À la poursuite d'Amirouche
Sur une opération de grande envergure, nous avions décollé de nuit pour être sur les lieux dès le lever du soleil. La montagne était belle, calme et semblait déserte. Il y avait là une assez longue ligne de crête, de plusieurs kilomètres, très abrupte d’un côté et couronnée d’une basse végétation méditerranéenne, genre maquis.
Le bouclage militaire était vaste et les troupes détachées parmi les meilleures n’étaient nullement visibles, car encore lointaines et toutes crapahutantes. Le Gal parachutiste, le fameux Gal Bigeard, Bruno, dirigeait l’affaire.
Les renseignements avaient indiqué la présence d’une importante unité de rebelles dans les parages et il fallait les localiser précisément afin d’organiser et de coordonner la manœuvre.
Cessna L-19 (L. Chupin)
Très près, à basse vitesse et volets sortis, je longeais cette longue ligne au même niveau, à quelques mètres, afin de voir aussi bien que possible. Une fois dans un sens, puis une seconde fois en sens inverse. Les conditions d’observation étaient idéales et nous permettaient de voir parfaitement. Seule, la déserte beauté de la montagne à son réveil, sans un souffle d’air et rien d’autre !
Au troisième passage, parmi les broussailles touffues et à moins de 20 m, un homme a tourné la tête sur sa gauche à notre passage. Il était dans un trou d’homme et seule sa tête émergeait. Elle fut visible un bref instant lorsqu’il la tourna pour nous voir passer. Brun avec une moustache noire dans un visage très pâle, il a compris que nous l’avions vu et a de nouveau tourné la tête vers l’avant. Fournié et moi l’avons aperçu au même instant, mais nous n’avons pas bougé, nous avons continué notre lent cheminement le long de la crête, comme si de rien n’était.
Dans l’interphone, le capitaine Fournié m’a dit :
- « Tu l’as vu ? »
- « Bien sûr, je l’ai vu ! »
Le PC de l’opération fut immédiatement informé de notre découverte précisément localisée. Après une très longue journée de combats, l’opération se solda par un complet succès de nos troupes dans cette affaire. Bien sûr, je n’ai plus aucun souvenir des résultats, et j’ai oublié la date. Par contre, le visage de ce combattant algérien est gravé dans mes souvenirs.
Insigne 19e DI
Le territoire de la 19e Division d’Infanterie était également celui de la Wilaya III, celui dirigé d’une impitoyable main de fer par l’ambitieux Col Amirouche, d’origine berbère.
Ce devait être à la fin de l’hiver 1958/1959, en février et un dimanche matin. Dans la nuit précédente, le 2e Bureau de la Division avait reçu une information précise : le FLN organisait une réunion très importante dans une mechta des environs, parfaitement localisée. Le légendaire, le mythique et sanguinaire Col Amirouche devait y participer.
Amirouche
En Algérie, une rumeur circulait parmi nos troupes, ce fameux Col Amirouche ne se déplaçait que sur un cheval blanc. Le dimanche, nos troupes levaient un peu le pied et monter une opération spontanée afin d’intervenir sur une information aussi importante ne fut apparemment pas facile, mais l’opération avait pu être lancée avec les modestes moyens opérationnels du jour.
La mechta prévue pour la réunion du FLN était là, toute proche, à moins de 10 min de vol de la base.
Fournié et moi avons décollé en fin de matinée afin de voir ce qu’il y avait à observer. Il avait abondamment plu pendant la nuit et le sol était abondamment détrempé. Un petit oued dans lequel coulait beaucoup d’eau limoneuse serpentait dans la plaine du paysage. Il faisait beau et le ciel était pur, délavé par la pluie de la nuit.
En approchant, nous avons vu l’incroyable fait suivant : un très beau cheval blanc et son cavalier à la tête recouverte d’un burnous ou d’une djellaba étaient là, sous nos yeux, caracolant dans la plaine nue, sur le sol détrempé piqueté de cailloux plus ou moins gros.
