Les Breguet « Deux-Ponts » dans le Pacifique

Pour comprendre les raisons de la présence de l’Armée de l’Air dans le Pacifique, il faut remonter au 13 février 1960 à Reggane, aux confins du Sahara. Ce jour là, la France venait de procéder à l’expérimentation de la première bombe atomique, accédant ainsi au rang de puissance nucléaire. En 1960, l’histoire est en marche, et si d’autres expériences sont conduites sur les champs de tir du Sahara, notamment après Reggane, à In Ecker dans la région de Tamanrasset, jusqu’en juillet 1967 à la suite des accords spéciaux conclus avec l’Algérie nouvellement indépendante, il convenait de trouver une nouvelle zone de tirs atomiques susceptible de remplacer celle du Sahara. Le choix de la DIRCEN se porta sur les dépendances françaises du Pacifique austral et c’est ainsi que naquit le CEP (Centre d’Expérimentation du Pacifique). Dès juillet 1963, les trois armes unissaient leurs efforts et leurs moyens en vue de réaliser l’infrastructure logistique du CEP dans les atolls isolés. En 1966, tout était prêt et la base interarmées de Hao voyait le jour en tant que plaque tournante et centre de commandement des sites de tir de Mururoa et Fangataufa. Présente à partir de 1964, l’Armée de l’Air prit une part importante dans la phase de construction du CEP, notamment en constituant sur place une unité de transport aérien destinée à soutenir ses bases.

C’est à Tahiti même, centre administratif de la Polynésie française, que l’état-major de l’Armée de l’Air décide le 1er mai 1964 de créer et d’implanter le Groupe Aérien Mixte 82. Seule l’île de Tahiti disposait avec Faa’a d’une piste de 3.400 m. La Base Aérienne 190 est créée devenant la zone vie et centre de support pour la toute nouvelle unité aérienne.

C’est sur des Breguet 763 « Provence » rachetés à air France que le nouveau GAM 82 va faire ses ailes. Au cours de l’été et de l’automne 1964, l’Armée de l’Air rachète dans un premier temps cinq « Provence », un sixième sera acheté en janvier 1965.

Les équipages du GAM 82 sont formés au sein de l’ET 2/64 Maine qui est doté de Br 761 S et Br 765.

Les deux premiers « Deux-Ponts » du groupe :

  • 306 F-RAPP puis F-RBPP (82 - PP) ex F-BASS d’Air France
  • 307 F-RAPQ puis F-RBPQ (82 - PQ) ex F-BAST d’Air France

Donc, les deux premiers quittent le Bourget le 25 juin 1964 et, par la route des Indes, rejoignent Tahiti où ils se posent à 15 heures le 6 juillet. Ils ont transporté deux Alouette II.

La veille de Noël 1964 arrive le troisième « Deux-Ponts » : 311 F-RAPR puis F-RBPR (82-PR) ex F-BASY d’Air France.

Le 13 février 1965 c’est le tour du quatrième « Deux-Ponts » d’atterrir à Faa’a : 303 F-RAPN puis F-RBPN (82- PN) ex F-BASP d’Air France.

Le 1er juin 1965 le cinquième « Deux-Ponts » se pose à Faa’a : 305 F-RAPO puis F-RBPO (82- PO) ex F-BASR d’Air France.

Le 4 octobre 1965, c’est au tour du sixième et dernier « Deux-Ponts » de rejoindre l’unité : 312 F-RAPS puis F-RBPS (82- PS) ex F-BASZ d’Air France.

La dotation du GAM 82 est complète. Ainsi équipé, le GAM 82 assure sans relâche les missions de liaisons et de transport qui lui sont confiées par la DIRCEN au profit du CEP.

Breguet 763 gam 82 frbpq
Breguet 763 F-RBPQ du GAM 82

Pour le transport et l’acheminement de matériels, les « lourds » sont mis à contribution et grâce à leur concours, l’achèvement des pas de tir de Mururoa et de Fangataufa interviendra dans les délais prévus. D’autres missions plus particulièrement liées aux tirs aériens viennent augmenter sensiblement le nombre d’heures de vol. Ainsi les « Deux-Ponts », puis les DC-6 par la suite, effectuent des aérotransports de prélèvements réalisés par les engins MATRA.

