Double extinction réacteur sur Fouga
Orange, ETR, novembre 1964.
Temps de cochon, cela arrive de temps en temps dans le midi, et quand c'est le cas, c'est 35.000 pieds avant de voir le ciel clair et un petit plafond suffisant pour mettre les avions en l'air. Idéal pour rattraper les missions VSV en double, sous capote pour les élèves, missions que l'on répugne à faire par tempête de ciel bleu.
Je me trouve donc prévu sur le tableau d'ordre, en place arrière du Fouga n° 399 EW, avec un moniteur qui n'est pas mon moniteur habituel (ce qui se produisait assez souvent), pour un décollage en début de matinée.
Entre autres exercices, il est prévu que nous fassions des S verticaux aux alentours du niveau 200. Si je me souviens bien, il s'agissait de descendre du niveau 220 ver le 190, simplement en réduisant les gaz et en conservant stables la vitesse et le cap, de faire un beau palier et de remonter vers le 220, etc.... Pas trop difficile ...
La couche est si dense que mon moniteur me fait sortir de la capote juste après le décollage car il juge plus opportun de me mettre en conditions réelles de pilotage sans visibilité.
Début d'exercice après une montée et une mise en palier sans problème : dès la réduction des gaz, le réacteur gauche s'éteint, entrée d'air partiellement obstruée par la glace qui s'est accumulée lors de la montée car nous sommes bien sûr entre l'iso 0 et -10 °C.
CM-170 Fouga "Magister"
Je me sens bien dans ce petit Fouga ! Autant j'étais mal à l'aise dans le T-6 dans ma phase d'instruction précédente (coussin sous les fesses, coussin dans le dos à cause de ma petite taille qui n'a rien de commun avec le gabarit du pilote yankee moyen) autant je suis à l'aise dans ce nouvel avion.
C'est donc sans émotion particulière (après tout il nous reste un moteur !) que j'annonce à mon moniteur que je suis prêt pour appliquer la procédure de rallumage.
Peut-être un peu moins confiant que moi en mes capacités, mon moniteur me décharge de la manouvre et me demande simplement de lui lire la procédure sur la check-list.
En descente vers l'altitude adéquate j'annonce donc :
- « Ramener la manette des gaz du réacteur éteint vers la position plein réduit »
- « Manette plein réduit » me répète mon moniteur et simultanément j'entend le réacteur droit dévisser et un
- « M....! je me suis trompé de côté ! »
D'un seul coup, l'ambiance change ! Je ne me sens plus aussi à l'aise ! La température intérieure si douillette se change très vite en atmosphère glaciale, la verrière se couvre de givre aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur, la radio devient très, très faible juste après que nous ayons prévenu la direction des vols et Rambert (je crois) de notre double extinction. De temps en temps nous entendons, très faiblement, le surveillant des vols qui nous appelle, puis plus rien !
Mon moniteur me confie le pilotage aux instruments (évidemment nous sommes toujours IMC) et se consacre aux manœuvres de rallumage mais beaucoup trop tôt, ce qui a pour effet de mettre notre batterie complètement à plat avant d'avoir atteint la bonne altitude pour avoir une chance de réussir !
Place arrière du Fouga (Pyperpote)
Les gyros n'étant plus alimentés, le flag ne tarde pas à apparaître dans le cadran de l'horizon artificiel et mon moniteur me recommande de ne me fier qu'à l'aiguille.
En cap de retour vers Orange, nous nous faisons quand même du souci ! Le plafond inférieur à 800 pieds, 30 mn plus tôt, ne s'est certainement guère amélioré.
L'altimètre continue à descendre allègrement et nous passons maintenant les 10.000 pieds. J'ai déjà resserré les sangles de mon parachute depuis un bon moment et mon moniteur a énoncé les manœuvres à effectuer pour évacuer l'avion : déboucler les sangles du siège, resserrer celles du parachute, larguer la verrière et passer sur le dos en déroulant le trim de profondeur vers l'avant… je me demande quand il va déclencher la manœuvre et, lorsque nous passons les 9.000 pieds et que je lui pose timidement la question :
- « Est-ce que nous ne devrions pas évacuer ? »
il me répond qu'on va encore attendre un peu et re-tenter une manœuvre de rallumage ! Le problème, c'est que la batterie ne l'entend pas de cette oreille et qu'elle n'en peut plus !
Nous grattons la verrière pour essayer de voir le sol, l'altimètre ayant passé les 5.000 pieds, mais en vain.
Passé les 3.000 pieds, mon moniteur m'annonce royalement que maintenant, de toutes façons, il est trop tard pour sauter et qu'il va falloir essayer de se poser quelque part.
En pleine manœuvre de pompage pour sortir le train en secours, et passant les 1.500 pieds, nous sortons de la couche et nous apercevons le terrain de Donzère dans nos 10 h ! En plus nous semblons assez bien placés pour réussir un atterrissage de fortune ! Un bonheur n'arrivant jamais seul, le réacteur gauche, toujours sollicité par mon moniteur malgré une batterie plus que moribonde, démarre comme par miracle.
Dès lors tout s'enchaîne avec bonheur : redémarrage du droit, des gyros, du dégivrage de la cabine, des radios, du réchauffage Pitot (qui m'a bien tracassé !) etc...
Retour à l'escadron nous avons eu, bien sûr, les honneurs du cahier de marche humoristique.
Mon moniteur s'est chargé du compte-rendu d'incident certainement de belle manière car, quelques temps plus tard, lors d'une rencontre fortuite sur une base, plus loin dans ma progression, il m'a offert un pot pour arroser les points positifs qu'il avait récoltés pour la façon dont il s'était sorti de notre mésaventure !
Gérard PAIN
Date de dernière mise à jour : 12/04/2020
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