Le petit garçon qui regardait passer les avions

Depuis mon plus jeune âge, je n’ai cessé de regarder passer les avions. Dès que j’entendais un moteur, je me ruais dehors pour admirer la "chose ", puis pour l’identifier lorsque mes connaissances dans le domaine aéronautique se furent suffisamment développées. Je dois avouer que, malgré un âge avancé, il m’arrive encore de lever le nez pour examiner ce qui passe à proximité.

Le petit pilote v3
J'veux être pilote, moi !

Ayant passé mon enfance dans un milieu aéronautique, je ne pouvais que subir une réelle attirance pour l’aviation.

Albert

Dans les années 30 à 39, nous habitions Albert, dans la Somme, et mon père avait un emploi administratif chez Potez à Méaulte, à quelques kilomètres de là.

Cigogne potez
Logo Sté Potez

Grand entrepreneur, Henry Potez avait développé une société qui comportait, non seulement l’usine de Méaulte, mais également une usine de construction d’hydravions à Sartrouville, des ateliers de fabrication de moteurs à Argenteuil ainsi que des ateliers à Aire-sur-l’Adour qui, créés il y a 80 ans, existent toujours sous le nom de HP-Potez Aéronautique et travaillent pour l'aéronautique. 

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Henry Potez

Henri Potez avait également créé au Fayet, près de Chamonix, une Base où étaient proposés sur ses avions le survol du Mont-Blanc.

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Le hangar Potez au Fayet

Enfin, il est à signaler que Marcel Bloch (plus tard Dassault), ne disposant pas alors d’ateliers suffisants pour ses fabrications, fut accueilli à Méaulte par son ami Henry Potez (avec qui il avait étudié une hélice en 1917) pour assembler ses Bloch 200.

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Le terrain Potez (en vert) avant la guerre (DGAC)

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L’usine de Méaulte dans les années 30

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Plan général de l'usine

Mon père m’a emmené plusieurs fois à l’usine où l’on fabriquait encore des Potez 25, peut-être les derniers. Je me souviens encore de l’atelier où l’on entoilait leurs ailes qui étaient placées verticalement sur des bâtis. De chaque côté, étaient assises des ouvrières, munies de très longues aiguilles (environ 50 cm), qu’elles se passaient au travers de la structure de l’aile pour y fixer la toile. À cette époque, ce type de textile, connu sous le nom de toile d’avion, fut très utilisé dans la confection, pour les robes en particulier. Je me souviens que, pendant la guerre, un magasin des Champs-Elysées portait encore le nom "À la toile d’avion".

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Potez 25

Après entoilage, les ailes étaient revêtues de plusieurs couches de vernis dont l’un, de couleur vert clair, s’appelait l’Emaillite. Le nom est resté longtemps dans l’Armée de l’air pour désigner les plats de pois cassés, en général peu appétissants, servis dans les réfectoires à cette époque.

Autre atelier, celui des hélices (Potez fabriquait même ses hélices !) où j’admirais un ouvrier maniant adroitement un pistolet à peinture et équilibrant une hélice en appliquant sur l’une ou l’autre des pales un jet de couleur jusqu’à ce que l’hélice reste bien horizontale sur son support.

Et puis, la piste, où étaient alignés les appareils en cours d’essais et où, un jour, Détré m'a serré la main, ce dont je n'étais pas peu fier.

À Albert, nous habitions avenue de la République. Celle-ci était prolongée par la route nous reliant à Bapaume. Les pilotes utilisaient cet axe d’environ 20 km comme "base" pour étalonner les instruments des avions ou mesurer leurs performances. Les appareils passaient à la verticale de la maison, à une hauteur d’environ 100 m, et, à chaque fois, je ne manquais pas de me précipiter dehors pour les identifier.

En janvier 1933, Henry Potez décide de participer à la Coupe Deutsch (1) et lance la construction de deux exemplaires du Potez 53, appareil en bois propulsé par un moteur Potez de 310 cv. Quatre mois plus tard (quatre mois !) ces deux avions seront mis en oeuvre par Gustave Lemoine pour le "12" et Georges Détré pour le "10". Mais le 29 mai 1933, c'est Georges Détré qui remportait l'épreuve à 322.81 kmh de moyenne.

