Le sous-lieutenant Guillemard saute de son P-47 en feu

Le 3 septembre 1944, le Groupe de Chasse 1/7, équipé de Spitfire Mk IX, stationné jusqu'alors en Corse, après une mission de straffing  sur l'Italie, se pose sur le continent, premier des formations de chasse alors en opération. Nous l'avions quitté en juin 1940.

Vers midi, en alerte depuis deux heures, je décolle avec mon équipier, le lieutenant Guilleminot, en protection de la région marseillaise, où sont annoncés des Me-109 descendant la vallée du Rhône. Après une heure de présence sur cette région, nous sommes relevés par une patrouille de l'Aéronavale, sans que les 109 aient apparu jusqu'alors.

L'après-midi, le Cne Madon, commandant notre escadrille, me prête une voiture pour que j'aille aux nouvelles du S/Lt Guillemard du groupe "La Fayette", qui opère dans la même région. Il faisait partie d'un dispositif en mission sur la vallée du Rhône, et qui avait été accroché par des Me-109. Guillemard est un vieil ami et je suis parrain de son fils.

Des troupes allemandes en retraite sont signalées entre Montélimar et Valence. C'est la 19ème Panzer Divizione qui reflue depuis Bordeaux.

Tous les ponts sont détruits et mon itinéraire, modifié sans cesse en interrogeant les villageois, me conduit le long de la Durance, que je parviens à franchir sur des passerelles improvisées. J'arrive à Donzère à la tombée de la nuit.

Les bas-côtés de la Nationale 7 sont jonchés de véhicules détruits par les patrouilles de P-47 des Groupes 2/5 "La Fayette" et 2/3 qui opèrent dans cette région. L'atmosphère est chargée d'odeurs qui ne laissent aucun doute sur la présence de corps étendus sous les carcasses.

Les rues de Donzère sont vides. La nuit tombe. J'aperçois des lumières dans une maison isolée. Je frappe à la porte et j'explique aux braves gens, paniqués, le but de ma visite. J'apprends que Robert Guillemard a bien sauté de son P-47 en flammes en parachute dans le secteur. Mais il a été tiré, au cours de sa descente, par les Allemands (une unité de Mongols incorporés dans la Wehrmacht). Des témoins l'ont aperçu, à un certain moment, plié en deux au bout de ses suspentes. Après le départ des soldats, ces témoins se sont approchés de son corps, ont constaté qu'il avait été terriblement mutilé, et l'ont conduit au cimetière où ils l'ont inhumé.

Je me rendis chez le curé du village où le corps de ce pauvre Guillemard avait été amené dans son parachute ensanglanté. Je le récupérai, ainsi que la chevalière du commandant de La Horie, du Groupe 2/3, abattu dans le même secteur.

Après avoir recueilli de nombreux témoignages parmi la population, je retournai à Istres où mon groupe stationnait sur le terrain de Vergières. Logement sous la tente...

Mon Spitfire IX fut baptisé "Sous-Lieutenant Guillemard"

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Le Spitfire IX "Sous-Lieutenant Guillemard"

Nous fîmes "payer la note", au cours des missions suivantes, sur les convois qui remontaient vers l'Allemagne, des locomotives et, plus tard, les aérodromes allemands.

Le 2 septembre, au cours d'une liaison sur Ambérieu, où venait d'atterrir le groupe "La Fayette", je rendis compte au commandant Arnaud (qui allait être abattu à son tour, trois jours plus tard, en attaquant une batterie de Flak) de ma mission sur Donzère. Je lui remis le parachute et la chevalière, que le curé m'avait confié.

En 1949, avec son épouse et quelques amis, dont Claude Dellys ancien de la Patrouille de Salon, nous avons ramené le corps de Robert Guillemard à Paris, où il a été inhumé.


Jean SARRAIL

Extrait de "Pionniers" n° 152 du printemps 2002

Date de dernière mise à jour : 19/04/2020

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