Opérations aériennes sur Koufra
Janvier 1941
Ordres reçus
Destruction de l'aérodrome et du fortin de Koufra suivant les ordres du Col Leclerc.
Préparation
Le GRB1, disposant de 10 Blenheim, comptait au 30 janvier :
- 9 appareils disponibles sortant tous de révision de 60 ou de 90 heures,
- 1 appareil en cours de dégroupage à Fort-Lamy.
Le matériel accessoire : bombes, munitions, carburant, couchage, vivres, avait été acheminé sur Ounianga au début de janvier par voie de terre. La plus grande partie était à pied d'œuvre mais, par suite de l'intensité exceptionnelle du trafic sur le parcours Lamy-Faya-Ounianga, les camions et les chameaux n'avaient pu tout monter.
Au 30 janvier, il manquait notamment la presque totalité des bombes GP, le matériel de chargement des bombes, le matériel de couchage et une grande partie des vivres. Un avion Bombay mis à la disposition du GRB1 par la RAF a pu monter les bombes manquantes de Faya à Ounianga.
Une camionnette équipée en radio et en génie par les seuls moyens du groupe, partie de Lamy le 19 janvier arrivait le 30 janvier à Ounianga en bon état.
Exécution
30 janvier
4 Blenheim quittaient Fort-Lamy et 4 autres Maiduguri ; l'un d'eux en difficulté de moteur se posait avec un seul moteur à Koro-Toro. Les 7 autres gagnaient directement Ounianga. Le Col Leclerc précisait alors que le GRB1 ne serait pas engagé avant le mercredi 5 février et le serait uniquement sur le fortin.
31 janvier
Consacré aux pleins d'essence et à la révision des moteurs. Le Blenheim en panne à Koro-Toro rejoignait Faya où il procédait à la remise en état du moteur en panne.
1er février
À 17 heures, le GRB1 était alerté par télégramme de la colonne à terre demandant son intervention immédiate sur l'aérodrome.
Une fois les ordres donnés, la nuit fut consacrée aux pleins d'essence et d'huile, à la modification des armements, due au changement d'objectif, au chargement des bombes et à la confection des bandes mitrailleuses.
2 février
À 5 h 45, les équipages et les mécaniciens se trouvaient aux avions, le chargement en bombes s'était révélé très difficile du fait du manque de treuils et de chariots porte-bombes. Les deux seuls armuriers qui avaient déjà travaillé toute la nuit, purent difficilement terminer leur tâche pour 10 h 45, heure limite de décollage.
Le départ prévu pour 9 h 30 eut lieu à 10 h 45 :
- 2 Blenheim de l'État-major du Groupe,
- 3 Blenheim de la 1ère escadrille,
- 2 Blenheim de la 2ème escadrille
prirent le départ.
Un avion de la deuxième escadrille ne put partir. Ayant eu une baisse de régime à 100 km d'Ounianga il dut revenir au terrain. Il largua ses bombes dans le désert et atterri sans incident.
L'opération proprement dite se déroula normalement.
Cette première mission montra :
- que le départ et le retour en groupe doivent être obligatoires afin de permettre un fonctionnement correct des transmissions, d'assurer une navigation
aussi précise que possible et de repérer les équipages en détresse,
- que les chargements de bombes ne peuvent être faits dans les heures précédant le départ sans matériel adéquat (un armurier par deux avions est
un minimum),
- que l'envol de la totalité des avions du groupe sur un terrain sablonneux est considérablement retardé par la poussière de sable soulevée, poussière qui a obstrué les mécanismes de certains lance-bombes et de plusieurs mitrailleuses.
3 février
À la suite d'un deuxième message du Col Leclerc, il fut, envoyé un Lysander et un Potez sanitaire au puits de Sarra.
Contrairement aux ententes avec les troupes à terre, le terrain n'était ni balisé ni repéré par des feux, les avions rentrèrent à bout d'essence sans avoir trouvé le terrain. Journée passée en révision et chargement des avions.
4 février
La liaison est assurée avec le Col Leclerc, les deux avions d'observation ayant trouvé le terrain de Sarra en un point totalement différent de celui indiqué par le télégramme précédent. Par une lettre manuscrite en date du 4 février 1941, le Col Leclerc donne de nouvelles instructions au GRB1.
