Le pétrole est le fond qui manque le plus
À la Patrouille de France
Pour nourrir ses deux réacteurs de 500 kg de poussée chacun, le Fouga n’emporte que 1.000 kg de pétrole, ce qui lui permet un temps de vol de 1 h 40 maximum dans de bonnes conditions d’altitude. Cette autonomie limitée nous rendait la vie difficile lors de nos déplacements dans toute l’Europe et nous valut quelques sueurs froides. Durant mon année de Leader, je serai confronté plusieurs fois à des niveaux de pétrole anormalement bas.
11 mai 1966
Nous avons un meeting prévu à Biggin Hill, fameux terrain où se sont illustrés les chasseurs anglais durant la Bataille d’Angleterre. On y célèbre aussi ce jour-là le 900ème anniversaire de la bataille d’Hastings, tout proche, où en 1066, Guillaume le Conquérant battit les Anglais du roi Harold II, qui fut tué.
Nous nous posons à Tours pour ravitailler et prenons le chemin de Biggin Hill. Nos Fouga ont des vieux postes radio à 12 fréquences actionnés par des quartz qui donnent la fréquence et que l’on change en fonction des besoins de chaque vol. J’ai prévu de naviguer en circulation opérationnelle sous le contrôle des militaires français, puis anglais et fait installer les quartz correspondants.
Mais il fait un temps à l’anglaise, avec une lourde pluie. La météo s’aggrave et il apparaît en vol que nous ne pourrons pas nous poser à Biggin Hill, dépourvu de guidage radio pour l’atterrissage. Je décide donc de nous dérouter sur Farnborough, assez proche, terrain militaire bien équipé en moyens de percée GCA (Ground Control Approach) où l’approche radar est guidée par un contrôleur au sol. Mais je n’avais pas pu prévoir qu’il faudrait pour cela passer en contrôle aérien civil et l’opérateur militaire anglais me donne la fréquence de contact :
- « I am sorry Sir, I don’t have this frequency ! »
- « Never mind, switch on 124.5 »
Petit coup d’œil à ma liste de fréquence :
- « Sorry Sir, I don’t have it too ! »
La voix suave du british m’interroge alors :
- « Which frequency do you have ? »
Nous finissons par trouver une fréquence qui convient et le contrôle aérien civil entreprend de nous faire contourner toute la région de Londres pour éviter le trafic des terrains de Heathrow et Stansted.
Nous sommes à 25.000 pieds, on consomme relativement peu, mais le temps est long et ce trajet imprévu nous fait croquer nos maigres réserves. Après un check du pétrole restant de mes équipiers, j’informe le contrôle que nous sommes en emergency fuel et que je ferai la percée des nuages en une seule patrouille de mes 7 avions.
Ils comprennent alors au sol que la situation est réellement critique et un contrôleur chevronné nous prend en mains et nous guide vers Farnborough qui est un terrain d’essais en vol à la piste longue et large. Il nous passe à un contrôleur GCA qui me guide avec précision, avec des faibles changements de cap et de taux de descente, pour rester sur le faisceau radar qui nous amène vers la piste. Ces petites oscillations de trajectoire sont banales pour mes équipiers qui morpionnent mon avion.
J’ai placé mes avions en une patrouille de 4 avec le charognard derrière moi, auquel s’accrochent 2 ailiers, le dernier avion fermant la marche en deuxième charognard.
La rampe d’approche est en vue, puis la piste à 200 pieds (60 m) et je l’annonce, en demandant à la radio :
- « Les plus en arrière, freinez maxi et annoncez « contrôlé ».
Le dernier de l’équipe écrase les freins et annonce « Contrôlé » et les trois avions derrière freinent à leur tour et enfin les trois miens freinent aussi.
Au parking, une seule citerne assure le plein de nos sept avions et je fais relever le carburant que l’on rajoute à chaque avion. Nous en déduisons qu’il restait en moyenne 30 litres par avion, c’est-à-dire moins de 3 min de vol. J’ai eu le nez creux de décider cette procédure insolite de 7 avions en patrouille serrée pour une approche GCA aux limites Météo, car il est probable que la deuxième patrouille aurait eu droit à un crash sur la région de Londres au lieu de la piste !
Ce problème d’autonomie est inhérent à tous les avions de chasse et sur les plus évolués, il est possible d’ajouter des bidons supplémentaires qui augmentent notablement la distance franchissable et la solution du ravitaillement en vol s’est généralisée à tous les avions de chasse. Mais ni l’une ni l’autre de ces alternatives n’est possible sur notre vaisseau spatial qui a déjà des bidons au bout des ailes et pas assez de poussée pour tolérer des bidons supplémentaires. Il faut donc faire avec !
