Une traversée de la Méditerranée

Le 25 juin 1940 

L'armistice venait d'être signé lorsque le Cne Arnaud proposa à ceux qui voulaient partir de prendre l'un des LeO-45 rendus disponibles.

leo-45-ext.jpg
Lioré et Olivier 45

L'interdiction de vol venait d'arriver et il fallait décoller immédiatement avant de se trouver bloqué au sol. Compte tenu de la situation météo, la seule solution possible pour avoir une chance d'arriver était de partir en direction de l'Afrique du Nord.

Six pilotes "confirmés" (la parenthèse est de moi) parmi lesquels le Cne Arnaud, Dellys, Littolff, Marchesseau et moi (je ne me souviens plus du dernier) formèrent sur place un équipage composé de volontaires désireux d'en découdre.

Mon "navigateur", le SLt Labescat, venait de l'infanterie et j'emmenais avec moi le Sgt pilote stagiaire Casabone, un mécanicien, le Sgt Labastarde qui ne connaissait le LeO-45 que par sa notice technique, l'Adj Beurnez et le Sgc Guyon.

Pour la navigation, j'avais récupéré une carte de calendrier qui comportait l'Afrique du Nord, la France, l'Europe et la Russie sibérique. C'est dire l'échelle et la précision de cette carte. Lors d'un de mes vols précédents, j'avais vérifié que le compas de mon avion, le 161, était à peu près juste... pour le reste à-Dieu-vat.

C'est sous une pluie torrentielle que j'ai mis les moteurs en route. Plein gaz au milieu d'un geyser d'eau sous les ailes, je décollai pour me retrouver immédiatement dans les nuages. C'était le moment ou jamais de mettre en application les quelques notions de pilotage sans visibilité que j'avais acquises au cours de mes vols sous capote comme élève-bombardier. À Salon, chaque fois que j'en avais l'occasion, je m'entraînais sur link-trainer, simulateur de l'époque, malgré cela, avec un total de 250 h de vol, je n'étais guère armé pour affronter un très mauvais temps en vrai grandeur.

Pour limiter mes manœuvres, je m'étais fixé de prendre au départ le cap 050 et de ne plus bouger pour ne pas avoir à courir après les instruments. Je n'avais qu'à me concentrer sur mon horizon artificiel et mon conservateur de cap en attendant d'arriver en ciel clair.

Mais les choses ne se sont pas passées aussi facilement. Traversant une couche instable, j'avais beaucoup de mal à garder mon avion en ligne de vol. Puis à un moment la couche devint plus épaisse et du givre commença à se déposer sur les ailes. Je demandai alors à Labastarde de chercher et mettre en marche le réchauffage des carburateurs. C'était trop tard et le moteur gauche s'arrêta.

La situation devenait catastrophique. Obligé de redescendre, je pris le cap plein nord pour m'éloigner des montagnes que je sentais toutes proches. Évidemment, j'ignorais totalement où j'étais, secoué par les turbulences et sur un seul moteur, je me battais avec les commandes pour essayer de garder le contrôle de mon appareil.

J'étais peut-être à 500 m d'altitude lorsque subitement le rideau de nuages se déchira. Je me trouvais dans une étroite vallée, face à une paroi que je réussis à éviter de justesse. Puis mon moteur gauche, qui tournait en moulinet, redémarra. Il ne me restait plus qu'à suivre les méandres de cette étroite vallée pour essayer de m'en sortir par le nord.

Hélas, la pluie se remit à tomber et la visibilité vers l'avant de plus en plus réduite m'obligea à remonter dans les nuages. Dégagé du relief, le temps devint de plus en plus calme et, toujours cap au nord, je sortis des nuages vers 3.500 m d'altitude.

Pour tout l'équipage ce fut un énorme soulagement. La reconnaissance des gens étant proportionnelle à la trouille que je leur avais procurée, c'est à qui voulait me mitonner un sandwich accompagné d'un bon coup de rouge pour me récompenser. Amis pour l'instant nous n'étions pas encore sortis des ennuis.

Écœurés par la montagne que nous avions failli percuter et bien que nous soyons à une altitude de sécurité, je pris le cap à l'est pour m'écarter définitivement des Pyrénées.

