Jean Renault dit Benoît

Ancien pilote militaire d'une quarantaine d'années - j'en avais 29, à l'époque - démobilisé sur place et bénéficiant d'une petite retraite, Jean Renault, natif de Normandie, était une figure de l'île Heureuse (Madagascar) qu'il connaissait comme sa poche.

Nous avions racheté deux vieux Caudron Goéland qui dormaient depuis des années au fond d'un hangar d'Air France à Ivato.

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C-445 "Goéland"

Nous formions une solide équipe, dans une bonne humeur indispensable lors des nombreux aléas techniques rencontrés au cours d'une exploitation relevant du plus pur rodéo... ce qui, ceci dit en passant, m'ouvrit les horizons insoupçonnés de la débrouillardise en dépannage mécanique. Renault trouvait toujours une solution à tout et, à son contact, j'appris beaucoup sur le plan pratique. Par la suite, cela devait me servir en maintes occasions.

Pour la petite histoire, son surnom lui était resté d'une mémorable panne en brousse, alors que nous étions hébergés chez le missionnaire du village dépourvu d'hôtel. Seul européen à la ronde et vivant chichement, notre hôte était ravi d'avoir des compatriotes chez lui.

Renault, pris d'une frénésie de rédemption, emprunta discrètement une des soutanes kaki du curé, se présentant sous le nom fantaisiste de Père Benoît, à la disposition des femmes du village désirant se confesser...

- « Combien de fois, mon enfant. »

Ce n'était pas bien méchant et tout à fait dans son caractère de bon vivant, s’amusant de tout, alors que dans le travail il était intransigeant, faisant preuve du plus grand sérieux et d'une très grande compétence.

Avec les Goéland nous avions racheté tout un lot de vieux moteurs Renault-Aviation, en piteux état, ce qui nous occasionna de multiples incidents, dont je garde quelques souvenirs folkloriques.

Les moteurs de l'avion démarraient à l'aide du système Viet, dont le compresseur alimentait un accumulateur d'air comprimé sous forte pression. Le compresseur tombant fréquemment en panne, un dispositif de secours était prévu, un levier que l'on adaptait de façon à pouvoir regonfler l'accumulateur en pompant à la main, mais c'était pénible et assez long.

Au début, chaque fois que nous atterrissions à Losy sur la piste rougeâtre en latérite, nombreux étaient les curieux venus du village voisin, en pagne et sagaie à la main, voir le rouplane (l'aéroplane) des vazahas (étrangers). Benoît en profitait pour mettre au boulot les indigènes qui - sans trop en com­prendre la raison - se prêtaient, de bonne grâce, à cette gymnastique épuisante, mais, par la suite, détalaient et prenaient le large en nous entendant arriver. Plus un homme valide dans le petit village déserté...

Nous étions souvent obligés de prendre des risques en lançant à la main les hélices du Goéland, ce n'était pas chose facile. Encore heureux quand les moteurs partaient du premier coup, ce qui était rarement le cas.

J'entends encore Benoît me dire :

- « Jacques tu prends le droit, moi je vais me farcir le gauche. »

Pendant que je m'escrimais sur mon bourrin rétif, j'entendais Renault bougonner avec son savoureux accent d'Avranches :

- « Ah ! C'est-y pas de la tarte, quelle vacherie, saloperie de saloperie que c'te bourrique qui veut ren savouère ! »

Scène qui déclenchait chez moi une crise de fou-rire, à laquelle il ne tardait pas à faire écho, en s'essuyant les mains sur son short kaki, tandis qu'il reprenait haleine avant la prochaine tentative.

Ceci se déroulait dans l'environnement insolite de l'Orombé - massif ruiniforme de l'Ichaly, identique à Monuments Valley du Far-West - les Peaux-rouges étant remplacés par des indigènes, sagaies à la main.

Torse nu et ruisselant, sous les 40° du pays, j'étais heureux de mener cette vie qui comblait mon désir d'échapper à une existence routinière, même si parfois les risques étaient réels et le confort matériel réduit à sa plus simple expression. Souvent un lit de camp de fortune en plein air et sans moustiquaire, mais m'offrant en cadeau les milliers d'étoiles de l'hémisphère austral, dominé par la Croix du Sud, brillant au-dessus de l'Antarctique et des Kerguelen.

Dieu que j'étais heureux...


Jacques LALUT

Extrait de "Des histoires de l’air" de Jean Belotti (Éditions Vario - 2011)

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Date de dernière mise à jour : 09/04/2020

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