Photographe intégré dans le 2ème REI
J’avais 18 ans, un bon job. Une promotion m'était acquise à l’international mais je devais être libéré de mes obligations militaires. Pour accélérer le mouvement, je devançais l’appel en mai 1959, m’engageais pour deux ans à l’époque où les appelés du contingent frôlaient les 28 mois de service puisque maintenus au-delà de la durée légale.
Sorti maréchal des logis à l’issue d’un parcours moyen à l’EAT de Tours, freinant des quatre fers pour ne pas aller en Algérie, l’amphi garnison ne m’avait pas été favorable. Direction l’AFN où j’avais choisi une unité de transport à Aïn Sefra dans les Monts des Ksour pensant que la région serait éloignée des zones de combat… Totale désillusion.
Débarqué du « Rafale », très rustique train marchandises/voyageurs genre Far West, j’apprenais que cette zone du Sud-Oranais était le lieu de passage depuis le Maroc pour de nouvelles katibas venant renforcer le dispositif rebelle.
Au mess sous-off je m’étais lié d’amitié avec le sergent-chef Marc Flament, photographe fétiche du général Bigeard, un gars exceptionnel revenu d’Indochine, à la fois combattant et artiste.
Il était à la tête du Service Photo Information de la 13ème DI ZSO, il allait quitter le service actif. Connaissant mon intérêt pour la photo, il me proposait de prendre la suite à la tête du service qu’il dirigeait, établi en ville dans une ancienne maison de commerce. Là, lui et ses reporters résidaient, travaillaient au labo photo, exhibaient leurs reportages et où les militaires du secteur venaient faire tirer leurs pellicules à bon prix. En fait derrière les grands panneaux photos exposés à l’extérieur… il s’agissait en réalité d’une petite boutique dont les fructueuses activités de commerce alimentaient les bonnes œuvres du régiment voisin, le 2ème REI. Présenté pour accord au colonel patron du régiment, conscient de la tâche opérationnelle qui me serait confiée, Marc Flament venait de transformer un bidasse tringlot non volontaire pour l’Algérie en un participant à des actions de première ligne. J’étais administrativement « intégré » au sein d’un régiment de la Légion Étrangère vêtu d’une tenue camouflée et d’un béret noir, mon seul uniforme jusqu’à ma libération.
Je logeais donc en ville dans la boutique avec mes soldats/laborantins, un trois-pièces dont une réservée au labo.
Point d’orgue de mes nouvelles fonctions, les reportages en opérations. Outre des reportages ponctuels dans les unités du secteur je formais des soldats du contingent qui en 3 ou 4 semaines pouvaient rejoindre leur quartier comme reporter/laborantin.
Dès le déclenchement d’une opération une Jeep venait me ramasser pour rejoindre le terrain de Tiout s’il s’agissait d’une intervention héliportée ou m’intégrer dans le convoi routier de blindés M8 et GMC lors d’une opération terrestre. Rapidement, je me suis senti en sécurité au milieu de ces combattants bien encadrés par des officiers de valeur dont le grand mérite était d’avoir reçu un commandement dans une unité de la Légion Étrangère.
Le djebel M’Zi… Le 20 avril 1961, suite au franchissement du barrage électrifié par une forte bande rebelle, une opération héliportée est déclenchée pour rejoindre et anéantir les rebelles sur le djebel M’Zi, massif de sinistre réputation culminant à 2.145 m.
La DZ prévue pour l’héliportage a été sécurisée : 100 obus de 105 mm, intervention de deux chasseurs T-28 de Méchéria avec roquettes et armes de bord.
Sont engagés : l’EMT 1 et l’EMT 2 du 2ème REI à trois compagnies portées chacune, des éléments du 2/5ème RI et du 1er RCC sur EBR ainsi qu’une batterie d’artillerie.
Une première rotation d’hélicoptères de l'EHL 3/22 d’Oran forte d’un H-34 Pirate accompagnant six H-34 cargos avec 35 légionnaires vient d’être réalisée. La zone était très chaude, le Pirate et deux cargos du DIH touchés par des tirs sont redescendus dans la vallée et pour un temps sont désormais indisponibles.
H-34 Pirate
Les T-28 sont repartis. Les premiers sticks de légionnaires débarqués ne bénéficient plus de la protection du Pirate, cet hélicoptère armé d’un canon de 20 mm et de deux mitrailleuses de 12,7 mm.
Dans l'attente de l'héliportage
À bord de l’hélicoptère leader, le H-34 n° 729, je fais partie de la deuxième vague et nous approchons de la DZ assignée.