10 juillet 1966
Nous avons fait la veille un meeting en Grande Bretagne sur le terrain de Yeovilton, base de chasse de la RAF et nous repartons le lendemain matin, pour rallier Cognac d’où nous redécollerons pour une présentation sur la base de Rochefort, qui forme les mécaniciens avion de l’Armée de l’air et de la Marine. Il fait très beau et pour nous détendre et montrer la PAF aux vacanciers, je décide de naviguer à basse altitude en traversant la Bretagne, puis en longeant la côte et ses plages. Mais en passant Saint-Nazaire, la visibilité se dégrade notablement et de façon imprévue par la MTO. Nous remontons à 10.000 pieds et je contacte Cognac, qui m’apprend que le terrain est Jaune, c’est-à-dire avec approche GCA. Nous sommes maintenant rodés et, compte tenu du pétrole restant, je fais la percée pour les 7 avions et au parking, nous avons en moyenne 30 litres par avion. As usal !
23 septembre 1966
Notre meeting est prévu à Hopsten, une base aérienne de chasse dans le Nord-Ouest de la RFA, où est stationnée une escadre de chasseurs Lockheed Starfighter F-104.
Dans la Luftwaffe, cet avion fut appelé Faiseur de veuves ou Fallfighter (cercueil volant) et 292 des 916 F-104 allemands s’écrasèrent, occasionnant la mort de 119 pilotes. C’est un chiffre de perte très important, mais dans l’Armée de l’air française, nous avons perdu aussi bon nombre de pilotes de chasse, mais c’était moins voyant, car cela se passait sur plusieurs types d’avions, tandis que les Allemands n’avaient que le F-104. Ces crashs firent scandale et les veuves des pilotes lancèrent un procès contre Lockheed, qui se solda par une transaction qui leur permit de toucher chacune 1.6 millions de dollars ! 1/3 des accidents de cet appareil monomoteur ont été imputés à l’arrêt du moteur en cours de vol, ce qui par la suite, a conduit la Luftwaffe à ne sélectionner que des biréacteurs pour le renouvellement de sa flotte.
Pour aller à Hopsten faire ce meeting, la MTO prévue est très mauvaise et nous nous ravitaillons à Strasbourg, d’où il nous reste environ 400 km à parcourir pour rallier Hopsten.
Nous naviguons en patrouille serrée à 7 avions dans une purée de pois à 25.000 pieds et je contacte l’approche de Hopsten pour effectuer la percée. Le terrain est Jaune, c’est-à-dire que nous devons faire une percée au radar GCA, que je prévois de faire en deux patrouilles, mais bien embêté, le contrôleur nous informe qu’un F-104 est répandu sur la piste et que celle-ci est temporairement inutilisable. J’ai prévu un autre terrain de la Luftwaffe comme déroutement à une vingtaine de minutes mais à tout hasard je le questionne sur la durée de cette immobilisation. Il me donne un délai d’attente de 20 min maximum que j’accepte, après qu’il m’eut assuré que ce délai serait respecté.
Nous sommes à 25.000 pieds, réduisons à la vitesse d’attente et effectuons des hippodromes d’attente au-dessus du terrain. En fait, 30 minutes se passent et la piste n’est toujours pas libre. Je n’ai plus de terrain de déroutement et signale au contrôleur :
- « We are very short of fuel and request landing as soon as possible ».
Nous sommes enfin autorisés à descendre de notre perchoir et à nouveau, comme à Farnborough et à Cognac, je fais la percée pour tous les avions en patrouille sur moi. Le radar nous guide avec précision pour un atterrissage avec 200 pieds de plafond. Combes éteint ses réacteurs sur le taxiway, faute de carburant. Bien m’en a pris de ne pas percer en deux patrouilles comme c’est l’usage, car comme à Farnborough, il reste en moyenne 30 litres par avion, c’est-à-dire 3 minutes de vol ! Nous avons mis 1 h 40 pour faire 400 km. Pas terrible pour des jets !
Lors de ces trois vols critiques en pétrole que nous avons effectués, notre temps de vol était de 1 h 40, vraiment à la limite d’autonomie du Fouga. Lors de nos déplacements, nous fûmes souvent induits en erreur par l’imprécision des prévisions MTO. Je mettais les opérateurs MTO en colère, quand je leur disais de façon sarcastique :
- « Puisque, statistiquement, vous donnez des prévisions exactes dans 47 % des cas, prévoyez donc l’inverse et vous aurez 53 % d’exactitude ! »
Aujourd’hui, les prévisions MTO se sont considérablement améliorées et, pour l’aviation de ligne, les prévisions à une quinzaine d’heures sont le plus souvent exactes. Les satellites MTO permettent de donner aux pilotes les vents et températures sur tous les points du globe terrestre, alors que nous étions sans données auparavant sur les vols maritimes ou désertiques. Par exemple, sur un vol direct Paris-Tokyo, on constate une différence de 1 ou 2 minutes par rapport au temps calculé.
Christian ROGER
Extrait de “Piloter ses rêves” (Éd : Bookelis - 2015)
Date de dernière mise à jour : 30/03/2020
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