Trois fois descendu sur Typhoon

Ezanno demeura six mois au "Lorraine", mais il voulait être, avant tout, pilote de monoplace. Détaché dans la RAF, au printemps de 1944, il fut affecté au "198th Fighter Squadron" dont il prit le commandement peu avant le débarquement en Normandie, le leader ayant été abattu.

 Sur Typhoon, je fis plus de 90 missions, soit près de deux tours d'opérations. Je fus certainement un des premiers pilotes à utiliser les roquettes contres les objectifs au sol. Je fus descendu la première fois le 27 mai.

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Tir roquette sur "Typhoon"

Les Typhoon étaient plus spécialement chargés de neutraliser les bateaux de la DCA afin d'ouvrir la voie aux bombardiers. Je fus touché, plus aucun instrument en état de marche, sur le chemin du retour, seul en mer. J'ordonnai à mon numéro 2 et à mon Squadron, de profiter de leur vitesse supérieure pour se poser avant la nuit noire. Je me retrouvai entre nuages et mer, sans trop me faire de soucis avec les chasseurs adverses car le temps était exécrable, avec un moteur qui tournait "carré".

Mon avion avait reçu un obus en plein travers du tableau de bord. Le badin fonctionnait encore, pour m'apprendre la pauvreté de ma vitesse. Le fuselage était troué de partout et j'avais froid. Mais la radio marchait à merveille.

Après plusieurs tentatives, j'entrai en contact avec Manston qui m'apprit que j'étais encore trop loin pour obtenir un "Fix". Je devais donc encore me rapprocher à bord d'un "tapin" qui craquait de partout. Et la voix féminine de Manston qui me recommandait de ne pas sauter, de ne pas paniquer. Je "claquais" de peur à l'idée que mon moulin pouvait me lâcher d'un instant à l'autre, sans prévenir...

La voix reprit :

 - « Vous êtes presque arrivé. Vous êtes à 125 nautiques (plus de 200 kilomètres). »

- « Au fait, comment vous appelez-vous ? »

- « Barbara »

- « Eh bien, Barbara, si jamais j'arrive, je vous garantis que l'on va faire un dégagement terrible ce soir !… »

- « D'accord ! »

Après une quinzaine de minutes, je demandais enfin d'allumer le phare vertical, lumière de secours pour détresse nocturne. Je le vis à 5 km devant moi et bientôt je "crashai" le Typhoon sur la piste.

J'emmenai Barbara dîner comme convenu.

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Yves Ezanno, alors commandant d'un escadron de "Typhoon" en 1944

La seconde fois, ce fut au début de juillet sur la tête de pont de Normandie. Une rafale de Flak avait coupé tous les circuits électriques d'armement et mes roquettes ne voulaient pas partir.

Au retour, on m'ordonna de sauter, mais nous n'avions pas beaucoup de Typhoon et le mien était neuf. Je résolus de me poser sur le ventre, le train ayant refusé de sortir. J'annonçai par radio que j'allais tenter de me poser sur l'herbe, à côté de la piste métallique, en priant de dégager les alentours immédiats pour le cas où les roquettes exploseraient à l'impact.

En pleine approche, je vis une jeep arrêtée en bordure de "ma piste". Il était trop tard pour la faire évacuer. Dès l'impact avec le sol, les roquettes furent arrachées les unes après les autres, mais aucune n'éclata.

Sitôt arrêté, je me rendis compte que l'avion n'était pas trop endommagé. Il volait à nouveau une semaine plus tard. Quant au gars de la jeep, que je m'apprêtais à eng... fermement, c'était l'Air Commodore Brown qui voulait assister au retour de "son" Français. J'étais le seul du "Strike Command". Il me félicita, et nous allâmes ensemble, boire un bon coup... Ils avaient risqué la même chose que moi, couru le même danger avec les roquettes.

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Chargement des roquettes sur un "Typhoon"

La troisième fois fut la bonne. Le 4 novembre, en attaquant au-dessus de Walcheren, je pris deux obus de 40 mm dans le moteur. L'hélice arrachée, sans profondeur, ni direction, il ne me restait que les ailerons. Touché au-dessus des lignes ennemies, je cherchai à me "crasher" au plus près des nôtres, sachant quel sort les "SS" réservaient aux pilotes de Jabo...

J'arrivais à 170 nœuds au badin (320 km/heure) et l'avion se cassa en deux. Je partis avec le moteur et le bâti indéformable comprenant le siège pilote. Tout cela dans la nature et mes bretelles ayant tenues, je me retrouvais pratiquement sans avion autour de moi.

Dans le choc, j'avais subi "le coup du lapin" et je m'en rendis compte plus tard. Pour l'instant, il s'agissait d'aller le plus vite possible vers l'ouest. Je me dirigeai vers le soleil couchant, traversai quelques canaux d'irrigation qui n'étaient gelés que sur leurs bords. Tantôt marchant, tantôt nageant, selon le fond que je trouvais, salué par les balles des "teutons", je parvins au secteur tenu par la 2e Division canadienne.

Personne ne m'attendait à la base, retrouvé sept heures plus tard. Tous savaient que mon avion avait explosé en touchant le sol et me comptaient pour mort. Je rentrai à la base pour voir quoi ? Mes cantines scellées, mon whisky, mon chocolat, mes cigarettes partagés entres copains... Pour eux, j'étais mort, tombé en plein ciel de gloire...

Je restai couché deux jours et je recommençai à voler. Pour apprendre que je ne pouvais plus bouger. Le "coup du lapin" encaissé à l'impact avait laissé des traces. Mon cou était enflé et je souffrais des vertèbres. C'était fini pour moi. On m'envoya à l'hôpital... Deux mois plus tard j'étais à Meknès au Centre d'Instruction de la Chasse.
 

Yves EZANNO

Extrait de "La grande aventure de la chasse française" de Jean Gisclon

Date de dernière mise à jour : 20/04/2020

Commentaires

  • Michel Darribehaude
    • 1. Michel Darribehaude Le 25/01/2022
    Mon père, devenu officier après la 2e GM pendant laquelle il a servi sur LéO451 en AFN puis sur Halifax en Angleterre 1944-5, eut l'occasion de le connaître et me disait toujours tout le bien qu'il pensait d'Ezzano.

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