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Gustave Lemoine et Georges Détré (MAE)

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Potez 53 (MAE)

Le soir de ce 29 mai, des centaines de personnes se sont rendues en bordure du terrain de Méaulte pour accueillir le vainqueur à son retour. À l’époque, nous ne disposions ni de voiture ni de vélo. Nous y sommes donc allés à pieds, car en ce temps là on n’hésitait pas à utiliser ses jambes !

J'ai également le souvenir d'un meeting organisé à Méaulte, et endeuillé à deux reprises :
- Un parachutiste qui s’accroche à la bordure du toit d’un hangar puis tombe d’une hauteur de 10 m,
- Un Potez 58 passe à très basse altitude en bordure de la zone réservée au public et s’écrase plus loin après avoir accroché un poteau supportant un haut-parleur. Pour mieux voir, on m’avait installé debout sur une chaise. Mon père m’a jeté à terre juste avant le passage de l’avion.

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Potez 58

Un autre jour, je fus impressionné par le défilé devant la maison de camions transportant des débris d’avion : le Potez 41 s’était écrasé dans les environs tuant son pilote Gustave Lemoine. Prototype d’un bombardier de nuit, cet appareil de 36 m d'envergure était un avion pour le moins bizarre, avec ses moteurs installés en haut de cheminées posées sur les ailes.

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Le Potez 41

D'autres souvenirs moins précis :

- un repas avec des officiers roumains venus prendre livraison de Potez 540,
- tous les jours, midi et soir, l'arrivée, sur la place de la mairie, des véhicules transportant le personnel, véhicules très particuliers, que je n'ai retrouvé nulle part ailleurs, et composés d'un tracteur attelé à une remorque aménagée comme un autocar,
- enfin, l'inauguration de la piscine de Méaulte qui a réuni beaucoup de monde et s'est terminée très tard.

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Les cars de l'usine

Quelques années plus tard, j'avais réalisé mon rêve : je suis pilote dans l'Armée de l'air. Le 18 juin 1962, j'ai l'occasion de revenir à Méaulte aux commandes d’un Noratlas et c'est sur la nouvelle piste, baptisée Albert-Bray, que je me pose pour charger un engin-cible CT-20 à destination de Colomb-Béchar. J’avais du mal à reconnaître l’ancien aérodrome Potez qui était désormais occupé par les hangars de la SNCAN.

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Au premier plan, la piste d'Albert-Bray. Au fond, l'ancien terrain Potez.

Berck-Plage

À la déclaration de guerre, mes parents me mirent dans une pension de famille à Berck-Plage, endroit théoriquement moins exposé, où nous étions une dizaine de gosses qui s’entendaient fort bien.

J’ai gardé de bons souvenirs de cet hiver 39/40 pendant lequel, en dehors de l’école, nous organisions des jeux dans les dunes.

Le terrain de Berck était occupé par l’Aéronavale qui y avait stationné les Loire-Nieuport 411 des AB2 et AB4, flottilles qui furent pratiquement anéanties en mai 40 lors d’attaques à basse altitude en Hollande, en Belgique et dans le nord de la France. 

Ln 140
Loire-Nieuport 411

À l’aube du 10 mai 1940, le terrain fut bombardé par deux Heinkel 111 : cinq morts et deux appareils détruits.

À partir de ce moment, la retraite des armées amena un flot de militaires français et belges, ainsi que des réfugies civils, qui s’entassèrent un peu partout.

Il y eu de nombreux combats aériens dans le ciel, mais je ne me souviens pas d'avoir vu d’avions descendus. Un jour, des chasseurs bizarrement camouflés y participèrent. Ils avaient une aile de couleur sombre et l'autre claire. J'appris par la suite que c'étaient des Skua de la Royal Navy. Comme le Roc, qui en était la version terrestre, ces appareils étaient déjà périmés à cette époque.