Ces mêmes avions font également des mesures de radiation lors des expériences aériennes qui débutent en 1965 / 1966 et sont, de fait, également contaminés. Fort heureusement, avions et équipages sont décontaminés à l’issue de chaque mission.

En ces débuts, l’évènement marquant pour le GAM 82 est le « pont aérien » entre Mururoa et Fangataufa. La passe de Fangataufa n’ayant pas été ouverte à la navigation que le 18 octobre 1965 avec plusieurs mois de retard, le GAM 82 restait le seul moyen permettant d’acheminer le matériel sur l’atoll. L’efficacité du GAM 82 a ainsi permis de respecter les prévisions d’avancement des travaux. En quatre mois, du 28 août au 30 décembre, 346 rotations sont effectuées. Le nombre maximum de voyage hebdomadaire s’est élevé à huit pendant la période de pointe à savoir, du 25 octobre au 25 novembre et, au cours de laquelle 975 tonnes de matériels divers sont acheminées en 108 rotations. Pour la totalité du détachement, ces chiffres montent à 346 rotations, 24.468 tonnes dont 900 tonnes de ciment et 3.904 passagers.

Le soutien technique des avions du GAM 82 est assuré par le CIP (Centre Industriel du Pacifique) filiale d’UTA et qui se charge de l’entretien courant et des réparations courantes.  Positionné sur la BA 190 de Faa’a, le CIP fonctionne comme une unité de maintenance militaire.

L’année 1966 est l’année du retrait des premiers « Deux-Ponts ».

Après une brillante carrière en Polynésie, le 30 juillet 1966, le premier Breguet, le n° 307 82-PQ est réformé et regagne la métropole en octobre. Il est suivi du n° 306 82-PP au mois d’août 1967. À l’issue de gros travaux sur les différents sites, la présence des « Deux-Ponts » devient moins déterminante. Les DC-6 peuvent en effet assurer très efficacement le transport de fret et de passagers. Le retrait progressif des « Deux-Ponts » est donc inévitable. Le 2 février 1969, le n° 303 82-PN est réformé à Faa’a. Il brûlera la 14 mai dans un incendie provoqué par la mise à feu accidentelle des fusées éclairantes. L’avant est détruit, les ailes et l’empennage sont démontées, le fuselage mis à la disposition des pompiers pour l’entrainement de la SSIS.

Les réformes se succèdent, le 27 février 1970, c’est au tour du n° 312 82-PS de quitter le GAM. En mars 1972, le n° 305 82-PO est réformé. Le 4 avril le n° 311 82-PR effectue son dernier vol scellant la fin des « Deux-Ponts » en Polynésie française.

Durant les huit années de présence au GAM 82, les six Breguet 763 totalisent 23.000 heures de vol, 167.000 passagers transportés et 28.700 tonnes de fret transportées.
 

Patrice Le Mao

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Caractéristiques des 3 types de Breguet « Deux-Ponts » exploités par l’Armée de l’Air

  Br 761 S Br 763 Br 765
Motorisation   4 PW R2800 B31 4 PW R2800 CA-18 4 PW R2800 CB 16 / 17
Puissance unitaire   2.000 CV 2.400 CV 2.400 CV
avec injection d’eau
Envergure   41,66 m 43,00 m 43,05 m
Longueur   28,70 m 28,95 m 28,95 m
Hauteur   9,53 m 10,23 m 10,23 m
Surface alaire   178,7 m2 185,4 m2 185,4 m2
Masse à vide   32.241 kg 34.438 kg
Masse en charge   48.000 / 51.600 kg  54.000 kg
Vitesse de croisière à 3.000 m   380 km/h 400 km/h
Rayon d’action   2.290 km 4.000 km
Plafond   6.500 m 6.500 m
Charge offerte  

107 pax et 1 tonne de fret
ou 59 pax et 6 à 8 tonnes de fret
ou 14 à 16 tonnes de fret

126 à 164 pax
ou 17 tonnes de fret


Au total, seuls 20 appareils ont été construits : 1 Br 761, 3 Br 761 S, 12 Br 763 et 4 Br 765.

