Indochine - Une reco en Bearcat
Indochine EROM 80 - 21 juin 1954
Héros d’Indochine. Article de presse du 8 août 1954
Le Capitaine LAPICHE
Les hostilités en Indochine ont pris fin. Ce n’est pas une raison pour oublier ceux qui furent les Héros de l’Armée de l’Air en cette dure et douloureuse campagne et donnèrent tant de magnifiques exemples dont l’Aviation peut être fière. Le 24 juillet dernier, nous avons signalé en quelques lignes l'odyssée du Capitaine LAPICHE, remontant au 21 juin. Mais nous estimons que cela vaut mieux que ces quelques lignes. Rappelons que le Capitaine avait été envoyé en Indochine en mars 1953 et qu'il avait reçu le commandement de l'Escadrille de Reconnaissance Outre-Mer n°80 suite à la disparition de son chef, le Capitaine MOULIN, le 13 juin 1954.
COMMANDEMENT DE L’AIR EN EXTREME ORIENT
GROUPEMENT AERIEN TACTIQUE NORD. BASE AERIENNE TACTIQUE 190
ESCADRON DE RECONNAISSANCE OUTRE MER N°80
Compte Rendu du Capitaine Georges LAPICHE, pilote de l’avion F-8F N° 95 198
Le 21 juin 1954, à 9H20, le capitaine LAPICHE décolle de Bach Maï à bord du Bearcat N°198, pour procéder à une reconnaissance à vue selon l'itinéraire suivant : remonter la R.C. 1 jusqu'à Langson avant de suivre la R.C. 4 jusqu'à Dong Dang, à partir de ce point extrême situé en bordure de la frontière avec la Chine, redescendre vers Thaï Nguyen en patrouillant au-dessus des R.P. 32 et 33, arrivé au croisement formé par la R.C. 3 et la P.C. 13 suivre cette dernière jusqu'à Dai Tu puis s'enfiler la vallée du Song Cong jusqu'à son débouché et revenir à Bach Maï au cap le plus direct. Pour cette mission tout à fait classique, le sous-lieutenant LOYER assure la fonction d'équipier. La première partie de la mission se déroule normalement. C'est au moment de remonter la vallée du Song Cong que se produit l'irréparable.
Dans son rapport, le capitaine LAPICHE retrace la suite des événements :
« Vers 11H15, arrivant à une altitude comprise entre 2.500 et 3.000 pieds, à proximité de Dai Tu, j'observe de loin deux groupes de quatre alvéoles de 37 mm chacun, je ne remarque aucun départ de coups et les alvéoles me paraissent vides. Je les survole par une succession d'évolutions serrées. Mon opinion à leur sujet est confirmée. J'observe le secteur et effectue un virage sur la gauche pour emprunter la vallée du Song Cong. A la fin du virage, j'entends une forte explosion dans le moteur et simultanément l'avion accuse un choc violent. L'avion entier et surtout les capots moteurs sont soumis à des vibrations de très grande amplitude. »
Vu la violence de l'impact, le coup provient sans aucun doute d'une pièce de 37 mm particulièrement bien camouflée. Immédiatement le pilote met le cap sur le delta tonkinois et annonce à son équipier qu'il ne pourra certainement pas tenir l'air pendant très longtemps.
Pressentant une fin proche, l'équipier demande par radio l'envoi d'une patrouille de chasse de protection. Pendant ce temps, le pilote du Bearcat en difficulté tente de reprendre le contrôle de sa machine : « Effectuant un contrôle rapide de la cabine, je constate que les manettes des gaz et hélice sont toutes deux plein avant (position due, soit à l'inertie de mon bras au choc, soit à un geste instinctif de ma part), que la pression d'essence bat fortement aux environs de 25, que la manette de la richesse est pleine arrière. Je repousse la manette de richesse, réduis les gaz et le nombre de tours. Au bout d'une quarantaine de secondes, les fortes vibrations cessent et le moteur reprend un fonctionnement presque normal. J'annonce à mon équipier : ça va mieux, je vais peut-être pouvoir rentrer. Je regarde la température d'huile qui est momentanément stabilisée à 100. Pression non observée. Au bout de 20 à 30 secondes de fonctionnement normal, j'aperçois des fumées blanches à la sortie d'échappement droite, puis presque immédiatement après des flammes qui s'allongent rapidement. J'annonce que j'ai le feu au moteur et que je me prépare à sauter. »
Comme les flammes arrivent à la hauteur de la cabine, le capitaine LAPICHE n'hésite plus un seul instant. Voulant l'annoncer à son équipier, le pilote constate que sa radio ne fonctionne plus. Qu'importe, il faut immédiatement évacuer le Bearcat en feu. Il est tout juste temps car le moteur cesse de fonctionner et l'avion risque de passer en perte de vitesse. Après avoir réussi à quitter son Bearcat, le capitaine LAPICHE, accroché à son parachute, touche rapidement le sol en ayant tout juste eu le temps d'entrevoir son avion percuter la terre.