L'après-midi, arrivée du Cne Florentin qui apporte une autre lettre manuscrite du colonel Leclerc donnant des ordres périmés. Le Lt de la Roche rapporte de Faya les nouvelles de la radio italienne.
5 février
Départ pour bombardement de l'aérodrome de 4 Blenheim. L'avion du Lt de Saint-Péreuse se pose au nord de Tekro à la suite de l'arrêt du moteur droit. Emplacement reconnu par le SgC Pétain. Équipage indemne, une équipe de secours commandée par le Lt Crouzet et comprenant 2 camions est envoyée sur les lieux. Une liaison par avion est organisée, les premières recherches effectuées le soir même en Lysander par le Cdt Astier de Villatte sont infructueuses.
L'avion de l'Adc Grasset fait demi-tour par suite d'un échauffement anormal des moteurs.
Aucune nouvelle des deux autres avions. Seul celui du lieutenant Claron passe un SOS, semblant indiquer qu'il est perdu dans la région d’Ounianga-Kébir. Impossibilité de communiquer avec cet avion pour le relever. Le compte-rendu de cette mission a été établi après le retour de l'équipage du Blenheim posé à Gouro.
6 février
La mission prévue est remise par suite de conditions atmosphériques défavorables au nord Ounianga :
- À 10 heures, un télégramme annonce que l'avion du Lt Hirlemann a atterri à Gouro. Un camion y est envoyé avec de l'essence pour lui permettre de rejoindre Ounianga.
- À 11 heures, tous les postes du nord sont alertés pour les recherches de l'équipage Claron.
- À 13 heures, tempête brutale et vent de sable bouchant en moins de 10 minutes tout l'horizon. Les deux avions devant aller reconnaître et ravitailler le Lt de Saint-Péreuse sont arrêtés. Il n'y a plus qu'à attendre.
7 février
La tempête de sable diminue d'intensité. Recherche de l'avion du Lt de Saint-Péreuse sans résultat. Le Lt Hirlemann demande une équipe de dépannage à Gouro, ses moteurs fonctionnant mal.
8 février
Arrivée du général de Larminat en Glenn-Martin piloté par le Cdt Goumin. L'avion du Lt de Saint-Péreuse est retrouvé, repéré et l'équipe de dépannage commence son démontage.
9 février
Le Général de Larminat décide d'aller à Sarra, en Glenn-Martin. Sans avoir trouvé le terrain, le Cdt Goumin repart vers Fort-Lamy.
L'avion de transport Bombay mis à la disposition des FAFL par la RAF part pour bombarder Koufra et ne rentre pas. On pense qu'il a atterri dans la vallée du Nil par suite de la mauvaise visibilité.
L'avion du Lt Claron reste introuvable malgré les recherches. Deux Lysander font le voyage de Sarra pour rien, le colonel Leclerc ne se trouvant pas au rendez-vous. Un télégramme arrivé l'après-midi précise que par suite de retard il n'est arrivé qu'a 17 heures au lieu de 10.
Aucune garde ne se trouvait à Sarra pour protéger les avions contre une attaque italienne possible.
10 février
Mission de bombardement du fortin El Tag à Koufra. Six avions partent à 10 heures, mais l'avion du Lt du Boisouvray, par suite d’une baisse de régime, fait demi-tour après 20 minutes de vol.
Voyage dans des conditions de visibilité très mauvaises, brume de sable, nuages. Le bombardement est effectué à hauteur des nuages.
Au retour, un avion est repéré par le Capitaine Lager à 130 milles d'Ounianga, à 20 milles de la route. Une reconnaissance faite le lendemain montrera qu'il s'agit du Bombay. Un groupe de deux Blenheim ira le repérer demain. Nous supposons qu'il s'agit de l'avion du Lt Claron.
Le Bombay donne de ses nouvelles, il s'est perdu aux environs d'Ounianga et se fait relever en gonio par la voiture radio. Aucun avion n'étant disponible les recherches seront faites demain.