Skua
Blackburn "Skua"

Le 21 mai en milieu de journée, une colonne allemande déboucha en trombe sur la place de l’Entonnoir (ainsi nommée de par sa forme en triangle). Beaucoup de véhicules, mais en fait peu d’hommes à bord. Les soldats français et belges présents ne bougèrent pas, acceptant passivement leur défaite, sans tirer un seul coup de feu.

Plus tard, une patrouille de Messerschmitt 109 surgit à basse altitude sur la plage. Ils étaient magnifiques avec leurs fuselages gris clair et leurs grandes croix noires.

Bf 109
Messerschmitt Bf 109

Le même jour, les Allemands atteignaient Abbeville et la baie de Somme. Nous étions désormais coupés du reste de la France, enfermés dans une poche dont la taille allait diminuer de jour en jour. À la fin, il ne resta plus que Dunkerque dont une partie des troupes pu être évacuées vers l’Angleterre.

Nous vécûmes les premiers jours d’une occupation qui devait durer quatre longues années. Au début, cela ne se passa pas trop mal avec les Allemands. L’histoire a retenu, qu’en cette période où ils accumulaient les succès, ils étaient "korrects".

Un matin, on vit arriver place de l’église un camion allemand chargé de fromages de Hollande. Deux infirmières allemandes commencèrent la distribution aux personnes présentes et bientôt, il y eu foule autour du véhicule. À un moment, l’une des infirmières demanda en Français :
- « Qui n’en a pas eu ? »

Et des mains se levèrent.

En retrait, un cameraman allemand filmait la scène, montrant des Français semblant faire le salut hitlérien et saluant les troupes allemandes, scène qui a du être projetée dans toutes les salles de cinema du Reich.

Arras

Dès le début de l’occupation, mes parents me firent revenir à Arras où nous habitions désormais. La ville avait été bombardée et les miens avaient failli périr dans le bombardement de la gare où, comme beaucoup, ils s’étaient rendus pour quitter la ville.

Tout ce qui était au nord de la Somme avait été rattaché à la Belgique et formait ce que l’on a appelé la "Zone interdite". Les conditions de vie y étaient plus difficiles que dans le reste de la France occupée, tant sur l’impossibilité de se déplacer librement que sur le ravitaillement que les Allemands nous laissaient. L’hiver 40/41 fut vraiment très dur à passer : il était difficile de trouver de la nourriture.

Le rationnement a immédiatement été organisé et des tickets délivrés pour tous les produits de première nécessité. Par la suite, cela a été "moins mal", grâce surtout à la débrouillardise légendaire des Français. Pour notre part, nous allions une fois par mois à Orville, village proche de Doullens d’où était originaire ma famille maternelle. Nous en revenions avec quelques pommes de terre, un peu de beurre, parfois de la viande.

Tous les soirs, nous écoutions Radio Londres. Les Allemands brouillaient la fréquence et, pour ne pas être surpris par leurs patrouilles qui faisaient des rondes, nous réduisions le volume et écoutions l’émission blottis près du récepteur. Dans notre zone, nous étions très nombreux à être gaullistes et, il faut bien le reconnaître, le prestige du Maréchal Pétain était ici moindre que celui qu’il atteignait dans la zone dite "libre".

Au collège, notre professeur d’anglais, Guy Mollet, avait formé une petite équipe, dont je faisais partie, qui l’aidait à préparer des colis pour les prisonniers. Ce n’est qu’après la guerre que j’ai appris qu’il était alors l’un des responsables de la Résistance locale. Il devait ensuite faire la carrière politique que l’on sait. Notre professeur de mathématiques (dont j’ai malheureusement oublié le nom) faisait également partie de la Résistance mais, pris par les Allemands, il fut fusillé dans les fossés de la citadelle d’Arras.

Lors de la Bataille d’Angleterre, nous assistions au départ des formations de Dornier 17 et de Heinkel 111 partant des terrains de la région pour aller bombarder Londres ou d’autres villes. Nous les comptions au départ et au retour pour noter combien avaient été descendus. Dans notre naïve jeunesse, nous ne pensions pas un seul instant que ce n’étaient pas forcément les mêmes unités qui passaient au-dessus de nous. 