Une fois à terre, le capitaine LAPICHE fait le point de la situation : « Arrivé au sol indemne, je constate que la voilure de mon parachute déployée sur un arbre aura certainement été identifiée par mon équipier. Je me trouve sur une pente de 45 degrés. La végétation est composée de bambous très serrés dont les tiges courbées forment un genre de treillage à environ 40 centimètres au-dessus du sol (bambous de fraîcheurs diverses : verts, secs ou pourris) le tout parsemé d'arbres isolés ou en bouquets. Mon premier souci est de signaler à mon équipier que je suis vivant. Après avoir abandonné mon casque, déchiré mon bloc-notes et récupéré ma trousse de jungle, je fais une rapide reconnaissance pour chercher un endroit d'où je pourrais faire des signaux avec l'héliographe. »
Ayant repéré une zone relativement dégagée, le capitaine LAPICHE entreprend de la rejoindre en progressant avec difficulté. Arrivé sur les lieux, le capitaine LAPICHE étend sur le sol la toile de tente, face jaune visible, et entreprend de faire des signaux aux avions qui évoluent dans le secteur. Il est immédiatement repéré. Le chef des opérations du G.A.TAC Nord, le lieutenant-colonel de LOUSTAL, coordonne en personne les recherches à bord d'un Bearcat. Prévenu, l'hélicoptère ne met pas longtemps pour rejoindre le site.
Afin de ne pas se fatiguer inutilement, le capitaine LAPICHE reste assis, espérant que la petite clairière dans laquelle il se trouve, d'une vingtaine de mètres de diamètre est suffisante pour permettre son hélitreuillage. Finalement l'attente est de relativement courte durée, puisqu’entre 12H15 et 12H30 l'hélicoptère se présente à la verticale du capitaine LAPICHE.
Estimant qu'une récupération n'est pas possible à cet endroit, le pilote de l'hélicoptère fait comprendre au capitaine LAPICHE qu'il doit se déplacer plus au nord-ouest, selon un cap approximatif de 330°, pour rejoindre une zone plus propice à son sauvetage.
Le capitaine LAPICHE qui a parfaitement compris la situation poursuit son récit :
« Je décide alors de descendre vers les régions plates. Cette décision comporte le risque de rencontres indésirables et m'éloigne du delta, mais elle présente la seule chance de trouver une D.Z. accessible à l'hélicoptère. Je progresse beaucoup plus rapidement et avec une fatigue moindre en me laissant glisser sur le dos, les pieds en avant, sous le treillage des bambous. J'arrive rapidement à un petit talweg encore humide de l'écoulement des pluies récentes, l'empruntant j'arrive rapidement à un ruisseau puis à une rivière plus large.
L'eau étant claire et fraîche, je prends un premier bain très réconfortant, puis je consomme quelques pâtes de fruits après avoir mis dissoudre une pastille de stérilisation dans une gourde d'eau. Après un quart d'heure de pause je reprends ma progression continuant à marcher dans le lit des rivières. A partir de ce moment-là, la pente est devenue plus faible et j'ai commencé à trouver de petites pistes paraissant fréquentées.
Vers 14H15, apercevant une petite piste à pente très raide semblant conduire à une éclaircie de la végétation, je l'emprunte et au bout d'une trentaine de mètres, j'arrive dans une zone de culture (petits arbres d'une quarantaine de centimètres de haut constituant une
D.Z. idéale). J'étale la tente jaune, et je suis immédiatement repéré par un avion.
L'hélicoptère arrive trois ou quatre minutes plus tard et m'embarque. À bord se trouvaient
2 parachutistes chargés de me rechercher. Pour arriver à la D.Z., J'ai parcouru deux ou trois cents mètres en zone de bambous et environ 1,5 à 2 km en progressant dans le lit des ruisseaux et rivières. Ma progression s'est composée de deux branches au cap moyen de
330° séparées par une petite branche au cap moyen de 90°. »
L'équipage de l'hélicoptère se compose du capitaine PILLIVUYT, premier pilote, du sergent-chef CHERBLANC, copilote, du sergent-chef CHEVALIER, mécanicien, et du sergent ROBERT, infirmier, ainsi que de deux parachutistes secouristes chargés de secourir le pilote si celui-ci n'avait pu rejoindre la D.Z. par ses propres moyens.
Après une telle accumulation de pertes en moins de deux mois, il ne faut pas être surpris par le fait que l'EROM 80 en soit sérieusement affectée puisqu'elle termine le mois de juin 1954 n'ayant plus que sept avions en compte et six pilotes.
Date de dernière mise à jour : 02/07/2025
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