Arrivée du Col Leclerc de Sarra par Lysander. Il a poussé jusqu'à Koufra et ramené un prisonnier.
Contrairement aux décisions prises avant les opérations, le Col Leclerc demande une nouvelle série de missions au GRB1 et il n'admet pas l'indisponibilité de la totalité des avions. Il sembla que la non-réussite ou tout au moins la demi-réussite des opérations de Koufra doive retomber sur l'aviation (1). Le Col Leclerc fait remarquer au Lt Labas que nous avons eu tort de faire rechercher les avions perdus.
Recherches de l'avion du Lt Claron par cinq Blenheim, pas de résultat.
11 février
Départ du Col Leclerc pour Faya en Potez sanitaire. Ravitaillement du Bombay par les deux Lysander. Il rentre par ses propres moyens à Ounianga. Nous apprenons qu'il n'a pas trouvé Koufra, s'est perdu au retour, s'est retrouvé à l'ouest d'Aouenat et a finalement fait un premier atterrissage sur le sable le 9 puis un second vol le 10 avec ce qui lui restait d'essence.
12 février
La remise en état des avions révèle que quatre grosses réparations seront nécessaires au retour et que presque tous les moteurs droits devront être dégroupés. L'ordre de retour est donné.
Conclusions
Résultats
D'une façon générale les missions prévues ont été exécutées. Le GRB1 avait garanti de faire un minimum de 14 missions sur Koufra, il en a exécuté 17.
Les résultats obtenus au cours des deux premières opérations sur l'aérodrome ont été satisfaisants et semblent supérieurs à ce que l'on peut être en droit d'attendre sur de tels objectifs. Les résultats de la troisième opération ont été moins bons, très probablement par suite d'une erreur de cartes situant le fortin d'El Tag à une altitude fausse.
Les pertes sont de deux appareils et de un équipage :
- Un appareil a eu une panne à un moteur à 100 km de l'objectif, puis au retour une panne de l'autre moteur à 150 km Ounianga. L'avion posé train rentré semble récupérable, il est en cours de démontage. L'équipage est sain et sauf, l'équipement spécial qui avait été prévu pour le cas de panne dans le désert s'est révélé entièrement au point.
- L'autre appareil, aperçu pour la dernière fois sur Koufra, n'a jusqu'à présent pas été retrouvé. L'équipage doit pouvoir tenir jusqu'au 20 sans de grosses privations. Il semble se trouver dans un rayon de 100 km d'Ounianga, mais par suite d'un affolement du radio, il n'a pu être mieux repéré par la voiture radio qui a reçu de lui le dernier message avant qu'il ne se pose à bout d'essence.
Matériel
Un groupe de Blenheim partant d'un terrain de secours situé à 1.200 km des bases et opérant sur un objectif situé à 600 km de ce terrain est soumis aux risques maximum et ne peut avoir qu'un rendement minimum :
- Le personnel mécanicien est réduit alors que les moteurs et cellules, soumis à un traitement anormal, demandent un entretien maximum,
- Les moyens dont disposent les équipes de mécaniciens sont limités à la caisse d'outillage alors qu'il faudrait un véritable atelier pour faire face aux réparations simplement de première nécessité,
- Le travail en plein air se fait dans une atmosphère saturée de sable, avec le seul secours de noirs complètement inexpérimentés. Les moteurs se trouvant extrêmement bas, avec une prise d'air au-dessous de l'aile, ont subi une usure rapide, surtout les moteurs droits qui sont en plein dans les remous provoqués par l'hélice gauche,
- Au cours de la première opération un seul avion a eu des difficultés de moteurs,
- Au cours de la deuxième opération, deux avions ont eu des pannes ou tout au moins des ennuis avec leurs moteurs,
- Au cours de la troisième opération, tous les avions, sans exception ont eu des baisses de régime ou des ennuis divers de moteurs,
- La consommation d'huile qui était de quatre litres par heure lors du voyage de Fort-Lamy-Ounianga Kébir est passée au cours de la troisième opération à huit litres par heure. Les moteurs ne sont pas seuls à avoir souffert du sable. Les lance-bombes et mitrailleuses, malgré les révisions constantes, ont eu plusieurs enrayages, certains pouvant avoir des conséquences graves,
- Au cours de la première opération, 2 avions sont rentrés l'un avec 4 petites bombes, l'autre avec 4 bombes incendiaires, en partie déclenchées,
- Au cours de la troisième opération, un avion est rentré avec une bombe de 250 livres non déclenchée.
