L'Étiquette
Ce terme protocolaire signifiant chez nous "respect des convenances, savoir-vivre", est le même des deux côtés de la Manche et peut être traduit chez nos amis anglais par "to have (good) manners".
Y faillir est moins pardonnable chez eux que chez nous, et ne l’était encore moins dans l’ex-empire de Sa Gracieuse Majesté, là où ses dignes sujets se devaient d’adopter une conduite exemplaire. Toute entorse déclenchait la remarque : « It’s not etiquette to … » et la suite. J’y eus droit, il y a quelques années de cela, en 1955, pour être plus précis.
Affecté à l’époque à l’ET 3/61 "Poitou" sur la base d’Orléans-Bricy, je me trouvais sur les ordres de vol pour effectuer une mission (lointaine à l’époque) : Paris - Tananarive. Or, pour rallier Tana à bord d’un Nord 2501 Noratlas, cela impliquait plusieurs jours pour descendre et un certain nombre d’escales dont celle de Livingstone, en Rhodésie du Sud avec ses célèbres chutes du Zambèze, les Victoria Falls. L’étape était prévue pour 24 h, du samedi au dimanche.
Donc, après avoir visité les célèbres chutes puis un parc animalier en bordure du fleuve, vint l’heure d’aller dîner au Victoria Falls Hôtel … Atmosphère très coloniale, très british, en ce samedi soir !
Nous nous présentâmes tous les cinq, équipage au complet à l’entrée du Dining room, beaux comme des sous neufs, en tenue d’été, c’est à dire chemise kaki avec col ouvert et manches retroussées, casquette blanche à la main, galons sur épaulettes et toutes décorations et insignes en bonne place et en évidence ! ...
Coup de théâtre, l’entrée nous est interdite par un butler, maître d’hôtel très glish aux favoris réglementaires, qui ne fait aucun effort en français et guère plus d’ailleurs en anglais pour nous envoyer une giclée dans laquelle nous crûment saisir good manners … Hum ! concertation, interprétation, décision, action. Nous remontâmes dans nos chambres pour y passer une cravate noire et baisser nos manches : cela faisait plus "habillé".
Ascenseur. Mimique amusée du liftier (noir). Conquérants, revanchards, nous nous présentâmes à nouveau … second refus du butler, nouvelle rafale en anglais, de laquelle nous pûmes extraire le terme jacket. Intérêt amusé des convives déjà attablés dans la salle, du prestige des uniformes à la mise au pas des Français. Bref : le port de la veste est obligatoire ! … Ils remontent tous pour passer leur veste bleu-marine, sur le kaki, quel goût ! J’ai dit "Ils", car pour ma part, voyageant sous les tropiques, je n’avais pas jugé utile de m’encombrer de la tenue bleue en gabardine. M’étant acquitté des 3 pounds de la pension, je n’allais pas renoncer à ce repas et tout naïvement j’espérais bénéficier d’une faveur compte-tenu de la bonne volonté de mes camarades … NO ! Ils furent autorisés, eux, à aller prendre place à table. J’ai dit EUX car, à nouveau, un bras du butler s’était interposé ! Ma compréhension de l’anglais s’améliorait car j’ai cru comprendre quelque chose comme :
- « It’s not ETIQUETTE not h’ve jacket … »
Je dus me résigner à regagner ma chambre en espérant que mes camarades me ramèneraient quelques provisions de bouches.
Ma déconvenue était grande et sans doute bien visible, car dans l’ascenseur le liftier (toujours noir) me demanda très révérencieux, si tout allait bien ? Bien sûr que non … Je lui expliquai, alors il enleva sa veste et me la tendit. Je l’essayai, elle ne m’allait pas ! Au diable l’élégance, j’avais faim ! Nous redescendîmes et me présentai pour une ultime tentative, GAGNÉ ! J’eus droit à la courbette du butler et pus rejoindre les autres qui pouffaient de me voir ainsi vêtu de cette belle veste aux clefs d’or. Je m’installai en faisant un panoramique sur la "gentry" endimanchée. Que de sourires en coin très british … Enfin, ne pas porter de veste for dinner est une grave entorse à l’ÉTIQUETTE, celle-ci admettant parfaitement qu’un liftier du personnel vienne dîner avec la clientèle !
En conclusion, si vous optez pour un voyage en Afrique, réfléchissez à deux fois avant de partir pour le Zimbabwe. Je vous recommande la visite des Victoria Falls, mais vous conseille vivement d’emmener une veste ! Sinon même celles qui ne sont pas de liftier sont acceptées. Mais qui sait, avec l’indépendance, l’ÉTIQUETTE a peut-être évolué !
Bernard MAIRET, alias Pol
Extrait du "Recueil de l’ADRAR" Tome 1
Date de dernière mise à jour : 16/04/2020
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