Vers 13h00, au milieu de gros rochers qui n’avaient pas été identifiés lors de la préparation de la mission, nous nous posons là où nous étions attendus, à moins de 100 m de l'endroit où les rebelles étaient bien dissimulés ! En appui deux roues, le H-34 est très instable et offre une cible idéale. La zone, battue par les tirs est désormais interdite aux autres hélicoptères qui nous suivent et ont bien compris la situation. Sévèrement touché, l’équipage tente d’élever leur machine, gagne 4 ou 5 mètres, puis perte de puissance, le H-34 retombe durement au sol. La manœuvre s’est avérée impossible tant les impacts ont endommagé le moteur, la boîte de transmission principale et touché le rotor de queue.
Immobilisé au sol, c’est l’évacuation immédiate de l’appareil. Courbant l’échine les quatre légionnaires et moi cherchons une protection dans les éboulis. Sous les tirs de petits calibres, le caporal légionnaire chef du stick se rapproche de moi et, tout en faisant le coup de feu me crie l’ordre « Chef, vous prenez ! » Je suis sergent, il respecte mon grade. C’est lui le professionnel et je lui fais signe de prendre en charge la situation. En rampant il nous dirige vers un petit mouvement de terrain et, de la main, nous éparpille ici et là en protection derrière de gros rochers tout en tentant d’observer les mouvements adverses. Seul élément débarqué, sans radio et isolé sur le M’Zi, c’est un contact direct les fellaghas. Je n’ai pas d’arme, seulement deux grenades DF 37. Aux appels à la reddition et l’assurance d’un bon traitement au Maroc, les légionnaires répondent par des injures musclées dans une langue qui souvent m’échappe, font le coup de feu tout en ménageant les munitions.
En face, la très redoutable mitrailleuse allemande MG 42 au « tac tac tac » cadencé caractéristique et devant laquelle l'AA 52 française fait pâle figure. Un obus de mortier éclate à proximité immédiate de l’équipage de notre hélico sans autre forme que l’assourdissante déflagration à l’impact.
L’air est brûlant, sans moyens radio, l’affaire est très mal engagée. La peur n’est pas là, c’est un autre sentiment qui prédomine tant la présence des légionnaires est sécurisante. Un Broussard d’observation tourne au-dessus du M’Zi mais la couverture aérienne qu’il est censé diriger n’est plus là. Enfin, vers 13 heures nous entendons en contrebas le « chop chop chop » caractéristique des H-34 puis apercevons une vingtaine de légionnaires qui peinent à rejoindre notre position.
Vers 14h30 les T-28 de Méchéria sont de retour et traitent une première position ennemie aux roquettes puis aux armes de bord. Plus bas, trois autres cargos débarquent de nouveaux renforts. Cependant la progression de ces éléments héliportés est lente. Un DIH de l’Aéro fort de cinq HSS-1 cargos et d’un 1 HSS-1 canon venu d’Oran renforce le dispositif avec des hommes du Commando Marine Trepel est aussitôt engagé vers notre refuge.
Guidés par le Broussard, deux gros chasseurs-bombardiers Skyraider larguent leurs bidons spéciaux sur un second emplacement rebelle. Ceux-ci décrochent et, talonnés par l’artillerie, descendent les oueds asséchés de la face ouest du M’Zi où deux bombardiers B-26 interviennent.
Plus tard, quatre Skyraider lâchent de nouveaux bidons spéciaux. Les tirs ont cessé, le calme semble s’être installé. La nuit est là, un Noratlas largue en altitude des lucioles rendant plus facile la progression des derniers éléments du bouclage.
Un P2V-6 Neptune de l’Aéronautique Navale reste en alerte Luciole au-dessus du secteur jusqu’à l’aurore.
Il fait jour, après récupération de certaines pièces, le H-34 est détruit par le feu.
Les restes du H-34 n° 729
À pied, nous redescendons du M’Zi, difficile escalade à l’envers de plus de 2.000 m vers Djeniene parmi d’énormes éboulis, sous une chaleur épouvantable.
L’une des plus grosses opérations du secteur venait de se terminer avec, autour de moi, quatre légionnaires bien formés, fiables et combatifs. Serein, j’ai tenu ma place, ne suis pas vraiment allé au contact pour des photos chocs. En fait ce genre de photo ne se commande pas, il survient subitement.
Quelques années plus tard, je reste profondément marqué par ces aventures, probablement mes plus belles années de jeunesse.
Alain Crosnier
Date de dernière mise à jour : 06/04/2024
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