Interception du DC3 de Ben Bella
22 octobre 1956
Comme chaque soir, deux équipages du G.O.M. 86 sont en alerte sur la Base Aérienne de Blida, au sud d'Alger. Le sergent-chef Sournac, qui a effectué trois séjours en Indochine, est pilote d'alerte numéro un pour la nuit. Il se tient prêt à décoller avec un MD-315 armé. L'équipage dispose de trente minutes pour enfiler la combinaison de vol, prendre les ordres, foncer à l'escadrille et faire tourner les moteurs.
En début de soirée, la sonnerie du téléphone retentit. La 5ème Région Aérienne donne l'ordre de faire décoller un MD-315 équipé d'armes de bord. En vingt minutes, Sournac, le capitaine Vincent (radionavigateur) et le sergent-chef Duflos (mécanicien) prennent place dans l'appareil n° 107 dont la radio ne tarde pas à lancer les consignes :
- « Décollez. Branchez-vous sur la fréquence du Centre Régional de Contrôle. Mettez le cap à l'est. »
En passant dans la salle d'opérations, l'équipage a pris connaissance de la liste des passagers de l'appareil à intercepter, un Douglas DC-3 de la compagnie civile Air-Atlas, parmi lesquels se trouvent cinq dirigeants du Front de Libération National Algérien enregistrés sous de faux noms : Ahmed Ben Bella, Aït Ahmed, Mohamed Khider et Mohamed Boudiaf accompagnés du professeur Lacheraf, moins connu. Si ces derniers n'opèrent pas dans les maquis, ils sont considérés comme des figures de la révolution algérienne. Représentant le F.L.N. sur la scène internationale, ils ont été reçus avec éclat la veille par Mohamed V avant de prendre l'avion pour Tunis où ils se rendent à une conférence nord-africaine organisée par le président tunisien Bourguiba, et dont l'objet est de débattre des destinées du Maghreb et cautionner les combats des Algériens.
Depuis le matin, les états-majors d'Algérie sont en ébullition, l'occasion étant trop belle. Initialement, les chefs politiques de la rébellion algérienne devaient se rendre à Tunis à bord de l'avion du Sultan du Maroc, un Super Constellation. Un premier scénario prévoyait alors de l'arraisonner, malgré les conséquences diplomatiques qui pouvaient en découler. Finalement, les chefs algériens ont pris place dans un autre appareil un DC-3 Dakota, qui a quitté Rabat vers 12 h 30, après celui du Sultan. Des chasseurs à réaction Mistral de la 6ème Escadre de Chasse ont décollé pour surveiller le DC-3, alors que militaires et politiciens ne parvenaient à se décider. Après une escale à Palma aux Baléares, le Dakota a repris l'air à 18 H 14 après que des tractations aient été engagées avec l'équipage civil.
Il est 19 h 50 lorsque le pilote du DC-3 reçoit l'ordre impératif de se poser à Alger avec l'assurance qu'il sera couvert par le Ministre Résident d'Algérie Robert Lacoste, débarqué de métropole en début de soirée. Après quelques hésitations, il se décide à obtempérer et à tourner en rond en mer, au nord d'Alger, pour accomplir les trois heures de vol prévues. Pour minimiser les risques au cas où les passagers s'apercevraient de la supercherie, il a sollicité la présence de chasseurs susceptibles de le forcer à faire demi-tour et à atterrir. Par sécurité, un bombardier B-26 et deux patrouilles de Mistral sont en alerte renforcée à Oran à 20 h 30, afin d'intervenir si le DC-3 venait à poursuivre sa route vers le Maroc.
Il est 20 h 43 lorsque le MD-315 piloté par le sergent-chef Sournac décolle de Blida. Deux minutes plus tard, il prend contact avec le contrôleur d'interception de la station radar qui suit le DC-3 sur ses écrans.
- « Cap à l'Est, en montée vers le niveau 90 » lui ordonne le contrôleur.
- « Prenez contact avec le DC-3 F.OABV. Obligez-le à se poser par tous les moyens. S'il refuse, tirez ! »
La nuit est claire avec un superbe clair de lune. Le pilote du DC-3 est préoccupé car l'astre nocturne change trop souvent de place, ce qui pourrait alerter les chefs rebelles. Aimablement, l'hôtesse tire les rideaux devant les hublots.
Le sergent-chef Sournac et le capitaine Vincent balaient vainement toutes les fréquences. Puis, à la verticale de Tizi-Ouzou, le MD-315 croise entre deux nuages un avion qui évolue 500 pieds plus haut en direction de l'ouest. Sournac, qui ignore tout des tractations entre les autorités françaises et le commandant de bord du DC-3, est étonné de le voir venir vers lui, d'autant plus qu'il se croyait à sa poursuite vers l'est. Le contrôleur confirme par radio qu'il s'agit bien de l'objectif.
Dès lors, Sournac suit le DC-3, changeant sans cesse de fréquence radio pour entrer en contact avec lui, selon les ordres reçus. Les nombreuses tentatives échouent. Le DC-3 survole Alger et continue sa route vers l'ouest. Sournac et Vincent s'interrogent. Ils craignent qu'il ne cherche à regagner le Maroc, puisqu'il ne répond pas aux appels. Au-dessus de Boufarik, Sournac contacte à nouveau la station radar :
- « Objectif à distance de tir ; prêt à faire feu. Demandons confirmation ordre de tir. »
Sournac envisage de débuter le tir à la mitrailleuse sur un moteur en dessous de l'aile, pour le terminer au-dessus, afin de ne pas le rater.
- « Attendez », répond le contrôleur.
Après un bref silence, il ajoute :
- « Le DC-3 est en train de virer par la gauche. »
Sournac le constate visuellement mais n'obtient toujours pas de signe de vie de l'équipage. Le DC-3 amorce sa descente. Le Flamant ne le lâche pas, au cas où il tenterait de remettre les gaz au moment de l'atterrissage. Pour pallier cette éventualité, deux autres B-26 sont mis en alerte renforcée sur le terrain d'Oran, et un Meteor décolle de Blida à 21 h 15. Le DC-3 touche le sol à 21 h 20. Il est escorté jusqu'au parking militaire vers lequel convergent les responsables de l'interception ainsi que les photographes chargés de mémoriser l'événement.
Dès l'arrêt des moteurs, l'hôtesse de l'air annonce la phrase rituelle « Bienvenue à Tunis » avant de s'éclipser aussitôt vers le poste de pilotage. Un à un, les chefs de la rébellion se présentent à la coupée, aveuglés par les flashes des photographes, puis interpellés par les policiers qui leur passent les menottes. Ben Bella est stupéfait :
- « Je n'aurais jamais crû les Français capables de cela ! »
Si l'opération de capture des délégués du FLN est un succès, elle aura des résultats inverses de ce qu'en attendaient les partisans de l'Algérie française. Désormais, le Maroc et la Tunisie ne vont pas se gêner pour soutenir ouvertement la rébellion algérienne. Mais pour l'Histoire, le sergent-chef Sournac demeurera le pilote qui a contribué à l'arrestation des chefs rebelles en interceptant le Dakota qui les transportait, comme en témoigne la citation qui lui sera accordée ultérieurement.
De gauche à droite : Duflos, Vincent et Sournac
Patrick-Charles RENAUD
Extrait de Aérostories 2002 (http://aerostories.free.fr/)
Date de dernière mise à jour : 04/04/2020
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