Sur Blenheim au Bretagne

Nous avons eu bien des surprises dont certaines eurent des conséquences dangereuses comme l’obturation d’une pipe d’entrée d’air de refroidissement du radiateur d’huile mettant en péril, en quelques instants, la vie d’un moteur, cela, par l’entrée intempestive d’un charognard.

En revenant de Koufra, secteur très sec, un Blenheim, en liaison Brazzaville-Bangui, après deux heures de vol se crashe en pleine forêt vierge tropicale, les trois occupants de l’avant sont tués sur le coup, dévorés dans la nuit par les fourmis cadavres, les deux de l’arrière, le mécanicien et le radio sont, malgré leurs blessures, miraculeusement épargnés, ils apporteront, un mois plus tard, l’explication de ce drame.

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Bristol "Blenheim"

Sur Blenheim le décollage s’effectuait sur "inner tank" car, en cas de panne moteur les consignes prévoyaient l’expulsion par vide-vite du carburant des réservoirs extérieurs. Après un décollage normal, en fin de montée, le mécanicien passait alors sur "outer tank" jusqu’à épuisement du potentiel, environ deux heures, pour revenir sur les intérieurs jusqu’à la fin du vol.

Toutes ces manœuvres, commandées à partir d’un volant entraînant un câble coulissant dans une gaine Bowden (à l’image des freins de vélo) entraînant, par rotation, un robinet d’ouverture-fermeture.

Alors que l’avion se trouvait à deux mille mètres le mécanicien, au moment du changement de réservoir, découvre avec horreur, que la commande est obstinément bloquée, les deux moteurs s’arrêtent et c’est la disparition dans l’enfer vert qui se referme tel un tombeau sur ce malheureux équipage.

Le radio, seul encore valide sauve le mécanicien atteint d’une fracture ouverte du bassin, attaqué par les fourmis, en l’enveloppant dans un parachute arrosé d’eau de Cologne, alors qu’elles dévorent pendant la nuit, les dépouilles des membres d’équipage situés à l’avant de l’épave. Ces fourmis (Magnans) agissent en colonnes d’une trentaine de mètres, sur environ, quarante centimètres de large et mesurent chacune, entre quinze et vingt millimètres.

Au matin, comble de l’horreur, le radio découvre les squelettes complètement nettoyés de ses camarades avec seulement les yeux épargnés…

Dans le silence, la quasi-obscurité, l’odeur de cadavre insupportable, tenace, caractéristique de ces fourmis, pour se donner du courage, toutes les minutes environ, il introduit une cartouche dans la mitrailleuse et tire dans l’espoir incertain d’être entendu. Le miracle eût cependant lieu car, après plusieurs jours, des pygmées de la région d’Impfondo, en chasse au voisinage du lieu du crash, apeurés par les tirs intempestifs, sont allés prévenir le chef du village le plus proche, au bord du Congo, qui, tirailleur-clairon retraité, guidé par les indigènes, donnait un coup de clairon en réponse à un tir, les sauveteurs parvenaient ainsi jusqu’à l’épave.

Les deux rescapés, un mois plus tard, rejoignaient Bangui en pirogue et pouvaient expliquer l’origine du drame. L’explication technique du blocage reposait en fait sur la dilatation des guides (klingérite) de la gaine du câble de commande, due à l’augmentation de l’humidité relative très élevée en zone tropicale alors que le serrage avait eu lieu en secteur particulièrement sec. L’avarie était due au choix d’un matériau instable. Il s’agissant bien d’un piège.

La liste des initiatives, des actions quotidiennes de vigilance, serait très longue à exprimer. Certaines de ces actions ont sauvé de la réforme des avions, qui, grâce à la volonté farouche de ces hommes isolés ont pu continuer le combat tel cet adjudant responsable du Glenn 428. Toute la partie arrière, du bord de fuite des ailes jusqu’aux gouvernes de profondeur, fût à remplacer, après un crash. À partir d’un ensemble récupéré sur un autre avion accidenté, en fondant et en usinant à la main des rivets impossibles à se procurer par les voies officielles, ce mécanicien réussit, seul, en plein zone désertique, avec quelques tirailleurs, à remplacer toute la partie accidentée du Glenn. C’est cet avion, qui quelques mois plus tard, lors de la seconde campagne du Fezzan (janvier, février 43) capturait, grâce à l’audace de son pilote, près de 200 Italiens surpris en plein désert, avec leur échelon roulant armé.

Un autre cas, un peu différent, mérite d’être cité car il relève du même état d’esprit, celui d’un autre mécanicien, qui de sa propre initiative, a réussi à récupérer deux hélices commandées au Caire, son avion posé sans gros dommages sur le ventre en plein désert il décide de creuser sous les fuseaux moteurs, et après avoir sorti et verrouillé le train d’atterrissage, avec une trentaine de Toubous en tirant l’avion en le faisant rouler sur un plan incliné pratiqué devant les roues : ainsi le Glenn 228 fut remis en ligne en moins d’une quinzaine alors que la hiérarchie l’aurait considéré comme épave.