Compte tenu de notre heure de décollage, on devait se trouver approximativement au-dessus de la région de Perpignan. Je demandais l'avis de mon "navigateur" qui, complètement paumé, me donna carte blanche pour la suite à donner. C'est ainsi que je mis le cap au sud en direction de l'Afrique du Nord que, sur une longueur de quelque 1.000 km, je devais bien pouvoirs intercepter.

Au fur et à mesure que nous descendions vers le sud, la couche de nuages présentait quelques éclaircies.

Au départ de Pau, on nous avait signalé que la rencontre avec les Messerschmitt 109 au large des îles Baléares n'était pas exclue. Aussi je demandai à mon équipage de se tenir en éveil. C'est à ce moment-là que le Sgc Guyen qui occupait la tourelle arrière me signala que le calibre des munitions n'était pas le même que celui du canon...

À un moment donné apparut, à travers un large trou dans les nuages, une île qui devait bien appartenir aux Iles Baléares. Sur ma carte de calendrier, je fixai ce point à mi-hauteur de l'Espagne et décidai de prendre le cap 170 en direction d'Alger, en faisant une erreur systématique de 10° vers l'est, j'étais à peu près sûr, quelle que soit la dérive du vent, de trouver Alger sur ma droite en arrivant sur la côte.

Un peu plus tard, une fuite au moteur gauche attira mon attention. Sous la forme d'une mince nappe répandue sur l'aile, cette fuite ne me sembla pas importante et j'évitai d'en parler. Par précaution je réduisis le régime du moteur tout en surveillant la température d'huile.

L'heure tournant, nous approchions de la terre et c'est sous un soleil radieux que nous aperçûmes la côte. À voir la tête de notre équipage, je devine la joie des marins de Christophe Colomb découvrant l'Amérique !

Mon option sur le plan de navigation avait été la bonne.

Dix minutes après avoir viré à droite en arrivant sur la côte, nous aperçûmes Alger la Blanche avec son grand port envahi de bateaux. Au nord-est de la ville, il nous fut très facile de repérer le terrain couvert d'avions de toutes sortes. II ne nous restait plus qu'à nous poser pour en finir avec cette aventure.

Je fis donc un tour de piste pour repérer les lieux et, en vent arrière, je mis le levier du train d'atterrissage sur position basse. Rien ! Malgré plusieurs tentatives le train resta rentré.

Je demandai alors au mécanicien de consulter la notice de l'avion pour trouver une solution à ce contretemps gênant.

Je remis donc les gaz et me mis à tourner en rond en attendant de sortir le train avec la pompe de secours. Victoire ! Les trois lumières de l'indicateur passèrent du rouge au vert et il ne me restait plus qu'à me présenter pour mon atterrissage.

leo-45-cockpit-a.jpg
Poste pilote du LeO-45

Je repris mon tour dans le circuit, mais un autre avion sans doute en difficulté me coupa la piste m'obligeant une nouvelle fois à remettre les gaz. Ayant fait toutes ces évolutions volets rentrés, je décidai de ne les sortir qu'en finale.

La commande des volets étant électrique et, au moment de les sortir, un magnifique éclair bleuté surgit du tableau des fusibles. Là, il n'était plus question de remettre encore une fois les gaz et de farfouiller derrière le panneau électrique pour un dépannage éventuel. Trop c'est trop... aussi décidai-je de me poser assez vite... un peu trop vite compte tenu de l'encombrement du terrain.

J'arrivai face à un Potez 63. Je ne pus l'éviter qu'en amorçant volontairement un cheval de bois. Au cours de cette manœuvre, j'accrochai le bout d'aile (aile contre aile) d'un Bloch 160 que je bousculai un peu sans trop de dégâts.

C'étaient mes quatrième et cinquième avions endommagés ou cassés en trois ans, ce qui commençait à bien faire.

Des cinq autres équipages, seul celui du Cne Arnaud était arrivé.

Nous apprîmes plus tard que Dellys et Littolff, par suite d'ennuis mécaniques et du mauvais temps, s'étaient crashés quelque part dans le sud de la France. Marchesseau s'était planté dans les Pyrénées espagnoles, quant au cinquième nous n'avons jamais su ce qu'il était devenu.


Roger RECEVEAU

Extrait de "Souvenirs inachevés" (Éd : Avia éditions - 2006)

Date de dernière mise à jour : 21/04/2020

Ajouter un commentaire