Le radio a elle aussi pâti des conditions locales. L'existence d'une zone constante de vent et de brume de sable entre Ounianga et Koufra provoque des extinctions à peu prés complètes et fausse les relèvements goniométriques. La poussière de sable a provoqué de nombreuses pannes à l'intérieur des appareils d'émission et de réception.
Météo
Les prévisions météorologiques sont à peu près impossibles à établir en raison du défaut de liaison. Les opérations n'ont pu bénéficier que de sondages locaux, en général insuffisants, et de prévisions anglaises vieilles de 24 heures.
À chaque mission il a été constaté que le régime des vents à Ounianga n'avait aucun rapport avec le régime des vents au nord de la falaise de Tekro. Des dérives passant de -10° à +10° ont été fréquemment mesurées.
C'est probablement là une des principales causes de l'incident du Bombay, dont l'équipage est habitué à voyager avec des prévisions météorologiques précises.
Personnel
Le personnel navigant et mécanicien s'est montré à la hauteur de sa tâche :
- Le personnel navigant, en exécutant avec le plus bel esprit de sacrifice des missions périlleuses dans un pays rébarbatif où la panne pardonne rarement et sur un matériel peu adapté à ce genre de mission ;
- Le personnel mécanicien, en travaillant jours et nuits pour lutter contre les éléments contraires et maintenir le matériel au potentiel maximum. L'attention du commandement est particulièrement à attirer sur l'effort extraordinaire fourni par les équipages des 4 avions du détachement des FAFL du Tchad. Avec un matériel fatigué ou complètement inapte à la navigation, ils ont exécuté des missions chaque jour, quelques soient les conditions météorologiques, atterrissant sur un terrain de fortune en territoire ennemi, terrain non gardé malgré les assurances données par les troupes. Ils ont grandement aidé au sauvetage du Blenheim et du Bombay posés au sud du Jef-Jef. Le personnel navigant qui a participé à de telles opérations est mûr pour toutes les missions, car rares seront mis à l'épreuve avec une telle intensité. Lorsque d'autres missions auront permis à l'ensemble des équipages d'acquérir une discipline de vol totale, le Groupe sera digne des Groupes de bombardement de jour qui avaient la maîtrise du ciel en 1918.
Sources : "Mémorial Leclerc de Hauteclocque", Musée Jean Moulin, Mairie de Paris (Rédacteur inconnu)
(1) Quand il donna l'ordre d'exécuter le bombardement, les aviateurs lui firent remarquer :
- Que l'objectif était presque en limite du rayon d'action.
- Que la météo était détestable (vent de sable) et qu'il convenait d'attendre, la navigation étant plus qu'incertaine...
Leclerc leur a fait alors une scène épouvantable, les accusant de lâcheté, de faire honte au drapeau, leur disant qu'ils étaient dignes des aviateurs responsables de la désastreuse campagne de France... il reprenait alors la position de l'Armée de Terre qui dès l'armistice s'était défaussée de ses erreurs (Gal Gamelin) sur les aviateurs dont elle avait organisé la dispersion des moyens pour se les garder le plus possible. Les quatre équipages dans ces conditions ne pouvaient que décoller.
En refusant d'écouter ceux qui étaient techniquement compétents, Leclerc a non seulement obtenu un résultat nul sur l'objectif mais encore risqué de perdre la totalité des moyens aériens dont il disposait ce jour-là, les Anglais lui ayant accordé à grand-peine quelques Blenheim à bout de souffle.
Officier de liaison auprès de la Première armée à Strasbourg, j'ai rencontré chez certains, heureusement rares (les autres étaient assez intelligents pour comprendre), le désir de donner des ordres directs aux aviateurs, sans rien y connaître....
Date de dernière mise à jour : 20/04/2020
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