Des règlements protecteurs, pour qui ? pour quoi ?
Protecteurs de quoi ? Protecteurs de qui ? Jusqu’où ? L’enfer est pavé de bonnes intentions
Anecdote 1
En 1968 je passais pratiquement tous mes week-end à sauter en parachute. Le pilote du Broussard, à Azelot, me poussait à passer ma qualif largueur pour que je puisse l’aider. Après m’être fait un peu tirer l’oreille parce que je préférais sauter, je me rends au bureau des licences, à Essey, pour me renseigner. Le gars regarde mon carnet de vol et me dit :
- « Ce n’est pas possible pour l’instant. Il vous faudrait 50 h de Broussard et vous n’en avez que 30. Par contre, je peux vous donner la qualif qui vous permettrait de larguer à partir du Dragon, à Lunéville. Vous comprenez, pour le Dragon qui est bimoteur, il suffit de 100 h de bimoteur et vous les avez sur Fouga. Réglementairement c’est bon. »
J’ai vite quitté son bureau, content qu’il n’y ait pas eu de témoin. Je connaissais trop les gars du para-club de Lunéville et j’aurais eu bien du mal à les convaincre que, pilote de Mirage, je me voyais mal larguer 8 paras sur un avion sans double commande que je ne connaissais pas, et sans un minimum d’expérience du largage.
Anecdote 2
Pour les vacances de ce même été 1968, avec trois amis parachutistes dont l’un venait d’obtenir son PP1 à l’ENAC, nous prévoyons de faire un voyage dans le nord de l’Europe. À charge pour lui, qui avait un peu de temps libre, de trouver un avion. Un peu plus tard il m’annonce qu’il a trouvé un Wassmer Super IV disponible. Petit problème : j’ai bien un brevet de pilote privé valide, mais pas la qualif train rentrant.
Mon copain avait des entrées à Saint-Yan. Moyennant un petit crochet sur l’itinéraire de départ pour faire un contrôle en vol, j’ai pu obtenir le précieux document qui m’autorisait à rentrer et à sortir le train d’un avion civil.
Anecdote 3
Juste avant de quitter l’armée, à Salon en 1979, je décide de me faire délivrer un brevet de Pilote Professionnel par équivalence de mon brevet de pilote militaire. En prévision d’un contrôle par un pilote inspecteur civil, je m’entraîne sur Mousquetaire et, aussi et pourquoi pas, un peu sur Noratlas pour respirer un peu de CAG.
Surprise : aucun contrôle en vol n’est prévu. La seule obligation est de se déplacer, à Marseille, dans je ne sais plus quel bureau, pour jurer que nous garderons pour nous les secrets que nous pourrons entendre sur les ondes du trafic aéronautique.
J’ai cru à une plaisanterie et j’ai téléphoné au dit bureau pour lui expliquer que, pendant des années, j’avais utilisé les fréquences radio des Forces Aériennes Stratégiques et que tous mes vaccins de la sécurité militaire étaient à jour. Nenni. Il a fallu que, avec deux ou trois copains dans mon cas, nous fassions l’aller et retour à Marseille.
Pour quoi ? Pour qui ?
Anecdote 4
Encore un peu de médical pour terminer.
Un jour, un commandant d’escadrille de l’escadron d’instruction dont on m’avait confié le commandement demande à me voir. Il m’indique qu’un élève dont il a la charge a des difficultés, qu’il est souvent arrêté de vol pour raisons médicales, et il craint de ne pas pouvoir mener à bien sa formation dans des délais prévus.
Comme je suis assez copain avec le toubib PN en qui j’ai toute confiance, je l’aborde au mess autour d’un café pour avoir son avis. Secret médical !
La semaine suivante le gars se refait porter pâle. Je revois le toubib en lui précisant que ce gars risque l’élimination.
- « OK, je vais voir ce que je peux faire. »
La semaine suivante, le gars revient encore de l’infirmerie avec un arrêt de vol de deux jours et le toubib m’appelle. Nous discutons deux minutes dans son bureau et il me dit :
- « Essaie de le faire parler. Pour moi il n’y a rien de médical. »
Je convoque le gars en tête à tête pour essayer de comprendre et de savoir s’il a des problèmes avec le pilotage, avec son moniteur, ou des problèmes plus personnels. Il reste debout sur les freins et fermé comme une huître. En désespoir de cause et en accord avec son moniteur qui ne sait plus que faire, nous le changeons de moniteur (en cas de ratés ou d’arrêt brutal et intempestif d’un moteur, en vol : je change de réservoir).
Après une légère amélioration le gars a replongé. Nous en avons bien discuté avec le toubib et avec le chef moniteur, et la formation de ce pilote s’est arrêtée là. En école surtout, le rôle du toubib m’a paru fondamental. Il apportait le regard extérieur et la touche d’humanité qui manquaient parfois aux "guerriers » que nous pensions être.
À titre plus personnel, j’ai rencontré des toubibs qui, parapluie grand ouvert ou tout heureux de trouver un "cas", semblaient justifier leur fonction en arrêtant de vol des pilotes.
Mais j’ai toujours une pensée reconnaissante pour un médecin du CEMPN, à Strasbourg, qui a écrit et signé de sa main le papier m’autorisant à effectuer un vol sur Jaguar. C’était seulement quatre mois après ma sortie du plâtre. Ce papier, à usage unique, a été détruit juste après l’atterrissage de ce vol. Je n’ai plus le nom du gars et je le regrette aujourd’hui.
À Nancy aussi nous avions eu un médecin formidable. Quand il était de garde, il quittait souvent son infirmerie pour passer un moment avec nous après les vols de nuit. Il y a gagné toute notre confiance, appris bien des choses sur les mœurs et sur l’égo des pilotes et, aussi, à piloter le Fouga et le T-33 … de la place arrière uniquement.
Denis TURINA
Date de dernière mise à jour : 29/03/2020
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