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Dornier 17

Avec quelques camarades, férus comme moi d’aviation, nous étions devenus des experts de ce que les alliés ont appelé par la suite Aircraft Recognition. Un jour, un chasseur allemand mystérieux apparaît dans le ciel, nous laissant perplexes : son moteur en étoile, ses ailes courtes et carrées ne nous disaient rien. En fait, c’était l’un des tout premiers Focke-Wulf 190 mis en œuvre sur le front de l’ouest.

Fw 190
Focke-Wulf 190

Mais nous avions aussi l’occasion d’apercevoir des appareils alliés, comme cet après-midi où nous avons eu la joie de voir une douzaine de Spitfire survoler Arras à une altitude d’environ 500 m, les deux derniers faisant des évolutions en ciseaux pour surveiller les arrières de la formation.

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Supermarine Spitfire

Tous ces avions me faisaient rêver et je pensais déjà au jour où je pourrais piloter l’un d’eux.

Pendant toute cette période, nous assistions (de jour seulement !) au passage des carcasses des avions alliés descendus et transportés sur des camions. On ne voyait jamais de débris d’avions allemands, ceux-ci devant certainement circuler la nuit. Une fois seulement, certainement suite à la panne du camion, le fuselage dun Dornier 17 criblé de balles a stationné plusieurs heures sur la place de la gare, où un attroupement s’était formé, comptant les trous.

Dernier souvenir de cette époque : j’étais assis à l’entrée de la maison. Un Allemand, qui logeait dans une chambre réquisitionnée dans une maison voisine, vint à passer. Lorsqu’il fut devant moi, je crachais par terre. Il continua son chemin puis, quelques pas plus loin, fit demi-tour, vint se planter devant moi et me déclara dans un français parfait :
- « Jeune homme, ne recommencez pas, cela pourrait vous coûter très cher ».

Puis il repartit me laissant littéralement "mort de trouille ".

Ce geste fut mon seul acte de résistance durant l’occupation.

Plaisir

En 1942, nous sommes venus habiter à La Chaîne, qui est l’un des hameaux de la commune de Plaisir, 15 km à l’ouest de Versailles.

J’obtins à Paris une place de dessinateur-industriel dans une société d’électricité qui était utile à l’occupant. J’avais reçu un Ausweis qui m’évitait d’être envoyé en Allemagne au titre du Service du Travail Obligatoire (le STO)

Il y avait de fréquents contrôles de police. Un jour, au détour d’un couloir dans le métro, je me heurte à un barrage. Un des policiers s’avance vers moi et me murmure à l’oreille :
- « Montrez-moi n’importe quel papier ».

Je sortis une vague carte de mon portefeuille et il me laissa poursuivre mon chemin.

À cette époque, l’activité aérienne dans la région était intense.

Les Allemands occupaient un certain nombre de terrains proches de chez moi : Villacoublay, Saint-Cyr l’École, Toussus le Noble, Guyancourt. Plus tard, après le débarquement, un terrain de campagne devait être activé, dans des champs proches des Mesnuls, et occupé quelques jours par un groupe de chasse.

Également, de nombreuses batteries de Flack avaient été installées alentour, certaines sur des plateformes ferroviaires permettant leur déplacement rapide. Ils ne regardaient vraiment pas à la dépense et je suis certain que des millions d’obus ont été tirés. Évidemment, il y avait des retombées . Un matin, traversant inconscient le pont de l’Alma pour me rendre à mon travail alors que la Flack tirait en permanence sur un raid américain, un éclat de la taille d’une pomme tomba devant moi. J’ai voulu le ramasser, mais il était brûlant. Je suis allé bien vite m’abriter sous une porte cochère.

Il devait y avoir dans les environs une école de perfectionnement car nous étions souvent survolés par des Arado 96 (identiques à ceux que je devais retrouver plus tard à Cognac) où des leaders entrainaient leurs équipiers en patrouille serrée à basse altitude.

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Arado 96

Les chasseurs de la Luftwaffe étaient également très présents. Ils leur arrivait, bien sûr, de descendre des appareils alliés mais ils en perdaient également. Je me souviens, lors du passage d’un raid de B-17 : un Focke Wulf 190 en descente, trainant un léger panache de fumée blanche, passe au-dessus de chez nous et se crashe dans les champs au nord de l’étang de Saint-Quentin.

