L'A-320 et moi (2/2)

Airbus a320
Airbus A-320

La mise en œuvre de cet avion fut pour le moins délicate. Pour limiter les incidents et retards la compagnie avait décidé de l'exploiter initialement sur la ligne Paris CDG - Dusseldorf - Berlin et retour. La consigne était de partir avec les pleins complets de carburant ce qui permettait d'effectuer le vol jusqu'à Berlin sans avoir à ravitailler à Dusseldorf. À Berlin, même manip, pleins complets pour le retour.

Premier problème : "GAETAN", le système centralisé chargé d'établir les documents de masse et centrage pour tous les avions de la compagnie partout dans le monde, avait une donnée fausse quant à la capacité maximale des réservoirs de carburant. 

Problème rapidement résolu : 

- « Vous me faites les pleins complets et les papiers j'en fais mon affaire. »

Deuxième problème : à Dusseldorf, l'assistance commerciale (accueil, embarquement des passagers) était assurée par la compagnie concurrente "Lufthansa" qui exploitait sur la ligne les déjà vieux mais fiables B-727 avec lesquels ils étaient autorisés à atterrir avec des minima météorologiques réduits ce qui n'était pas le cas de nos avions ultra-modernes mais qui n'avaient pas encore fait leurs preuves.

L'automne et l'hiver 88/89 furent comme d'habitude sujets aux brouillards ce qui nous a obligés à nous dérouter plusieurs fois. J'ai le souvenir d'une telle situation où notre moins mauvaise option était Lyon. Bien entendu Lufthansa, de bonne guerre, proposait à nos passagers d'embarquer sur le B-727 qui allait bientôt partir. Ce jour-là j'ai dû déployer des trésors d'imagination pour convaincre les nombreux passagers japonais de faire une escale à Lyon et que, de là, ils auraient le privilège de voyager par le TGV, le train le plus rapide au monde ! Plus fort que les Japonais les Français !

Un collègue faillit un jour déclencher une émeute à bord de son avion, ce jour-là la visibilité était si mauvaise que les minimas de décollage n'étaient pas toujours atteints. "La nature hétérogène du brouillard", comme le disait un chef pilote de la Postale, faisait que le temps de rouler du poste de stationnement vers le seuil de piste et la visibilité était descendue "below minima" mais était un peu moins mauvaise sur l'autre piste donc visite guidée de l'aéroport Charles de Gaulle pour se rendre vers cette piste et que pensez-vous qu'il advint ?

Oui le métier de pilote de ligne ce n'est pas toujours un métier facile !

L'Allemagne et ses corridors

À la fin de la deuxième guerre mondiale, les alliés avaient partagé la ville de Berlin en quatre secteurs : Américain, Britanique, Français et bien entendu Soviétique. L'Allemagne elle-même fut partagée entre la République Fédérale d'Allemagne (RFA) à l'ouest et la République dite démocratique d'Allemagne (RDA) à l'est, sous domination soviétique.

Afin d'assurer les liaisons aériennes entre l'ouest et Berlin, 3 corridors avaient été créés, très étroits, gare à ceux qui s'en écartaient car ils étaient immédiatement interceptés par la chasse de la RDA avec les conséquences diplomatiques que l'on peut imaginer. Il paraît même que les soviétiques tentaient de faire sortir les avions du corridor en transmettant de faux signaux radio-électriques de guidage.

Afin de faciliter l'interception éventuelle, ces corridors étaient limités à une altitude de 3.000 m. Le premier corridor au nord-ouest, le deuxième vers l'ouest, le dernier vers le sud-ouest. Seuls les vainqueurs avaient l'autorisation de desservir Berlin : Les USA "Pan Am", les britanniques "British Airways" (BEA au début puis BA ensuite), sans oublier les français "Air France".

Le contrôle du trafic était assuré par les Américains et, pour éviter les intentions malveillantes des "Rouges", les finales étaient guidées par un rigoureux guidage radar GCA (Ground Controlled Approach).

La langue anglaise, surtout quand elle est parlée par un contrôleur texan, posait parfois quelques problèmes aux équipages français, aussi la compagnie avait enregistré de longues séquences de trafic radio afin que les équipages puissent s'entrainer :

- « Do not acknowledge any further instruction. If you loose radio communication 5 seconds while on final, maintain runway heading, climb to and maintain two thousand feet, contact Berlin Approach on one one eight point five. Read back ».

À ce sujet, à cette époque, les trajectoires de décollage étaient transmises de façon détaillée par radio, ce qui en plus de congestionner le trafic radio posait souvent des incidents de compréhension. Ce problème fut résolu par la création de trajectoires ayant leur appellation propre, standardisées (voir ci-après).

De part houston

Houston description

Les particularités de la ligne Dusseldorf - Berlin.

Le vol Dusseldorf - Berlin dure environ une heure. La trajectoire après décollage consiste en une montée à l'altitude de croisière d'environ 30.000 pieds, une courte croisière de quelques minutes (environ 5) puis une descente pour se présenter à l'entrée du corridor aux points "BODOV" ou "ALARI" (voir ci-après) à une altitude inférieure à 3.000 m (environ 10.000 pieds), poursuite de ce vol à cette altitude vers Berlin soit environ 30 minutes.

