Le passager est roi

J'avais donné rendez-vous à mon équipage et je l'attendais, debout, à proximité d'une porte d'ascenseur. Observant les passagers, j'en remarquai un, d'excellente présentation, probablement africain, qui semblait - à première vue - ne pas être à l'aise dans ce grand aéroport qu'il fréquentait certainement pour la première fois.

Ayant capté mon regard, il se rapprocha délibérément de moi.

- « S'il vous plaît, pour faire enregistrer mes bagages ? »
- « Vous devez monter au premier étage, Monsieur, par cet ascenseur. »

Puis, rassuré, il lança, d'une voix de quelqu'un habitué à donner des ordres :

- « Eh bien ! Prenez mes bagages. »
- « Certainement, Monsieur. »

C'est ce que je fis en l'accompagnant au premier étage jusqu'au guichet d'enregistrement où je déposai ses deux valises à côté de lui. C'est alors qu'il me tendit un billet - dont je n'avais même pas vu le montant - comme pour payer un service ou accorder un pourboire. Je compris alors qu'il m'avait pris pour un porteur galonné, comme on en voit souvent dans certains pays.

- « Vous êtes très aimable, Monsieur, mais je ne peux accepter votre billet ».
- « Mais si, prenez-le. »
- « Non, car cela m'est interdit d'accepter un pourboire. »
- « Mais pourquoi ? »
- « Parce que je suis votre Commandant de bord. »

Il en était resté bouche bée, ne sachant pas comment réparer sa méprise. Je lui adressai un petit sourire, et lui tournant le dos, je m'éloignai lentement pour rejoindre mon équipage qui, à son tour, devait m'attendre.

Avant d'entrer dans l'ascenseur, discrètement, je jetai un coup d'oeil vers la banque d'enregistrement. Le passager était toujours planté au même endroit, m'ayant suivi du regard, n'en revenant pas qu'un Commandant de bord lui ait, spontanément, porté ses bagages !

     
Jean BELOTTI

Extrait de "Une passion du ciel" (Ed. Nouvelles éditions latines)