Plus cocasse, la vision d’un Fieseler Storch sur le dos, avenue de Paris à Versailles. Le pilote avait du voler trop bas et s’était pris les pieds dans les fils du tramway.

Du côté des Alliés, nous étions survolés presque tous les jours et toutes les nuits. Le jour, c’étaient les Américains, la nuit, c’était la Royal Air Force.

Plusieurs fois par semaine, les formations de quadrimoteurs traversaient le ciel, en route vers leurs objectifs. D’abord, on apercevait au loin leurs trainées de condensation avant de les entendre et de les distinguer, brillant dans le soleil.

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Raid de B 17 et attaques des chasseurs

Pendant cette période, la région a subi beaucoup de bombardements, chaque fois un grand nombre de morts parmi la population civile :

- Boulogne-Billancourt le 3 mars 1942 : 623 morts et 1505 blessés,
- Boulogne-Billancourt le 4 avril 1943 : 403 morts,
- Juvisy le 18 avril 1943 : 463 morts,
- Paris, quartier de la Chapelle en avril 1944 : 642 morts et 2 000 blessés,
- D'autres encore : Versailles-Chantiers, Villacoublay, Guyancourt, Poissy, Mantes…

Le 3 octobre 1943, après déjeuner, je suis parti dans les champs pour ramasser de l’herbe pour nos lapins. Cela faisait partie de mes responsabilités.

À un moment j’ai vu surgir de l’ouest un groupe de bimoteurs qui, le nez en l’air, prenaient de l’altitude. Ils se sont mis en formation serrée avant de disparaître en direction du plateau de Saclay. Quelques instants plus tard, j’ai entendu leurs bombes exploser.

Boston
Boston III

Le soir, par la radio, nous apprendrons que c’était un quartier de Chevilly-Larue qui avait été atteint et que l’un des appareils était tombé dans la Seine à proximité du pont de Tolbiac.

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Récupération des débris du "Boston"

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Plaque du souvenir sur le pont de Tolbiac

Mais ce n’est qu’après la guerre que j’ai connu le déroulement de cette mission, telle qu’elle a été décrite par Pierre Mendès-France dans son livre "Roissy-en-France".

Après tant d’années, beaucoup de souvenirs se sont estompés mais le passage fugace de ces appareils du Squadron 342 "Lorraine", mis en œuvre par des Français Libres, est resté nettement gravé dans ma mémoire. Peut-être du fait de mon affectation, beaucoup plus tard, à l’Escadron 3/30 "Lorraine", où nous conservions avec soin dans notre salle d’honneur les souvenirs de nos Grands Anciens a sans doute ravivé ce souvenir.

Une nuit, la gare de triage de Trappes a été bombardée. Je me souviens parfaitement de cette nuit du 2 au 3 juin 1944, où la RAF a transformé les installations et le matériel en un vaste champ de ruines. Il devait y avoir plusieurs vagues car cela a duré des heures. Ce raid, le deuxième depuis le début de l'année, fit 240 morts parmi la population civile.

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Bombardement de Trappes

Un des Lancaster a été touché et coupé en deux. La plus grande partie est tombée sur un transformateur à l'entrée ouest de Bois d'Arcy.

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Avro Lancaster

La queue est tombée à proximité du hameau de Ste Apolline Elle était bien à plat, peu endommagée. Étant allé sur place dans la matinée, j'y ai trouvé un soldat allemand gardant le corps du mitrailleur de queue qui avait été extrait de sa tourelle. Je me souviens qu’on lui avait volé ses bottes de vol mais qu’on lui avait laissé quand même ses magnifiques chaussettes de laine blanches.

