Atterrissage sous les minima

C’était le 20 octobre 1982. Je me suis mis en place à Strasbourg à bord du MS760 Paris numéro 53. J’étais affecté à l’EL 41 basé à Metz et je volais sur Nord 262 et MS760 au profit de la FATAC commandée à l’époque par le général Michel FORGET.

Nous faisions des missions de liaison pour l’état-major et du transport de passagers principalement pour les escadres de chasse de l’est de la France.

Le 21 octobre au matin, je suis parti avec le général de brigade M. à destination de Berlin. Nous avons fait escale à Hanovre pour ravitailler en carburant.

Le MS760 Paris II était équipé de réacteurs Marboré VI à simple flux donc gourmands en carburant. La capacité des réservoirs était de 1.400 litres de kérosène. C’était un réflexe permanent de surveiller la consommation sur les « longs trajets ». Il faut avouer que ce sympathique biréacteur quadriplace de liaison avait les pattes courtes.

Cet avion était équipé pour le vol aux instruments et la navigation se faisait à l’aide de deux VOR/ILS et d’un radiocompas. Il n’y avait ni pilote automatique ni directeur de vol. Il était prudent de ne pas quitter des yeux l’horizon qu’il soit visuel ou artificiel. Les commandes de vol étaient très sensibles et efficaces, notamment en gauchissement. Il m’est arrivé de me trouver, volant seul à bord, dans ce que l’on appelle une position inusuelle. Mais c’était facile à rattraper.

Morane-Saulnier MS760

Morane-Saulnier MS760 Wikipedia

Après la journée passée à Berlin, nous avons décollé à destination de Strasbourg avec l’obligatoire escale à Hanovre pour faire un plein complet. Le retour s’est effectué́ de nuit. Nous étions dans une situation météo anticyclonique et en hiver. Autrement dit, il fallait être prudent.

J’ai donc réglé́ en croisière le régime des réacteurs non pas en fonction du régime de rotation (aux environs de 20.000 tours/mn) mais en ajustant celui des fuel-flow. Je pouvais ainsi plus facilement estimer une réserve raisonnable de carburant à destination.

Le général était aux commandes et je m’occupais de la navigation et des communications radio. En approchant de la destination, j’ai commencé́ à écouter les bulletins météo.

Le brouillard s’étendait sur tout l’est de la France. Les terrains de Colmar, Strasbourg, Luxeuil étaient classés en rouge spécial. Autrement dit, en-dessous des minima.

Il fallait économiser le carburant et envisager de poursuivre jusqu’à Metz qui était accessible. J’ai alors constaté que le sympathique général avait avancé les manettes au régime maximal de 20.600 tours ! Un rapide calcul m’a montré́ qu’il ne nous restait plus que la solution d’atterrir à Strasbourg ou de terminer de nuit dans la campagne.

J’avais une grosse boule dans l’estomac et du mal à garder mon calme.
Le contrôleur de l’approche de Strasbourg nous a passé gentiment des éléments météo qui nous autorisaient à débuter la finale. Les réglementaires 220 pieds de plafond et 600 mètres de visibilité.

Nous avons effectué une approche ILS. Elle a débuté en ciel clair au-dessus d’une immense couche de brouillard immaculée. Nous avons pénétré dans la purée de pois aux alentours de 1.000 pieds. Bien entendu, comme il fallait s’y attendre, arrivés à la « hauteur critique » comme on disait à l’époque il a fallu remettre les gaz. À ce moment la lampe rouge 300 litres restants s’est allumée. Un bon coup d’adrénaline m’a poussé à reprendre les commandes courtoisement mais fermement (je n’étais que simple lieutenant).

J’ai décidé de me poser coûte que coûte. Le contrôleur a bien compris la situation et m’a fait faire un circuit le plus court possible. Il voulait me prendre en compte pour un GCA. J’ai accepté mais en même temps je suivais les indications de l’ILS. Je crois n’avoir jamais été aussi concentré. J’ai deviné en approchant du sol les puissantes lumières de la rampe d’approche. Après l’atterrissage je me suis rapproché du bord de piste pour suivre le balisage lumineux et j’ai trouvé le taxiway qui conduisait à l’escale militaire. Heureusement, je connaissais bien le terrain.

Arrivé au parking, le général me remercia et m’expliqua qu’il était pressé de rentrer car il avait un dîner important qui l’attendait ! Je ne sais pas s’il avait bien compris la situation. En tout cas il n’en a rien montré. Mes mains tremblaient. Combien restait-il dans les réservoirs ? Il est évident qu’une deuxième remise de gaz nous aurait conduit au crash.

Il était prévu que je revienne sur Metz le soir même. J’ai pris une chambre au mess des officiers et je suis revenu le lendemain matin.

Cette histoire aurait dû faire l’objet d’un compte rendu dans le style actuel du retour d’expérience. Mais cela n’existait pas à l’époque. Et je regrette de n’être pas allé remercier le contrôleur qui nous avait si bien aidé.


Didier GAITTE

Date de dernière mise à jour : 11/03/2022

Commentaires

  • SARRADET
    • 1. SARRADET Le 25/02/2024
    Bonjour ou bonsoir Didier.

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