Vol de nuit sur Marauder

Les Marauder français sont en Sardaigne depuis quelques mois et participent à l’immense effort de guerre des alliés.

Le 24 juin 1944 l’ordre arrive. À partir de demain, entraînement au vol de nuit. Cet ordre soulève un tollé général :

- « Mais ils sont devenus fous. Ils veulent nous faire casser la gueule… »

Un ordre est un ordre et notre ardeur au combat efface vite toutes les appréhensions.

La piste est balisée tous les 50 m par de grandes boites de conserve remplies de sable imbibé d’essence. De chaque côté de la piste une Jeep fait la navette pour s’assurer qu’il n’y en a point d’éteinte. La noria des avions commence : décollage, atterro, décollage, atterro… tout semble bien se passer.

Pourtant plusieurs appareils de l’Escadre font des atterrissages si durs que la cellule subit des déformations permanentes rendant le vol dangereux. Ils sont réformés sur place.

Mon bon 63 assume vaillamment sa tâche. Mais une nuit, retour au parking, l’hélice droite accroche un fût de 200 litres sur lequel se trouvait une mitrailleuse de 50 qui vient se planter dans le fuselage à hauteur du copilote. Paraît-il qu’une balise était éteinte ?

En deux temps trois mouvements l’hélice est changée. Nous récupérons sur une épave de B-26, au parc à ferraille, la même tôle que celle abîmée. Un jour, une nuit de travail et le 63 reprend sa place au combat.

La routine est prise. Mission de bombardement le jour puis entraînement au vol de nuit.

Ce soir, mon aide mécano assure la première moitié de la nuit, je me réserve la deuxième après l’incessant balai nocturne, je complète les pleins, à la torche j’effectue un rapide contrôle général.

Paré pour la mission. Il s’agit d’un bombardement fictif sur un cap à l’Est de Bône, au lever du jour. En nous-mêmes on se doute que cela préfigure un débarquement prochain en Méditerranée.

Le Cdt Nicot est leader du flight. Je songe que les cinq avions suiveurs doivent avoir fort à faire pour garder la formation en lorgnant les flammes des échappements ou trois petites loupiotes bleues sur nos empennages. Au poste de pilotage les instruments de bord balayés par les lampes UV sont parfaitement lisibles dans le noir et semblent donner une note irréelle. Dans l’air frais et humide de la nuit les moteurs tournent avec un ronron rassurant et une régularité de métronome.

Il y a environ 2 h que nous avons décollé. Le jour semble poindre devant nous, à notre gauche la terre d’Afrique commence à se distinguer. La mer est toujours noire mais la frange d’écume blanche qui se détache délimite parfaitement le cap à traiter. Bomb-run, trappes ouvertes, largage simulé, trappes fermées, dégagement vers le large. Après un grand 180° nous reprenons le cap retour, le copilote recule son siège au maxi, le bombardier, tel un crabe sortant de son trou, émerge sous le tableau de bord ; il a hâte d’aller au poste navigateur se dégourdir les membres. Les trois défenseurs arrière regagnent aussi le poste central.

Je distribue à chacun un gobelet de café bien corsé et bien chaud ainsi qu’une boîte de ration K. C’est trop tard pour le réveillon et trop tôt pour le petit déjeuner, il ne manque que les croissants frais. Tout le monde a le sourire et le moral est au plus haut.

Une clarté bien soutenue se dessine à l’Est, devant nous. Puis un soleil rouge daigne montrer son nez dans une légère brume matinale ; sa teinte s’éclaircit à mesure qu’il monte dans le ciel. La mer est une immense glace miroitante mais la réverbération étincelante ne tarde pas à gêner considérablement les pilotes. Après 4 h 30 de vol nous atterrissons au grand jour à Villacidro.

L’équipage part se reposer. Déjà, avec mon aide, je prépare l’avion pour la mission de jour. Pendant les cinq heures et plus de celle-ci, couché sur un tas de housses, à l’ombre d’un Marauder indisponible, malgré la chaleur et les mouches, je tâcherai de dormir jusqu’au retour de la formation qui, je l’espère, sera complète.

Le 15 août 1944, pour la "vraie" mission sur les plages de Provence, la brume matinale cache tout.

Le bombardement ne peut avoir lieu. Grande fut notre désillusion.


Yves VINCENT

Texte d'origine inconnue, Groupe 1/19 "Gascogne" vraisemblablement.

Date de dernière mise à jour : 21/04/2020

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