Sur le chemin de retour, j'ai trouvé dans les bois un morceau de l'appareil qui m'intriguait tant il y avait de câblages et de moteurs. Avec une remorque pour vélo, je suis revenu l'après-midi et ai chargé cette pièce pour la ramener à la maison. Étant d’un naturel "bidouilleur", j'ai entrepris de tout démonter. Une pièce m'intriguait : elle était creuse et avait une série d'alvéoles tout autour de la cavité. Ce n'est que des années plus tard que j'ai compris que j'avais mis la main sur la majeure partie du radar panoramique H2S et que la pièce en question état un magnétron.

Un des membres de l'équipage, blessé, avait pu sauter et avait atterri plus au nord de chez moi. Il avait été recueilli et soigné par un médecin des Clayes (ou de Villepreux ?) Caché dans une famille, je crois qu'il n'a pas été fait prisonnier (2)

Au matin, après de tels bombardements, nous trouvions sur le sol et dans les arbres des milliers de rubans métalliques, dont nous ignorions alors l’utilité. Après la guerre, nous avons su qu’il s’agissait des Windows , destinés à saturer les radars allemands.

Au fur et à mesure de l’avance des Alliés, les Allemands se repliaient. La nuit, nous entendions les convois rouler vers l’est sur la route reliant Pontchartrain à Trappes. De jour, leur circulation était sous la menace des chasseurs-bombardiers anglais ou américains. Un matin, une unité motorisée n’eut pas le temps de se dissimuler dans les bois proches de Ste-Apolline. En quelques minutes, quatre Lightning laissèrent de nombreux véhicules en flammes.

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Lockheed Lightning

Souvenir de ces derniers jours de l’occupation : après déjeuner, je pars chercher du lait au Buisson, hameau voisin. Devant moi, je vois un homme sortir de la dernière maison du village pour prendre la même direction que moi. Il fait quelques pas, un coup de feu retentit et il s’écroule : des Allemands, embusqués à 200 m, tiraient sur tout ce qui bougeait. Je me suis alors caché derrière un mur pour ne pas subir le même sort. Peu après, sa famille sortit en agitant des chiffons blancs pour lui porter secours, mais il avait été tué sur le coup. Depuis, la rue qui traverse La Chaîne porte son nom : Jules Régnier.

Alors que Paris venait d’être libéré, nous étions toujours dans le no man’s land entre Allemands et Américains. Une nuit, nous sommes réveillés par des explosions, on nous tire dessus ! Nous nous habritons du mieux que nous pouvons dans les pièces du rez de chaussée. Au bout de 20 minutes, le tir s’arrête.

Au matin, je sors pour essayer de comprendre ce qui s’était passé. À 100 m au sud du village je vois l’alignement des trous des obus qui nous avaient été envoyés et qui, si les Allemands avaient tiré plus court, auraient atteint nos habitations.

Soudainement, surgit une colonne d’une douzaine de jeeps qui s’arrête à ma hauteur. L’officier qui la commandait ne parlait pas français mais j’ai quand même compris qu’il me demandait s’il y avait des Allemands dans les environs. Réunissant le maximum de ce que l’on m’avait appris au collège j’ai pu lui répondre par la négative, dans un anglais approximatif … qu’il a compris. C’étaient MES premiers Américains !

À partir de ce moment, cela a été la fête. Les soldats ont été entourés, fêtés, invités. Ils adoraient les tomates ? En peu de temps les potagers ont été dévastés. Ces scènes de la libération ont été maintes fois décrites. Spectacle plus dur à supporter, la tonte des femmes accusées d’avoir fraternisé avec des Allemands.

Quelques jours plus tard, le 3 septembre 1944, je me trouvais, en compagnie d’une centaine d’autres candidats, devant le 26 boulevard Victor à Paris pour m’engager dans l’Armée de l’air. Mais il me faudra attendre encore trois longues années avant de recevoir mon macaron de pilote.
 

Jean HOUBEN

Pour lire la suite de ce récit, cliquez ICI

(1) En 1931, héritant de la passion de son père pour l'aviation, Suzanne Deutsch de la Meurthe (fille d'Henry Deutsch de la Meurthe, industriel) crée une Coupe de vitesse pour avions, coupe qui sera disputée jusqu'en 1937. Courue à partir du terrain d’ Étampes, elle comportait deux étapes de 1000 km séparées par une escale de 90 minutes.

