Acontucou
L'Acontucou ?
En clair : atterrissage en configuration turbine coupée. Cet exercice classique est rarement exécuté en réel. Les consignes sont en général de s’éjecter plutôt que de risquer un crash à 1 km de la piste…
Dans le dernier Bulletin de l’association des personnels de la « 5 », « l’histoire extraordinaire » de Jean Delommez m’a rappelé une aventure semblable qui m’est arrivée en 1967 sur SMB2 au 2/12 à Cambrai alors que j’étais jeune PO.
C’était un vendredi, en fin d’après-midi, mon Cdt d’escadrille me donne pour mission d’aller à Tours pour un entraînement au profit des contrôleurs de Raki, le radar de Cinq-Mars-la-Pile, avec ordre de revenir avant 17h00.
Le ciel est couvert, 8/8, plafond 2500 ft. Vers 16h00 je décolle et je constate que le sommet de la couche est à 3.000 ft et qu’il est uniforme de la région parisienne jusqu’au niveau de la Belgique. Le début de mission se déroule normalement, je fais quelques interceptions aux ordres du contrôleur sur les avions qui transitaient dans le coin, je me souviens même d’avoir fait une passe de tir sur un avion de ligne Russe qui passait par là… à l’époque c’était permis ! Puis l’heure approchant, je clôture avec Raki qui me donne le cap retour.
Il faisait beau, le manteau nuageux n’avait pas changé, la mer de nuage s’étalait sous mon avion, « la gloire du pilote » était même présente. Bref tout allait pour le mieux !
Hélas ça ne pouvait pas durer. En effet comme la mission s’était déroulée à haute altitude, qu’elle avait été de courte durée et que mon avion était équipé de 2 bidons de 625 litres, il me restait beaucoup de carburant, j’avais donc décidé, pour ne pas être trop lourd à l’atterrissage, de m’alléger sur le trajet retour en allumant la postcombustion, aérofreins sortis, puis quand la vitesse frôlait le Mach je la coupais pour recommencer quand la vitesse était retombée.
Transfert Raki / Mazout : RAS
SM-B2
Alors que je coupais une dernière fois la PC et que Mazout me transférait à l’approche de Cambrai, une forte détonation se fait entendre avec de fortes vibrations, puis aussitôt : fumées dans la cabine, T4 en butée, flash du voyant feu réacteur, klaxon d’alarme et je ne parle pas du compte-tours de mon cœur en butée lui aussi… Par réflexe : je réduis les gaz jusqu’au ralenti, les vibrations s’arrêtent, la T4 redevient normale, le voyant feu s’éteint, ouf !
Le calme étant revenu je tente d’avancer la manette des gaz mais le phénomène se reproduit encore plus fort et cela dès que je dépasse le régime du ralenti.
Analyse de la situation : je laisse tomber l’Approche et les Opérations de Cambrai que j’avais prévenu de mes ennuis, car les conseils qu’ils me donnaient, notamment celui de brancher le Secours Régulation, ne me paraissaient pas judicieux, et la suite me donnera raison.
Heureusement je suis à 40.000 ft et à 40 Nm du terrain, j’ai un peu de temps devant moi pour réfléchir. Le réacteur tourne au ralenti, j’ai donc de l’électricité pour la radio, l’horizon et le radiocompas qui vont m’être bien utiles, de la pression hydraulique pour les gouvernes, le train d’atterrissage et les aérofreins.
La semaine précédente j’avais fait l’entraînement mensuel d’ACONTUCOU (atterrissage en configuration turbine coupée) : je me suis dit pourquoi ne pas le tenter de toute façon c’était ça ou l’éjection à laquelle je m’étais préparé (j’avais bien mes brevets civil et militaire de parachutisme avec 25 sauts mais je n’étais pas chaud pour en faire un 26ème !...)
Souvenons-nous : j’étais au-dessus des nuages, j’avais laissé tomber les Opérations qui me donnaient des ordres qui ne convenait pas à la situation. Je savais que sous la couche de nuage le plafond était uniforme à 2.500 ft ça pouvait se tenter ; donc à l’aide du radiocompas je prends le cap du terrain, vitesse 300 kt qui est la meilleure vitesse de plané.
L’altitude décroît mais je ne sais pas si je suis encore loin du terrain donc je continue, je fais confiance à ma bonne étoile… 25.000 ft puis 20.000 ft, il faut impérativement que j’arrive verticale terrain au moins à 15.000 ft, ou à une altitude approchant, pour faire cet Acontucou à peu près correctement.
Soudain l’aiguille du radiocompas s’affole puis bascule cela veut dire que je suis à la verticale du terrain, j’incline légèrement les ailes pour voir, on ne sait jamais… et miracle ! La couche de nuages qui était compacte depuis Paris s’était déchirée et laissait apercevoir par un « unique » trou de 200 mètres sur 300 environ en bout de la piste. Incroyable ! À partir de ce moment-là l’espoir revient et je me dis que c’est possible : de plus je suis pile à 15.000 ft « comme dans le livre ».
Je range mes affaires pour le cas où je devrais m’éjecter, je prends un cap d’éloignement (90° de l’axe de la piste) tout en gardant 300 kt puis j’entame les 270° de virage qui doivent m’amener théoriquement dans l’axe de la piste ; je me base pour cette manœuvre par rapport à ce déchirement de la couche car bien entendu dès que j’ai passé la verticale de ce trou je ne vois plus la piste. L’avion continue sa descente, à 5000 ft j’arrête le virage car je pense être dans l’axe de la piste, j’observe la couche de nuages, elle arrive, je descends encore puis je pénètre je sais qu’elle fait 500 ft d’épaisseur et je m’attends à deux choses : soit en sortant des nuages je suis face à la piste et je continue, soit je m’éjecte.
Les Opérations sont prévenues. Tout est gris, je me fie à l’horizon artificiel qui est resté opérationnel puis les nuages s’éclaircissent, je vois en premier le sol puis… enfin la piste tous feux allumés qui me tend les bras, encore un Miracle ou de la Chance ou les résultats de l’entraînement je ne sais, peut-être les trois à la fois… Quoiqu’il en soit je crois que je n’ai jamais été en si bonne présentation pour l’atterrissage que cette fois-là, la piste est à midi je n’ai même pas à m’aligner je n’ai même pas à sortir les aérofreins ! La vitesse est toujours de 300 kt la pression hydraulique grâce au réacteur qui tourne toujours en moulinet me permet de sortir le train d’atterrissage en normal, l’allumage des 3 vertes me parait une éternité mais elles sont là en passant l’overrun. J’arrive sur la piste où le service incendie m’attend je n’ai même pas eu besoin d’engager la barrière d’arrêt, je me suis arrêté juste avant et j’aurais presque pu dégager à la bretelle…
Conclusion : rien n’est jamais perdu d’avance. La cause de cette panne provenait en fait d’une ailette du compresseur qui avait décidé de se mettre en travers de ses voisines, je ne vous dis pas la tête du compresseur : la plupart des ailettes avaient suivi le chemin de la turbine, elles avaient fondu en passant la chambre de combustion et tapissaient de blanc la tuyère !
Snecma Atar 101-G3 (Wikipedia)
Jean-François ORSSAUD
Date de dernière mise à jour : 11/03/2022
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