Daguet aux vermicelles

L'histoire se passe en 1991.

Un C-130 Hercules de l’ET 2/61 "Franche-Comté", membre du club Daguet, faisait du tourisme dans un riche pays arabe pétrolier du Moyen-Orient.

L’équipage de ce merveilleux quadri-turbopropulseur moderne, contemporain du Noratlas, comprenait bien sûr pilote, co-pilote, navigateur et surtout deux mécaniciens, héros de cette histoire : un Ancien, vraiment Ancien, ayant gravi un à un tous les échelons de la hiérarchie des mécaniciens d’équipage en escadron avant d’accéder au plus haut niveau, chef de spécialité et, à l’instruction, un tout jeune dont le macaron portait encore des traces de graisse de stockage sur la roue dentée.

Au cours d’une escale prolongée dans la capitale de ce royaume, nos deux amis, sans doute fatigués par une journée passée en circuit touristique aux confins nord du pays, proches de la verdoyante Mésopotamie, décidèrent après le repas du soir de passer un moment devant la télévision dans le salon de leur luxueux hôtel, avant d’aller goûter un sommeil réparateur.

Chacun d’eux bien installé dans un confortable fauteuil, seuls Européens dans un salon plein de Bédouins en djellaba, suivait d’un œil distrait l’image, le son restant inaccessible à leurs oreilles occidentales. Tout à coup, des vermicelles se mirent à défiler sur l’écran, en incrustation. Pour les non-initiés, c’est ainsi que les membres du club Daguet avaient baptisé l’écriture arabe. Donc dès que les vermicelles, rouges en la circonstance, commencèrent à défiler – de gauche à droite bien sûr – toutes les djellabas se levèrent comme un seul homme et sortirent, abandonnant le salon à nos deux amis.

Du haut de ses 10.000 heures de vol et fort d’une solide expérience acquise au cours de nombreux voyages dans la région dont un, en particulier, de l’autre côté de la mer Rouge, au Nord du pays de la reine de Saba (1) où les autochtones lui avaient réservé un accueil particulièrement chaleureux, l’Ancien ne perdit pas cette occasion de parfaire l’instruction du jeune et se pencha vers lui :

- « Tu vois, c’est l’heure de la prière, ils l’annoncent à la télé. Il doit y avoir une mosquée dans le coin. »

- « Ah ! Bon » dit le jeune, admiratif.

Leurs yeux se reportèrent vers la télé au moment où les vermicelles disparaissaient pour faire place à de l’écriture européenne, défilant de droite à gauche, qui disait toujours en rouge, en anglais et en substance :

- « Alerte Scud ! Tout le monde aux abris. Alerte Scud ! Tout le monde aux … »

- « Ah ! M… ! dit sobrement l’Ancien. Tu sais où sont les abris ? »

- « Non » dit le jeune, beaucoup moins admiratif.

Dans l’ignorance ne sachant pas lire les différents avis et pancartes où les vermicelles semblaient les narguer à plaisir, nos deux amis décidèrent de passer sur la terrasse de l’hôtel. Ainsi, ils eurent droit au spectacle, image et son cette fois, d’un Scud détruit par un Patriot.

Cette histoire est véridique, c’est l’Ancien lui-même qui me l’a racontée et m’a autorisé à la publier. Je n’y ai rien changé.


Robert CHAUVIN

Extrait du "Recueil de l'ADRAR" Tome 1

Date de dernière mise à jour : 07/04/2020

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