(2) Des recherches sur Internet m’ont permis de retrouver le récit suivant que j’ai traduit :

« Le 2 juin 1944 nous recevons l’ordre de bombarder Trappes, même objectif qu’au mois de mars.

Jusque là, toutes nos opérations avaient été exécutées à 20.000 pieds, soit à l’altitude maximum que nous pouvions atteindre. Cette fois-ci nous devions voler à 6.000 pieds à cause d’une couche de nuages prévue 2000 pieds plus haut à la verticale de notre objectif. Cela semblait dangereusement à portée de la Flak et ne nous laissait pas beaucoup d’altitude pour éviter les attaques des chasseurs de nuit.

Lorsque nous sommes arrivés sur la côte française, la pleine lune éclairait la couche de nuages située à 6.000 pieds. Au-dessus, nous projetions une ombre noire énorme sur le nuage, au-dessous c’était comme voler sous un plafond illuminé.

Peu de temps après avoir traversé la côte, nous avons vu, tout près, un avion en flammes qui piquait vers la terre. Aucun tir de la Flack, aucune traçantes des chasseurs de nuit de la Luftwaffe n’étaient visibles mais, avant d’atteindre notre cible, nous avons vu quatorze avions exploser dans le ciel.

Je venais juste de larguer mes bombes sur la gare de Trappes quand, devant nous, un avion prit feu et piqua vers le sol. Le pilote nous a renouvelé l’ordre bien surveiller les alentours de l’avion. Je me suis couché sur mon viseur de bombardement le visage contre le dôme de plexiglas, essayant de voir en arrière sous l’avion.

Nous étions au-dessus d’Évreux quand j’ai vu un la lueur d’un tir venant d’en-dessous, probablement d’un chasseur de nuit. Il y eut un choc terrible qui a enfoncé le viseur dans ma poitrine. J’ai cru que j’avais été touché et que j’étais mort, sentiment provoqué par le silence soudain dans mes écouteurs et un grand calme dans l’avion.

Nous avions été atteints par de nombreux obus, qui avaient ouvert un orifice énorme sur le coté de l’avion, tout près de mes pieds. L’un des moteurs était en feu, l’électricité et la radio hors service.

Il y avait un trou de huit pieds dans le fuselage. Deux membres d’équipage avaient sauté par cet orifice. Les portes de la soute à bombes étaient ouvertes et la soute était en feu. Il y avait également un trou d’une largeur de deux pieds à travers l’aile et le réservoir principal de carburant, ce qui a arrêté un autre moteur.

Le mécanicien ayant sauté, je me suis débattu avec les robinets de carburant pour alimenter les moteurs encore en fonctionnement. Le radio avait été blessé quand l’avion avait été atteint et était tombé par la trappe avant. On ne l’a jamais revu.

Nous étions au-dessus la Manche, pensant que nous volions cap au nord vers l’Angleterre, quand on s’est rendu compte que le compas était inutilisable. Le pilote a du alors rechercher l’étoile polaire et virer dans sa direction.

Nous perdions de plus en plus d’altitude, freinés par les portes de la soute à bombes, qui étaient ouvertes, ainsi que par les volets de courbure qui s’étaient baissés lorsque le moteur avait pris feu.

Finalement nous avons vu la côte et passé de justesse les falaises aux environs de Bournemouth. Nous nous sommes posés dans une zone sombre qui s’avéra être Hurn, base de la Royal Air Force.

L’avion brûlait toujours et nous n’étions plus que quatre à bord. »

Date de dernière mise à jour : 28/04/2020

Commentaires

  • Dominique Godreuil
    • 1. Dominique Godreuil Le 10/05/2021
    Bonjur je découvre votre blog et c'est impressionnant car votre père a sûrement dû travailler avec mon grand père GODREUIL ainsi qu'avec le père de ma demi-tante M. MORDRET et M. CARRE.
    Ma grand-mère me parlait souvent de ce terrain d'aviation et de cette usine où elle a été longtemps secrétaire.
    Sauriez-vous où je peux trouver des archives de personnel relatives à cette usine car je reconstitue ma Saga familiale.

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