Le jour où Cavalli est parti là-haut

À Thélepte, dans le sud tunisien

C'était au mois de février 1943, le 3. 

Je recouvrais de terre les tôles ondulées qui servaient de toiture au PC de l'escadrille des "Sioux". Nous venions de finir la construction et l'aménagement de cet abri, l'adjudant Metzger et moi, soldat de 2ème cl. Le Cdt Rozanoff avait demandé de camoufler ces tôles au plus vite, très visibles d'en haut.
J'étais donc occupé à cette tâche. À deux pas de moi le SLt Cavalli, nouvellement promu à ce grade, finissait une partie de pétanque avec le Sgc Coisneau, juste devant l'entrée du fameux abri PC.


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Jérôme Cavalli à cette époque

Il était environ 16 h 30. À 500 m de là étaient les cuisines et déjà beaucoup de monde faisait la queue pour se faire servir. Je plantais là ma pelle et descendait dans l'abri, chercher ma gamelle. En remontant en surface, je dis à Cavalli :

- « Mon Lieutenant, je vais à la soupe, il est l'heure. »

Il m'a dit :

- « Bonne idée, on y va aussi »

Et ils descendirent à leur tour chercher leur gamelle.


Je me dirigeais aussitôt en direction des cuisines. J'avais parcouru une centaine de mètres (des P-40 de retour de mission prenaient la piste pour se poser) quand j'entendis le crépitement de mitrailleuses, je levais les yeux et j'aperçus des avions allemands qui mitraillaient nos P-40 qui se posaient.

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Curtiss P-40 (Studio Sechen)

C'est là que j'ai vu la bombe que venait de larguer un Allemand décrire une courbe passant au-dessus de moi, qui venait de me plaquer au sol.
Il s'ensuivit une bagarre entre les P-40 qui remirent la gomme. Il y eut encore un mitraillage semant une panique parmi tout ce monde réuni devant les cuisines.

L'alerte passée, après avoir été servis, nous dînions quant est arrivé le Sgc Reboul (mécanicien) qui annonça à la cantonade :

- « Llamas et Pastre viennent d'être tués devant le PC des Sioux »

Pensez le choc : Llamas c'était moi !
J'ai aussitôt pensé à Cavalli et Coisneau que j'avais laissé là-bas.
J'ai couru à perdre haleine vers le PC et là j'ai vu disloqués, noircis par la poudre, brûlés, les cheveux hérissés, les deux hommes que je venais de quitter quelques minutes avant.
La bombe que j'avais vu passer au-dessus de ma tête était tombée à leurs pieds au moment où ils remontaient de l'abri.

Le couffin d'alfa qui contenait les boules était déchiqueté, les boules éparses, le manche de la pelle que je venais de planter entaillé par un éclat.


J'avais à cette époque 20 ans et 6 mois. Très choqué, c'est le Lt Hebrard qui m'a calmé, apaisé.

J'ai pris un marteau pour reclouer les cloisons intérieures qui avaient rudement souffert de l'effet du souffle.
 Quand j'eu fini de remettre un peu d'ordre je me rendis à l'abri ou je logeais avec deux camarades : c'était la centrale électrique du campement.
Le Lt Monperrat, dit affectueusement "Boulahïa" par les officiers, me dit :

- « Tiens vous n'êtes pas mort ! »

Je fus long à m'endormir ce soir-là. Le lendemain, je repris mon ouvrage aux alentours du PC pour combler le cratère qu'avait fait la bombe. Je vis sur le sol à quelques mètres de là un doigt humain. Je ne sais pas auquel des deux hommes il appartenait. J'en parlais à un officier, lui demandant quoi faire. Il m'a dit de creuser un trou, de l'enterrer et de faire une prière.


En roulant au sol un fût de 200 litres qui servait de réserve d'eau, ma main a glissé sur quelque chose de visqueux, blanchâtre. Je crois que c'était de la matière cérébrale.


Et voilà le récit de la mort de ce héros. Je suis le dernier à avoir échangé quelques mots avec lui ce 3 février 1943.                                                                                                        

20 ans plus tard, le déroulement de ma carrière m'a conduit dans la Drôme, où je vis depuis. Je ne me doutais pas que c'était le pays de Cavalli, jusqu'au jour où une page du Magazine du Conseil Général de la Drôme n° 46 de janvier-février 2002 vienne réveiller en moi ce douloureux souvenir.
 J'ai aussitôt contacté le Président de l'Association "Envol avec Jérôme Cavalli” pour lui demander de bien vouloir me convier au baptême du Col auquel elle œuvre pour lui donner son nom.

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Ce contact m'a permis de retrouver un pilote que j'ai connu à Casablanca à l'Escadrille “La Fayette” en 1942 (année du débarquement des Américains), le Lcl Jean Gisclon auteur entre autres du merveilleux livre : "Chasseurs au Groupe La Fayette, du Nieuport au Thunderbolt".


Léon LLAMAS

Origine du texte : Association "En envol avec Jérôme Cavalli"

Date de dernière mise à jour : 19/04/2020

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