Éjection sur SM-B2
Le 15 avril 1960, je décolle de Cambrai en leader d’une patrouille de deux SM-B2. Je suis SCP, entrainé pour le brevet de chef de patrouille au mois de juillet suivant. Toujours sergent-pilote, j’ai 25 ans, le roi n’est pas mon cousin ! Mon équipier est Daniel Bonnie. La mission est une interception avec "Mazout" (Doullens).
Dassault "Super-Mystère" SM-B2
Arrivée à 35.000 pieds, "Mazout" n’a pas de target pour nous. J’informe Bonnie qu’il va effectuer des virages relatifs. Nous nous séparons donc. Peu après, "Mazout" nous signale un bogey à 12 NM, dans nos 10 h, 35.000 pieds. Je dis à Bonnie de rassembler, je prends le cap 270, à 0.90 de mach. J’ai très vite le visuel sur l’objectif qui traîne, j’engage mon attaque, c’est un Hunter. Méfiance, entre Cambrai et Chièvres c’est la bagarre permanente. J’arrive plein arrière, 800 m, 0.93 de mach. Le Hunter est stable, manifestement il ne m’a pas vu.
Bonnie est en protection, je m’attends à ce qu’il breake. Il ne bronche pas. Étonnant, car avec les Hunters de Chièvres c’est toujours des combats mémorables. Je le rattrape relativement lentement. Toujours rien. Je me dis que je vais faire la photo du siècle. Je suis juste au-dessus de sa traînée. Je le filme à bout portant, passe dans sa traînée, et là, je me dégage tellement difficilement de son souffle que je le percute. Avec mon aile droite, je lui arrache son empennage vertical.
Hawker "Hunter" de la FAB
Je reprends mes esprits et je constate une grande déchirure dans mon aile droite, environ 25 cm de large, profonde d’un bon mètre, une fuite importante de pétrole. Mon réacteur est éteint. Je suis en panne électrique totale. Je pense qu’au moment du choc, j’ai dû réduire les gaz et cela a pu provoquer l’extinction. J’ai pris instinctivement le pigeon base, je me mets à 240 kt. Je coupe la HP, les servitudes électriques.
Bonnie me rassemble en patrouille serrée, il fait des gestes désordonnés, je le sens paniqué. Je suis à 30.000 pieds, je descends, il vaut mieux attendre 20.000 pieds pour rallumer. Ma batterie ne donne aucun signe de vie, voltmètre à zéro. J’essaye de réarmer la batterie, en vain, le voltmètre ne bronche pas. Je me résigne à faite un "acontucou". Cela fait partie de notre entraînement de base.
Bonnie est toujours là. Mais au fur et à mesure que je me rapproche de Cambrai je me trouve au-dessus d’une couche de nuages, environ 7/8 de cumulus. Je ne me vois pas traverser une couche nuageuse en "acontucou" sans instrument et sans électricité. Je décide donc de m’éjecter. Je suis à 15.000 pieds. je fais signe à Bonnie que je vais m’éjecter, il me répond par le même signe !
C’est là que les ennuis commencent !
Sur le B2, nous avons un siège Republic, à commande basse. Je m’installe bien dans le siège, je largue la verrière. Je suis à 12.400 pieds quand j’appuie sur la gâchette. Un grand coup pied au cul, ce n’était pas encore l’époque des fusées ! Je ne perds pas connaissance, mais ça tourne !
La séparation siège se fait correctement, mais je tourne toujours. L’ouverture du parachute est automatique à partir de 10.000 pieds. Il se trouve que je venais de lire un livre de Sam Chazak, parachutiste professionnel, qui expliquait qu’en chute libre, titre de son livre, il suffit d’écarter les bras et les jambes pour se retrouver stable face au sol. J’essaye et ça marche. Je rentre un bras et je repars en tonneaux. Je retends mon bras et je me stabilise. Comme dans le livre !
J’estime que je dois être à 10.000 pieds au moins et mon parachute devrait être ouvert. Sam Chazak disait aussi qu’à leur premier saut, il arrivait que des parachutistes novices stressés tiraient le ventral alors que la coupole était ouverte. Je regarde vers le ciel : rien. Je prends la poignée et la tire. Un coup d’œil vers le ciel : rien. Je reprends la poignée qui était restée sur ma poitrine et la tire à fond. Rien. J’ai devant moi le câble d’ouverture du sac du parachute avec les quatre aiguilles qui montent vers le ciel et toujours rien.
J’ai gardé en mémoire l’image de Charlie Chaplin, dans "Le Dictateur", qui est en vol dos dans les nuages et qui voit l’eau de sa gourde qui monte vers le ciel ! Et c’est là que j’ai la sensation que je tombe, que je chute, et je me sens comme dans un tube qui arrive au sol et je vois le champ labouré où je vais m’écraser.