Duss berl

Les systèmes de gestion de vol des avions de ligne ou FMC (Flight Management Computer) optimisent les trajectoires, vitesses, altitudes en fonction de nombreux paramètres, prix du carburant, vent, température, altitude et intègrent même les salaires de l'équipage ! À 30.000 pieds, la vitesse économique est d'environ 270 nœuds. Par ailleurs, ils intègrent également les contraintes dues à la réglementation aérienne, en particulier la limitation de vitesse à 250 nœuds en-dessous de l'altitude de 10.000 pieds. Pour une procédure standard, dès que la descente est engagée, la merveilleuse machine va manœuvrer l'avion et, dès 10.000 pieds, réduire la vitesse à 250 nœuds réglementaires. Dans le cas particulier qui nous intéresse cela ne marche pas. En effet la distance à parcourir dans le corridor est suffisamment longue pour que la parcourir à 250 nœuds ne serait ni économique ni rationnel, car à cette altitude la vitesse économique est très proche de 350 nœuds, ce qui fait un écart de 180 km/h ! 

Autre particularité de l'avion, le constructeur a pris un soin particulier au confort du passager en limitant le facteur de charge entre 0,9 et 1,1. Facteur de charge, qu'est-ce que c'est ? Lors d'une évolution quelle qu'elle soit virage ou ressource, la force centrifuge s'exerce vers l'extérieur de l'évolution. Tout être humain immobile subit un facteur de charge égal à 1. Selon les puristes le facteur de charge est un nombre sans dimension. Les pilotes de chasse l'appellent G car la réalité est que, quand ils subissent un facteur de charge de 7 à 8 G, que la force centrifuge restreint le flux sanguin vers la tête, que la vue devient de plus en plus sombre et provoque le voile noir, la simple contraction des muscles abdominaux ne suffit pas à atténuer le phénomène, on utilise alors un pantalon dit "anti-G". Jusqu'à 2 G c'est supportable, à partir de là cela devient pour le moins gênant, au delà de 4 G c'est la perte de connaissance assurée pour le novice ! Sans ambiguïté le facteur de charge a une dimension !

Le décor étant planté, passons maintenant à l'exercice pratique. Dès la mise en descente initiée, les automatismes vont réduire la poussée des moteurs au régime ralenti. Pour maintenir la vitesse la solution est d'amener la trajectoire de l'avion à piquer mais avec un facteur de charge compris entre 0,9 et 1,1 G (j'insiste). Pendant la descente la vitesse recherchée va augmenter pour passer de 270 nœuds à environ 350 nœuds. De par la contrainte facteur de charge (0,9 G) la vitesse avion va prendre du retard par rapport à la vitesse recherchée, l'avion va piquer de plus en plus et l'assiette prise est telle que petit à petit la vitesse avion va rattraper la vitesse recherchée puis la dépasser. A ce moment il va falloir diminuer l'angle de piqué pour maintenir les deux vitesses en concordance.

Et alors ? Alors le confort passager avant tout ... la ressource va s'effectuer avec un facteur de charge ne dépassant pas 1,1 G.

Et alors ? Alors la vitesse avion va continuer d'augmenter jusqu'au trait rouge : VMO (Velocity Maximum Operating). Le trait est Rouge donc il faut respecter la limitation d'autant plus que l'ordinateur nous envoie une alarme sonore très bruyante pour nous le rappeler au cas où l'équipage aurait été occupé à autre chose !

Mais pendant que je vous disais cela, la vitesse avion a continué d'augmenter, 10 nœuds au-delà du "Trait Rouge" il y a deux petit traits bleus je crois et quand la vitesse avion passe au niveau de ces traits bleus une seconde alarme se déclenche aussi stressante que la précédente et s'y ajoute, c'est le pilote automatique qui abandonne !

Bravo Monsieur "Airbus" vous nous laissez seuls devant les limites de vos automatismes. Faut-il rappeler que, pendant cette expérience, à part les indicateurs moteurs qui dévissent et le ruban de l'indicateur de vitesse qui défile, rien ne bouge dans cet avion : manches immobiles, manettes de gaz immobiles dans le cran CRZ (Cruise).

Moralité

Malgré les promesses du constructeur garantissant la sécurité exceptionnelle de cet avion, plusieurs démonstrations malheureuses ont montré que la protection basses vitesses n'était pas toujours assurée, ce qui vient d'être relaté plus haut, montré qu'il en était de même quant à la protection hautes vitesses.

La sécurité dans les transports aériens est basée sur des statistiques, il arrive parfois des cas de figure dans l'infime pourcentage de l'improbable. Un dicton dit « Don't be a statistic ! », on n'a jamais vu un tribunal condamner un pilote automatique !

Le pilote humain est certes faillible, mais il tient (en général) à sa vie aussi bien qu'à la vôtre !
 

Jacques BEAUDEAUX

Date de dernière mise à jour : 04/04/2020

Ajouter un commentaire