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Glenn Martin 167 "Maryland"

Le "Bretagne" avait aussi ses petits "pinailleurs".

La défense arrière du Blenheim, chacun en était bien conscient, avec un seul mitrailleur de 7.7 était très faible. Ce n’est que fin 41 que les nouveaux modèles furent livrés en Afrique, avec un jumelage. Si encore on nous avait employés en vol de groupe, c’eût été plus astucieux, non ! Un avion tout seul, alors qu’un CR-42, même avec ses performances modestes disposait de deux 13.2 à tir axial, capable d’ouvrir le feu à cent, voire deux cents mètres efficacement avant nous.

Cette faiblesse rend le fait d’arme de mon camarade Jean Edmond encore plus remarquable.

Alors que nous étions basés à Gordons’Three près de Khartoum au confluent Nil blanc - Nil bleu (point réputé le plus chaud du globe) au mois de mai 41, en mission solo dans la région de Gondar (lac Tana en Abyssinie) il est attaqué par deux CR-42. La surprise est totale car nous avions la maîtrise de l’air, ayant, dans les semaines précédentes, préalablement détruit au sol tout ce qui pouvait voler. C’était sans compter avec ces diables d’Italiens qui, dans la nuit précédente, avaient réussi à en transporter trois dans des Savoya-Marchetti, assemblés ensuite rapidement au sol. Comme prévu l’Italien attaque plein arrière mais Jean détecte l’intrus d’assez loin et prévient son pilote qui met plein gaz, maintenant ainsi l’adversaire, limité en vitesse, en arrière.

Le chasseur connaît manifestement la faiblesse du bombardier et se place en dessous de la ligne de tir du mitrailleur limitée par la sécurité qui protège les plans fixes. Par deux fois l’attaquant passe au-dessus de cette ligne en lâchant une longue rafale mais la riposte du tireur de la tourelle il revient s’abriter sous l’axe protecteur de l’empennage.

Le grand mérite de Jean est, d’abord, de n’avoir pas perdu son sang-froid et ensuite d’avoir su imaginer et anticiper ce que serait la prochaine action du chasseur. Lorsque ce dernier vint, pour la troisième fois, se placer en position de tir, notre mitrailleur était déjà placé, là, où il le fallait pour lâcher en plein moteur de son ennemi une rafale de petit calibre, certes, mais longue et de 1 200 coups / minute… L’affaire n’a duré guère plus d’une minute, la fumée aux fesses le C.R. 42 est allé se crasher dans la nature, le second jugeant l’entreprise trop risquée, abandonne le combat.

Cette aventure heureuse, s’ajoutant à la célébration de la Sainte-Jeanne d’Arc, eût un grand retentissement dans la "Military-Police" qui eût de grandes difficultés à expulser, cette nuit-là, les Français des quartiers chauds déclarés "out of bounds" de la banlieue de Karthoum…

Cette réussite, bien que renforçant le moral des équipages et celui des radio-mitrailleurs en particulier n’effaçait pas complètement le sentiment de vulnérabilité arrière du Blenheim même en doublant sa puissance de feu.

C’est alors qu’un perfectionniste bricoleur, persuadé de surprendre tout le monde, et surtout ses adversaires, entreprit de se pencher sur cette satanée sécurité de tir automatique. En vérifiant de plus près, il s’aperçut avec une règle optique, que la ligne de tir de canons des mitrailleuses passait largement au-delà des bords d’attaque des plans fixes horizontaux et verticaux. Persuadé de faire l’admiration de tous, il s’engage secrètement dans une modification très simple et, encore aujourd’hui, on se demande pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt !

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Armé d’une simple lime, en cachette pour ménager son effet, après plusieurs visées, il modifie les cames métalliques qui commandent le blocage du tir. Impatient d’avoir la preuve qu’il a bien trouvé le fil à couper le beurre, il demande un d’essai et confiant dans l’extrême finesse de son travail, il largue une longue rafale en travers de l’empennage. Il n’y avait plus qu’à le changer. Les vibrations et les oscillations dues au flux de l’air avaient eu raison de ce savant bricolage un peu trop pinaillé.

Pour la petite histoire, l’intéressé, mortifié jusqu’à l’os, s’est spontanément mis en quarantaine, s’isolant sous son avion pour y dormir, s’y nourrir de biscuits et de "corned-beef" évitant ainsi, les sourires sarcastiques de ses petits camarades…


Auteur inconnu

Date de dernière mise à jour : 20/04/2020

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