nous rentrons vers N’Djamena, la queue basse, en régime économique. Étant à peine plus ancien que Marcos et ne sachant pas qui est dans le troisième Jaguar (qui n’est pas sur notre fréquence ‘secrète’ et qui respecte un silence radio exemplaire), je pense être le plus ancien dans la qualification la plus élevée (selon la règle établie). Je prends donc officiellement les fonctions de ‘leader’ de cette patrouille reconstituée.
Arrivé à portée radio de la base, je contacte les OPS :
- Cobra zéro des Cobra Zoulou (j’ai inventé cet indicatif pour montrer que notre patrouille est un peu disparate), trois Jaguars en retour base, 180 nautiques, plein Nord de N’Djamena, niveau 230.
- Bien pris, Cobra Zoulou. Avez-vous besoin de pétrole ?
Avant même que j’ai pu répondre, Marcos intervient sur la fréquence :
- Affirmatif ! Au moins 2 tonnes par avion !
Je pouffe. Il est gonflé, le pépère, parce qu’on a largement assez de kérosène pour rentrer. Mais bon, ça nous fera un bon exercice. Après tout, on n’a même pas ravitaillé, nous !
Néanmoins, je me demande si ce flibustier n’a pas une petite idée derrière la tête…
- OK, rejoignez Pablo (Transall de secours). Vecteur 170°, 32 nautiques, fréquence Rosé 12.
Pour détendre l’atmosphère, j’ajoute :
- Ça tombe bien, on a très soif !
(Je n’ai pas précisé si je parlais de nos avions ou de l’allusion au ‘rosé’…)
Nous rassemblons le Transall 10 minutes plus tard, non sans peine. Je peste en moi-même après son équipage, qui ne fait visiblement rien pour aider notre rejointe. Nos amis transporteurs ne comprendront décidément jamais rien à la manœuvre et au vol en formation… Pourtant, je les adore.
Nous prenons chacun 2 tonnes de carburant, notre numéro trois assurant un trafic radio vraiment minimal : « Contact humide, 2 tonnes ». Ne connaissant toujours pas les intentions de Marcos, je lui glisse :
- Tu prends le ‘lead’ ?
- Ouaip, suis-moi. On sort au 270° ! Joby…
- Joba...
Nous sommes à environ 300 km au Nord de N’Djamena, au-dessus d’un désert absolu et nous partons en spirale descendante rejoindre l’altitude à laquelle nous nous sentons naturellement à l’aise. Soit, au ras des dunes…
Marcos oblique en direction du Niger. Par principe et habitude, je me place en formation ‘défensive’ (de front, à environ 4 km), avec 450 nœuds au badin (environ 850 km/h). Le numéro trois ‘grenouille’ (hésite) un peu derrière, ne sachant pas où se placer. Il a cependant l’air relativement à l’aise, parce qu’il vole aussi bas (voire plus) que nous.
Séance de ‘radada’ et de saute-mouton au ras des dunes et des rochers émergents. Haaaa, ça fait un bien fou de se défouler les ailerons… Quoique, c’est manière de parler, parce que le Jaguar n’a pas d’ailerons. Il freine du coté où on lui demande de tourner ! Ce qui revient au même puisque qu’il en résulte que l’aile concernée s’abaisse, par diminution de portance, et que l’avion vire ainsi du côté espéré…
Nous approchons maintenant de la frontière du Niger, qui devrait se trouver quelque part devant nous, au milieu de cette immense étendue de… rien du tout. Ne sachant pas exactement où nous sommes, je reste parallèle à Marcos, sans trop réfléchir.
Malgré la climatisation de la cabine, il fait une chaleur à mourir dans cette boîte à sardines. La pressurisation renvoie de gros glaçons de condensation dans le cockpit. J’en attrape quelques-uns au vol et je les glisse dans ma combinaison, par le cou. Whouaaa ! Les glaçons se liquéfient instantanément et me trempe le tee-shirt, mais qu’est-ce que ça fait du bien… Le soleil est pile à la verticale de ma tête, ses rayons sont amplifiés par la verrière et mon casque sombre en récupère toute la chaleur. Quelle idée d’avoir pris un casque camouflage vert ! Enfin… c’est vrai que je n’étais pas censé rester en Afrique.
La sueur s’agglutine dans mes sourcils et me ruisselle dans les yeux à la moindre turbulence. Ça me pique affreusement et je dois relever la visière pour m’essuyer d'un revers de la main.
Le calculateur de navigation indique que nous sommes à environ 280 km au nord-ouest de N’Djamena et j’estime que nous sommes maintenant largement entrés au Niger. Même si nous ne risquons pas grand-chose, je juge qu’il faudrait peut-être penser à revenir vers le sud-est, parce que les avions de la ‘grosse’ mission doivent maintenant être sur le chemin de retour. Pour ne pas semer la pagaille aux abords du terrain en arrivant tous en même temps, je propose à Marcos :
- Bon, on rentre maintenant ?
- Attends un peu…
Certes, on a de l’autonomie, mais qu’a donc ce furieux derrière la tête ?
Nous virons au sud maintenant, en direction du Nigeria, pour tenter (enfin je le suppose…), de retrouver le lac Tchad (étendue qui est d’ailleurs aussi sèche qu’un sablé breton), puis le ‘Chari’, rivière qui ramène directement à N’Djamena.
Quelques minutes passent, pendant lesquelles nous survolons quelques villages… Certes, la végétation est un peu plus étoffée par ici. Il y a quelques grands arbres, des petites étendues vertes, qui contrastent avec les rares touffes d’herbes rencontrées jusqu’alors et prouve qu’il doit y avoir un peu d’eau dans le coin. Cependant, point de lac Tchad, et encore moins de Chari !
