La vie exaltante d'un copilote au long cours
Les rotations se succèdent et je parcours le monde avec un grand appétit. Je fais surtout des vols vers les USA, ce qui m’amène à dire quand on me demande quel métier j’exerce que :
- « Je suis veilleur de nuit sur l’Atlantique Nord ! ».
J’adore cette vie de pilote de long-courriers, si riche de paysages et de choses nouvelles. Lorsque mes voyages m’amènent dans des pays peu développés, où je vois beaucoup de pauvreté, je mesure la chance incroyable qui m’a fait naître en France, un pays béni des Dieux (Heureux comme Dieu en France, disait-on en Germanie). Et de plus, cette chance inouïe m’a fait accéder à un métier prestigieux.
Une chose qui était particulière à cette époque et qui a disparu aujourd’hui, c’est la tabagie à bord. Nous fumions pratiquement tous et sur un vol de nuit du type New-York / Paris, nous étions quatre dans le cockpit (deux pilotes, un mécanicien et le navigateur) et c’était pratiquement un paquet de cigarettes pour chacun qui se transformait en fumée. Le cockpit était si enfumé que nous ouvrions la petite trappe qui permettait de sortir le sextant pour faire le point astronomique. Cela créait un trou d’environ 4 cm de diamètre par lequel s’échappait en un instant la fumée du cockpit, dans un bruit strident de dépressurisation.
Dans la cabine passagers, on fumait aussi à qui mieux mieux. Le renouvellement de l’air était automatiquement régulé par une vanne rectangulaire qui s’ouvrait plus ou moins en coulissant. Cette vanne finissait par ne plus fonctionner correctement, engluée d’un infâme magma de nicotine, que les mécaniciens sol nettoyaient périodiquement, en prenant des précautions pour se protéger d’un contact très cancérigène. Dieu merci, fumer est maintenant interdit sur tous les avions de ligne au monde.
Malgré ma relative jeunesse, cette vie sur long-courriers est fatigante et ce sera le cas durant toute ma carrière. Mon heure physiologique est rarement là où je passe mes nuits, ce qui m’amène à dire à mes amis que mon fuseau horaire personnel est quelque part au 30ème méridien ouest, au milieu de l’Atlantique ! Quand j’ai pris ma retraite, il m’a fallu environ six mois pour récupérer des nuits d’environ huit heures d’affilée.
Pour autant, aucun élément ne permet de dire que ces problèmes de sommeil en horaires décalés se traduisent par une diminution de l’espérance de vie et ce constat vaut pour tous les personnels qui travaillent en horaires biscornus.
J’en discutais un jour avec un mécanicien navigant qui était administrateur de la Caisse de retraite des navigants et qui se tua à Caracas dans un des accidents aériens d’Air France. Il m’affirmait que l’espérance de vie était faible chez les navigants en me donnant moult exemples de collègues qui étaient morts jeunes après leur prise de retraite. Je lui répondis qu’avec son raisonnement, on pouvait considérer que l’âge de mortalité dans les lycées était d’environ quinze ans et que c’était catastrophique, mais que cela n’avait rien à voir avec l’espérance de vie.
Pour comparer l’espérance de vie de différents métiers, il faut attendre que tous ceux qui l’ont exercé aient eu la possibilité de mourir de vieillesse, ou presque. Pour ce qui concerne les pilotes de ligne, on peut faire en 2016 une comparaison réaliste par rapport à l’espérance de vie moyenne de la population française pour ceux qui sont nés durant les années 20 et 30 et qui ont environ 80 à 90 ans.
Je ne doute pas un instant que cette comparaison montrerait que l’espérance de vie des navigants est supérieure à la moyenne nationale. C’est normal, compte tenu de la sélection au départ, de la prévention par les multiples visites médicales approfondies et de l’hygiène de vie de la plupart des pilotes. Les paramètres qui diminuent l’espérance de vie, ce sont essentiellement les excès, de nourriture, de tabac de boissons et pour les plus jeunes de drogues diverses.
De même, il faut tordre le cou à l’affirmation selon laquelle le travail de nuit est destructeur de l’espérance de vie, si on sait que 66 % des vols des pilotes long-courriers se déroulent de nuit et qu’ils ne meurent pas pour autant plus vite. C’est comme cela que c’est analysé partout, sauf en France qui se plaît à se bercer d’illusions.
Ma femme m’accompagne souvent dans les rotations les plus attrayantes et passe plus d’un mois par an en courrier avec son pilote préféré, elle aussi heureuse que moi de cette vie nouvelle, pendant que les grands-mères gardent nos enfants.
À cette époque, les liaisons étaient assez espacées vers une destination et il y avait donc beaucoup de jours passés en escale. Air France comptait alors 600 pilotes, une moitié CDB et l’autre copilote et nous nous connaissions pratiquement tous. C’est tout à fait différent aujourd’hui dans une compagnie qui compte plus de 4.200 pilotes et où, quand on ouvre une ligne, c’est avec un vol au moins chaque jour, ce qui laisse les équipages 24 h en escale si le vol est relativement court (< 9 h) et 48 h de stop si le vol est long (ex : Tokyo ou Santiago du Chili).
On se connaît moins et c’est dommage.
Christian ROGER
Extrait de “Piloter ses rêves” (Éd : Bookelis - 2015)
Date de dernière mise à jour : 30/03/2020
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