Je crie de désespoir, je m’agite et cherche à voir dans mon dos le parachute. J’aperçois en bas du sac le tissu blanc de l’extracteur, gros comme un mouchoir. Je tire dessus, puis tire encore plus fort. L’extracteur jaillit, puis le parachute, puis l’ouverture : un grand choc, je pends dans les sangles comme un sac de sable. Je dégrafe mon masque à oxygène, je me frotte le visage, je suis vivant et « boum » je touche le sol. Il y a peu de vent, je ne suis pas traîné au sol, me libère aisément du harnais, je me relève : indemne !
Je vois un cultivateur arriver en tracteur. Il travaillait dans le champ où j’ai atterri. Il m’amène en voiture à Haucourt où je téléphone à la base. Peu de temps après, je vois mon Commandant d’Escadron, Castellano, arriver, un tube du canon de 30 mm à la main, le visage fermé, j’ai cru qu’il allait me donner un coup de canon ! Nous allons à Lesdain où mon B2 s’est écrasé. Il a fait un cratère d’une dizaine de mètres de diamètre, profond d’environ 3 m. On voit très peu de débris, un peu de pétrole stagne au fond du cratère.
L’avion s’est enfoui profondément dans le sol bien meuble. Une fois le carburant pompé, le sol a été nivelé, mon B2 pulvérisé est resté enfoui !
Au cours de l’enquête, j’ai eu beaucoup de mal à faire admettre la véracité de mon rapport. Un parachutiste d’essai affirmait que mon parachute ne s’était pas ouvert car je devais être en chute libre sur le dos, stabilisé, et qu’il s’était formé une dépression qui empêchait l’ouverture du parachute.
Je leur répétais ce que j’avais fait en essayant ce que disait Sam Chazak. Mes chefs, Castellano le premier, me croyaient. Et quand je me tortillais pour essayer de voir le sac dans mon dos, je n’étais sûrement pas stabilisé ! Quant à la durée de ma chute libre, il y avait 400 m entre le siège et l’endroit où j’ai touché le sol ! Nous étions dans le même champ ! De l’altitude de la séparation siège-pilote, 12.000 pieds, jusqu’au sol nous avons chuté de concert, et mon parachute s’est ouvert vraiment très, très bas. La poignée chrono-barométrique a été retrouvée 2 mois plus tard et il a été prouvé qu’elle avait parfaitement fonctionné automatiquement.
Finalement, les enquêteurs se sont rendus à l’EMT où les ensembles de survie étaient vérifiés tous les 90 jours. On a placé 11 parachutes sur la table de pliage, on a tiré 11 poignées : quatre sacs ne se sont pas ouverts ! Les ensembles de survie restaient dans les avions en permanence et n’étaient donc vérifiés que tous les 3 mois.
Comme on n’avait pas peur des G à la 12ème Escadre, les parachutes sortaient des B2 complètement tassés, et le ressort du parachute extracteur était inefficace ! On a donc modifié la cadence des vérifications.
Conclusion : vingt points négatifs. Pour deux avions au tapis, ce n’est pas cher. Je pense que comme je m’en suis sorti par miracle, j’ai bénéficié de l’indulgence du jury ! Trois mois après, toujours sergent, je passais mon brevet de Chef de Patrouille.
Cinq jours après mon éjection, je rejoignais le 3/12 qui était en échange à … Chièvres ! Au briefing escadre du lendemain, le Wing-Commander se lève et dit :
- « Aujourd’hui les Belges, nous restons au sol : Fourquet est arrivé »
Véridique.
Le pilote du Hunter était un Major qui faisait ses heures d’abonné. Il a cru que son avion avait explosé ; il s’est éjecté aussitôt. De 35.000 pieds le temps lui a paru long ! Il s’est posé en Belgique. Moi en France, chacun chez soi !
Au dîner de la Chasse de 1960 Castellano a fait fabriquer un prisme de 50 cm de haut, avec le blason du Cornouailles, décoré par une photo de l’épave du Hunter, et la mention :
Escadron 3/12 Cornouailles
Première victoire aérienne sur chasseur à réaction
Bernard FOURQUET
Date de dernière mise à jour : 10/04/2020
Commentaires
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- 1. Paul Yollant Le 14/04/2020
Salut Bernard,
Je viens de tomber par hasard sur ce site de Jean Houben que j'ai connu en transfo C-135.
Le pentathlon est loin !
J'ai apprécié ton récit d'éjection dont je n'avais pas entendu parler.
Amicalement
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