Estimant qu’on est en train d’entrer au Nigeria, j’insiste :
- Marcos, RTB maintenant ! (code anglo-saxon indiquant « Return To Base » - retour à la base)
Négligeant l’urgence de mon conseil, il poursuit :
- On y est presque !
On y est presque ! Mais où ? À part se faire repérer au Nigeria (officiellement interdit de survol), il n’y a rien de bien intéressant par ici. Alors, pourquoi poursuivre ?
Deux minutes plus tard, Marcos zigzague un peu et me demande de me rapprocher. Il nous amène sur un petit aérodrome de brousse (en terre battue), planté au milieu de nulle part. Quelques avions à hélice sont parqués aux abords d’une baraque en tôle ondulée. Je reconnais au passage deux ‘Bonanza’, ces mythiques et solides avions monomoteurs qui traversent tout le continent africain, sans plan de vol, ravitaillant en douce sur des terrains sommaires, afin de livrer des marchandises ‘douteuses’ à quelques frauduleux destinataires…
Marcos m’annonce, rayonnant :
- Ici ! C’est leur nid !
C’est bon, j’en ai assez vu. Maintenant, il faut filer avant qu’on ne se fasse tirer dessus ! Ils ont la Kalach’ facile, ces clients, et ils cachent parfois des missiles sol-air que je n’ai pas envie de rencontrer…
- Attends, on refait un passage. Je veux des souvenirs de vacances !
Avec cette phrase, il m’indique qu’il veut filmer le site avec sa caméra embarquée, à des fins que lui seul connaît… Quel voyou !
Nous nous posons à N’Djamena environ vingt minutes plus tard… Notre troisième acolyte n’a pas ‘moufté’ pendant toute la promenade, se contentant de suivre à bonne distance. Je rejoins Marcos à sa descente d’avion et nous marchons côte à côte vers la salle d’OPS, sur le tarmac brûlant du parking. Je lui demande :
- Qui c’était, le ‘trois’ ?
- J’sais pas, sûrement un PIM de la 11… (11ème escadre de chasse)
Nous remplissons le compte-rendu de mission (sans entrer vraiment dans le détail…) puis nous nous dirigeons vers l’Oasis’, indispensable tente des mécanos où l’on peut se désaltérer à toute heure.
Il y a là un petit homme, un peu rondouillard, accoudé au comptoir, une canette à la main, qui nous regarde paisiblement. En m’approchant, je discerne trois étoiles d’or brodées sur sa poitrine, au-dessus de sa plaquette nominative.
Houla ! Y’a du ‘gros poisson’ dans l’air…Je jette un rapide coup d’œil à Marcos… mais ce ‘lâche’ est déjà en train de faire demi-tour ! Il me lance, sans se retourner :
- J’ai oublié un truc. Je reviens…
Ce qui signifie en clair : ‘Tu te démerdes…’
Quel brigand !
Bizarrement, la tente est déserte. Je suis donc seul face à ‘mon’ Général et je m’attends à mille questions concernant ‘la’ mission, auxquelles je serai bien incapable de répondre, vu que nous n’y avons pratiquement pas participé. Par contre, nous entendons depuis quelques minutes les autres avions en train d’atterrir, ce qui peut laisser croire que nous étions les premiers à nous poser…
Ça ‘turbine’ très vite dans mon cerveau et je ne sais vraiment pas quoi inventer pour m’en sortir.
Le Général se retourne vers le bar, attrape une canette derrière le comptoir et me la tend en disant, un large sourire aux lèvres :
- Alors, les canards, on s’est fait une bonne virée, hein ! Merci les gars !
- …
Les bras m’en tombent… Je cherche de l’air… Ce ‘type’, qui nous a entendu demander du pétrole sans véritable raison, qui nous a vu déplumer les toits des cases africaines, faire des traînées avec nos réacteurs dans l’eau du Chari, faire moult manœuvres osées, se fourrer dans le guêpier des contrebandiers et à qui on a fait visiter la moitié de l’Afrique… Ce ‘type’ était un ‘gégène’ en promenade !
Je trinque cordialement avec lui, sans épiloguer, avale ma bière d’une rasade, avant de m’éclipser très vite…
Nous apprendrons plus tard que cet Officier très ‘haut placé’ avait remplacé un autre pilote au dernier moment, afin de constater incognito comment la mission se déroulait.
A propos du ‘raid de masse’, il n’avait assurément pas vu grand-chose. Par contre, il avait pu constater que les traditions ‘jaguar-men’ étaient toujours vivaces dans la génération montante...
Très bas, très vite !
Piloter un chasseur en très basse altitude, c’est l’antithèse de la panique. Pourtant, tout porte à s’affoler dans cet univers. C’est la maîtrise de sa peur, et Dieu sait si la production d’adrénaline est importante. C’est de l’humilité à l’état brut, parce que les pilotes ne sont somme toute que des hommes qui savent avoir peur. C'est souvent d'ailleurs ce qui les sauve.
Christian SEYSSET
Date de dernière mise à jour : 11/03/2022
Commentaires
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- 1. Michel ALLIBERT Le 25/07/2023
Bonjour
D'accord, les méchantes langues voyant des aéronefs en radada peuvent dire qu'ils font un sweep, du balai.
Mais les mêmes, évoluant en altitude, il convient d'écrire qu'on assiste à un ballet.
Merci pour les heures de lecture que tu nous a offertes.
EAB 57/9
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