L’Armée de l’Air en exploitera 13 :  3 Br 761 S au Maine, 6 Br 763 au GAM 82 et 4 Br 765 au Maine.

À ce jour, il reste 3 « Deux-Ponts » :

  • Br 763 n° 6 puis 306 82-PP ex F-BASS d’Air France utilisé comme restaurant / boîte de nuit à Fontenay-Trésigny.
  • Br 765 n° 501 64-PE exposé sur la BA 105 d’Évreux-Fauville, en cours de restauration par l’Association « Le Deux-Ponts de l’Eure ».
  • Br 765 n° 504 64-PH sauvé in-extremis des ferrailleurs par « Les Ailes Anciennes » de Toulouse-Blagnac, en cours de restauration et remontage.

Tout au long de sa carrière civile et militaire, le « Deux-Ponts » n’a fait aucune victime. Cet aéroplane est un monument de notre histoire aéronautique qui n’a pas eu auprès des compagnies aériennes le succès qu’il méritait. Son coût en exploitation était supérieur à celui des avions américains disponibles sur le marché.

Br 765 n° 504 PH Brigitte
Br 765 n° 504 64-PH « Brigitte »

 

Bibliographie

Docavia n° 6 - Les Avions Breguet 1940/1971 - Jean CUNY et Pierre LEYVASTRE
LELA Presse - Les Avions Breguet Volume 2 - Henri LACAZE
Historique du GAM 82 : Officier des Traditions

Remerciements

Général Michel Rouyer - Précisions sur la flotte Breguet de l’Armée de l’Air
Colonel (ER) Patrice Le Mao - Petite Histoire des Breguet Deux-Ponts
Charles Keiflin - Ancien pilote de Br 761S, 763 et 765
Bernard Gaudineau - Précisions sur la flotte Breguet de l’Armée de l’Air

Date de dernière mise à jour : 27/12/2020

Commentaires

  • Gilbert MILLAS
    • 1. Gilbert MILLAS Le 09/10/2024
    Au salon du Bourget , cette année là il s'agissait du Breguet 761 N°2 64-PB du "Maine"
    Cordialement
    Gilbert
  • Jean-Loup Grenier
    • 2. Jean-Loup Grenier Le 22/08/2021
    MERCI pour ces témoignages qui me touchent alors que je fus souvent un passager du Breguet 2-ponts de Air France fin années 50 / débuts années 60. Un avion qui marquait nos rapprochements familiaux.
    Je cherche auprès des anciens du MAINE une trace d'un transport "exceptionnel" d'un Mystère-IVN, proto de chasse de nuit, unique par un Breguet 2-ponts militaire, dans ses soutes. J'ai assisté à la préparation de ce transport sur la BA 145 de Colomb-Béchar, CIEES, fin mai ou début juin 1960. Mystère-IVN qui s'était posé sur le ventre, encore au sol sur le tarmac, vers une séparation ailes du fuselage. Breguet portes de soutes grandes ouvertes, avec mécanos qui s'affairaient à démonter le pont intermédiaire. J'étais en visite de la base ce jour-là, avec Camberra et Vautour de prélèvement de poussières nucléaires. Et autre B-26 Invader. Jacques Noetinger a fait fait une note sur cet embarquement dans "Histoire de l'Aéronautique française".

    Merci pour témoignages et photos encore mieux ! Traces de carnets de vol ?
  • Luc Jeunesse
    • 3. Luc Jeunesse Le 14/08/2021
    Madame, Messieurs ,
    En mai 1957 mes parents m'ont photographié devant un Bréguet 2 ponts Sahara au salon du Bourget.
    Je cherche à connaître son immatriculation et savoir s'il s'agit de celui des Ailes Anciennes de Toulouse ou d'élucider Évreux.
    Auriez-vous des infos pour me guider ?

    Merci de votre retour.

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