Coup de chaud dans le froid
Les relèves actuelles sur Nouméa se font en Airbus 340 en faisant une escale par Khabarovsk (UHHH). Khabarovsk est la capitale administrative du Kraï. Elle est située dans l'Extrême-Orient russe, au confluent des fleuves Amour et Oussouri, à 30 km environ de la frontière chinoise, et à 800 km au nord de Vladivostok. C'est la deuxième plus grande ville de l'Extrême-Orient russe après Vladivostok, avec 577.668 habitants.
La cinématique est maintenant bien rodée, un équipage amène l’avion de Paris jusqu’à Khabarovsk. Un autre équipage, qui a été mis en place via la VAC Aeroflot, effectue l’étape Khabarovsk - Nouméa.
L'aérogare de Khabarosk
Après l’escale, nous redécollons de Khabarovsk avec 241 passagers à bord à une masse de 247 t dont 86 t de pétrole le 9 novembre à 23 h 55 Z, soit le 10 novembre à 10 h 55 Loc. Pour un trajet prévu de 10 h de vol passant au-dessus du Japon, de Guam, des îles Salomon et enfin de Nouméa.
30 mn après décollage, en passant le FL 315 vers le 330 (notre niveau de croisière), alors qu’une bonne odeur de croissant chaud venant du galley commence à venir caresser nos narines, l’alarme "ENGINE FIRE 3" retentit dans le poste de pilotage.
La réponse de l’équipage est immédiate :
FLY NAV ECAM :
- réduction de manette de puissance 3
- coupure du moteur
- au moment où le PNF, après confirmation du PF, s’apprête à couper l’ENG FIRE P/B puis donc de disher, la panne s’arrête comme par miracle. Le temps semble suspendu…
Ouf mais pas de conclusions hâtives, pas de fausses joies, restons concentrés. On poursuit la procédure.
Le moteur est sécurisé, maintenant la priorité c’est la sortie de l’airway, descendre vers notre rétablissement N-1 donc affichage du 7700 et envoi d’un message de détresse MAYDAY.
Manettes de l'A340 (Coll. S. Ville)
Il est toujours difficile de trouver les mots justes pour décrire parfaitement ce type de situation. Comme tous les pilotes, j’ai essayé d’imaginer quelle serait un jour ma réaction face à une situation grave comme celle-ci ; ma conclusion était : du stress et de la confusion.
En vérité, j’ai pu mesurer, même sur ce temps très court, le niveau de professionnalisme que nous donne l’Armée de l’air. En effet, toutes les actions ont été fluides, naturelles, pertinentes. un moment, avec Pierre on s’est fait la même remarque :
- « J’ai l’impression d’être au simulateur ».
Khabarovsk CTL est très réactif, plus aucun trafic n’intervient sur la fréquence, nous sommes autorisés au cap et au niveau demandé.
Bien, l’ECAM est effectué, i.e. la panne est sous contrôle, maintenant le bilan :
- Bilan technique : nous avons eu un feu moteur, il est maintenant sous contrôle : ENG SECURED
- Bilan opérationnel : pas de rallumage possible, pas de poursuite étape
- Bilan commercial : 241 pax à loger
Les options ?
- Tokyo : très bien pour les Pax, mais à 1H30 de vol, trop loin. Pas dans leur zone de CTL.
- Vladivostok : juste dessous mais brouillard givrant et très faible visibilité.
- Khabarovsk : bonne visi, terrain connu avec la présence de l’attaché de l’air.
La décision, simple : Khabarovsk.
Information :
- Le CTL : on demande un nouveau cap et la descente vers le 200 pour éviter le givrage (au-dessus de la couche) et pouvoir consommer plus
- "Circus Vert" :
- « Déroutement sur KHV cause feu moteur, présence de l’AA impérative à l’ATR »
- Information de la cabine via le CCP :
- « Surtout ne faisons pas paniquer les pax, David tu me fais un check régulier de l’état du moteur »
Je fais une annonce aux passagers au PA, j’explique que pour des raisons techniques nous devons donc retourner sur KHV. Pour ce faire nous allons défueler du carburant par les vide-vite. Une certaine lassitude se fait sentir chez les passagers mais aucune trace de panique : l’objectif est donc atteint.
Nous évacuons 60 t de carburant avec l'accord du contrôle aérien russe au niveau 200, compromis judicieux entre consommation et givrage.
Délestage carburant (Coll. S. Ville)
Le destin nous confirme notre choix de déroutement en faisant passer le terrain CAVOK, exit le brouillard et le givrage.
L'avion est posé à Khabarovsk en N-1 réel, à la grâce de Dieu, à 2 h 15 Z.
Au sol, les deux mécaniciens de la TAP à bord examinent le moteur nº 3 et concluent qu'il n'y a pas eu de feu réel.
Il s'avère que les deux boucles de détection incendie sont tombées en panne simultanément (fait rarissime, probabilité <10-8). La première de façon irrémédiable, et la seconde de façon intermittente (ce qui explique la disparition de l'alarme FEU dès la coupure moteur).
L'avion est réparé et repart à 5 h 25 Z vers Nouméa avec le même équipage.
Sébastien VILLE
Origine du texte : "Estérel Club"
Date de dernière mise à jour : 13/04/2020
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