Une ops dans l'Ennedi
Cinq jours déjà, tout le détachement d’hélicoptères de Mongo campe au bord de la piste d’atterrissage, une simple bande de sable dégagée de tout obstacle, de l’oasis de Fada, au pied du massif montagneux de l’Ennedi, préfecture du BET (Borkou, Ennedi, Tibesti).
Le décor est planté pour une "grosse Opé", camions radios couronnés d’antennes, village de toile ‘"Saga 3". Dans la tente PC, qui forme le quatrième côté du quadrilatère, Soleil s’active, avec ses officiants tchadiens, devant le rhodoïd d’une grande carte au 1/250.000.
Les punaises, de couleurs et de tailles différentes, se multiplient sur la brillance du plastique. La main de Soleil se plaque, les cinq doigts écartés couvrent d’un seul coup 100 km2 de Tassalis (2) façonnés par les vents du couloir du Borkou, de Gueltas (3) creusées par des siècles d’oueds disparus, aplatissant par ce mouvement les Barkhanes (4).
Soleil tapote de la pointe du Khalam, plume en tige de mil, la tête d’une punaise et révèle LA manœuvre :
- « Les deux escadrons motorisés foncent plein Nord vers ce cirque rocheux, là, on boucle à l’endroit voulu les véhicules venant de Libye, on héliporte dans la nasse ainsi créée et on straffe les fuyards »
Tout est là, comme sur l’estrade d’un amphi devant une caisse à sable (Sic …), acquiescement chez les responsables de l’ANT, on ne peut décemment pas se tromper. À la fin de cette ’’messe‘’ et avant de se retirer, on précise :
- « Paris a les yeux sur nous ! ».
Cinq jours où le sable entre et s’insinue partout. Les ‘’reverses‘’ du Transall matinal ou du DC-3 de ‘’La Tchadienne" remplissent les sabliers que sont devenus le matériel d’environnement et de bivouac du DIH-Air.
Le bouclage par la colonne militaire tchadienne de la caravane de contrebande, on annonce 17 camions de marque japonaise chargés d’armes et de munitions de contrebande, se fait quelque peu attendre (5).
Cinq jours où les Cooleman (6), que chaque équipage amène dans la soute, se vident de leurs victuailles. L’art d’accommoder le bœuf en boîte avec des oignons locaux se vulgarise, quand les rations modèles 57 apparaissent.
Le Cdt du détachement "Air" décide d’effectuer une opération "recherche et prise de viande sur pieds dans le cheptel saharien".
Le lendemain deux H-34 cargos et un "Pirate" avec deux tireurs à bord décollent en direction de la dépression du Mourdi où des gazelles Dorcas (7) ont été aperçues. Le safari héliporté démarre, les tireurs Bernard et Jacky se lancent dans cette mission nouvelle à bien des égards.
H-34 "Pirate"
En effet, après avoir repéré un troupeau, il faut :
- Pointer en léger décalage sur un objectif d’une grande mobilité et d’une imprévisibilité quelque peu déconcertante,
- Tirer 2 à 3 obus pour ne pas hacher le gibier et transformer cette viande délicate en hachis pour hamburger, voilà pour la partie aérienne.
Au sol, on se doit de :
- Saigner les bêtes abattues, compte tenu de la température élevée,
- Transporter celles-ci sur plusieurs mètres jusqu’au cargo rotors tournants,
- Des volontaires ? Nos deux ‘"titulaires canons" sont à l’ouvrage, seuls, à pied dans un chaos de sable et de rochers en grès rose et rouge décor digne des grands "westerns spaghetti" en cinémascope.
Le soir, sous une voûte céleste grandiose où les traînées lumineuses des étoiles filantes ne troublent en aucune manière Cassiopée et Orion, l’ensemble du personnel déguste les cuissots grillés à la braise ; les invités se font nombreux pour ces petits festins simples et conviviaux.
Le matin, les vautours et autres charognards s’invitent également pour finir les restes.
Au troisième soir, dans le groupe des invités un responsable tchadien du renseignement est là, il s’enquiert de la localisation des safaris, on lui montre la dépression sur la carte ;
- « Intéressant, c’est une zone où les rebelles Toubous (8) peuvent séjourner ».
Le surlendemain l’approche de la piste de Fada par les charognards et autres rapaces ne s’effectue plus : il n’y a plus de carcasses à déchiqueter et on déstocke, de nouveau, les rations.
Et le bilan ?
Deux suspects pris par les soldats de l’ANT et beaucoup d’heures de vol d’hélicoptère pour transporter… des moteurs neufs en dépannage des véhicules des escadrons tchadiens lancés sur la piste historique de Koufra !
Et le convoi de camions ?
Avec le potentiel du Nord 2501, de longues RAV sont organisées aux confins des frontières soudano-libyennes. Immense panorama minéral s’étendant à perte de vue, désert intégral avec ses cordons de dunes perpétuellement balayées par des vents qui saturent l’atmosphère en poussières de silice.
Nos fusiliers-commandos changent de fonction : observateur par les hublots latéraux et par ceux de la coquille arrière de la "grise", mais point de camions nippons en vue.
L’opération démontée, le DIH-Air retrouve Mongo avec ses "boukarous".
Les Cynocéphales, sur la montagne de "la femme couchée", assurent la veille du parc des H-34 aux pales pendantes, monstres tristes parce qu’en "chaussette" (petites bâches couvrant les bouts de pales avec attache de corde).
Bernard LART
(1) Soleil : à cette époque les généraux de l’Armée de terre avait pris l’habitude de s’octroyer cet indicatif radio.
(2) Falaises de grés.
(3) Gueltas.
(4) Dunes ocre en forme de croissant.
(5) Et pourtant, la première lettre de l’alphabet classait ce renseignement "venant de Paris", mais l’immatriculation manquante de ces véhicules a, peut-être, troublé le déroulement prévu.
(6) Garde-manger portatif acheté au foyer de la base de Fort-Lamy.
(7) Et quelques gazelles Ndama.
(8) Fiers, irascibles guerriers, les nomades Toubous sont divisés en deux groupes, les Tédas du Tibesti et les Dazas (ou Goranes en arabe ) implantés dans le Borkou-Ennedi.
Date de dernière mise à jour : 14/04/2020
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