C’était incroyable ! Était-ce là le fameux Col Amirouche ? Nous n’en croyions pas nos yeux ! En fonction de l’anecdote à la Maison de Pierres qui suit, c’est plus que probable.
Nos troupes encore lointaines nous ont demandé d’essayer de vérifier, mais comment faire ? À très basse altitude, mais gêné par le vent fort, je tournais donc à bonne distance autour du cheval et de son cavalier. Pendant un bref instant, nous les avons perdus de vue. Quelques secondes après nous n’avons plus vu que le cheval caracolant toujours, mais sans son cavalier.
Très probablement, celui-ci avait employé la méthode du caillou qui bouge. Celle-ci impliquait que le porteur de burnous ou djellaba s’enveloppe dans son vêtement de laine claire en se mettant en boule sur le sol afin de se confondre avec les cailloux qu’on trouve partout dans cette région. Ce très efficace procédé de camouflage sur le terrain nous était bien connu. C’est certainement ce stratagème qui fut utilisé par le cavalier. Comme l’oued était tout proche, il est plus que probable qu’il s’y est dirigé et dissimulé en se recouvrant de boue.
Très peu de temps après, les troupes au sol sont arrivées en EBR et ont pris la suite. Malgré le court laps de temps entre le moment où le cavalier chevauchait sa monture blanche et leur arrivée, le cavalier avait définitivement disparu. Nos troupes ont fait chou blanc ! Personne ne saura jamais si c’était vraiment là le fameux Col Amirouche.
Très peu de temps après, une très importante opération sur plusieurs jours fut montée dans la région montagneuse dite de la Maison de Pierres, quelque part dans le sud sud-est du massif du Djurdjura. Le Cne Fournié et moi, avons participé à l’opération SB9, effectuant 8 h 35 de vol en trois missions dans la journée.
La malchance voulut que l’héliportage de nos paras se fasse sur une croupe arrondie sur laquelle des combattants du FLN étaient déjà établis dans des emplacements de combat dispersés et dissimulés par le maquis. Je revois encore les Banane se poser, déposer leurs paras, et redécoller. Les fellaghas ne se dévoilèrent qu’une fois l’héliportage achevé.
D’en l’air, nous avons alors assisté aux combats meurtriers entre les fellaghas protégés dans leurs trous et nos paras collés au sol, à découvert. Pour ne pas dévoiler leurs tranchées les combattants ennemis, bien armés n’ont pas tiré un seul coup de feu contre notre appareil volant à très basse altitude. On se voyait nettement, on se regardait bien mais, rien de plus !
Par radio, le Cne Fournié tentait de les localiser précisément, et ce n’était guère facile. Ceci afin de guider les malchanceux paras à se sortir de cette bien mauvaise situation. Là encore, il y aurait beaucoup à raconter. Il convient de dire que finalement, après deux jours de combats, ce fut là un succès militaire très cher payé.
Les hasards de l’existence firent que plus de quatre ans après, alors que j’étais pilote à l’Escadrille Mercure, à Hassi-Messaoud, j’ai été amené à transporter en Broussard, version civile, un soldat de l’ALN (Armée de libération nationale) armé de son fusil. Il faisait partie d’un bureau de vote ambulant du gouvernement algérien. Ce bureau de vote allait de sonde en sonde de forage afin de faire voter les Algériens travaillant pour la compagnie de pétrole auprès de laquelle j’étais détaché. Lui, était ancien combattant du FLN Je lui ai dit que j’avais été de l’autre côté pendant la guerre d’Algérie.
Nous avons passé une excellente journée en parlant de ce que nous avions vécu, lui d’en bas et moi d’en l’air. Il me conta qu’il avait combattu à la Maison de Pierres. Pour lui et ses camarades de combat, cela avait de très dures journées. Il me confirma la présence d’Amirouche et me conta que celui-ci, grand marcheur, s’était échappé vers le sud au tout début de l’opération. Amirouche fut finalement tué trois jours après cette opération dans les environs de Bou-Saada.
François BEAULIEU
Date de dernière mise à jour : 03/04/2020
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