L'évasion du sergent Kannengieser

Faisant équipage avec l’adjudant radio Robert Rabier, le sergent Kannengieser, mécanicien navigant sur Halifax au Groupe "Tunisie", Alsacien et parlant parfaitement l’allemand, réussira l’une des plus étonnantes évasions. Voici le récit qu’il fit à son retour sur la base d’Elvington.

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La DCA et la chasse avaient été particulièrement actives au-dessus de la ville, au cours de cette nuit du 16 au 17 janvier 1945. Au retour de Magdebourg, au sud de Hanovre, l’avion est touché par un chasseur ennemi. Le chef de bord donne l’ordre d’abandonner l’appareil. Kannengieser saute et, deux ou trois secondes plus tard, c’est l’explosion même de l’avion qui ouvre son parachute. L’atterrissage est un peu brutal : Kannengieser se retrouve au sol avec un pied foulé.

Il aperçoit à droite, tout près, une forêt, s’y réfugie en semant du poivre pour éviter d’être dépisté par les chiens dont il entend les aboiements se rapprocher, enterre son équipement dans la neige, arrache ses insignes et ses marques distinctives, et se cache. Tout à coup, une douleur subite, intense : il ne s’était pas encore rendu compte qu’il avait reçu en plein vol un éclat dans le genou. Il l’extrait avec son couteau, met des compresses froides sur son pied malade, puis commence à marcher.

Il atteint une grande route, lit sur le poteau indicateur « G…, X kilomètres », continue son chemin, croise parfois des soldats qu’il salue d’un « Heil Hitler ! » retentissant (son battle-dress bleu marine ressemble à celui des panzers). Il se repose, continue son chemin ; son genou le fait souffrir, son pied est enflé ; de nouveau il se repose, puis repart et, après 50 kilomètres de chemin, arrive à H…

Il apprend à la cantine de la gare la présence de travailleurs français dans la ville. Justement, assis seul dans un coin, un ouvrier est attablé. Kannengieser s’approche :

- « Je travaille à G…, explique-t-il, et j’ai oublié mes cartes d’alimentation … »

L’autre, sans lui laisser finir sa phrase, lui tend un ticket de repas. Kannengieser s’assied à côté de lui, engloutit une maigre soupe de rutabagas, et sourit en pensant qu’il y a deux jours, au mess, il murmurait :

- « Encore ce sacré bacon et ces sacrées pommes de terre à l’eau. »

Ils sortent, s’éloignent lentement ; Kannengieser, à deux ou trois reprises, se retourne. Personne derrière eux ; il se décide, sort une carte bleue, sa carte d’identité de personnel français dans la RAF, qu’il tend à l’ouvrier :

- « C’est la prochaine à droite », dit simplement celui-ci.

Quatre jours et quatre nuits, il va être hébergé au camp de travailleurs français, ses papiers sont cachés, il reçoit des vêtements civils, deux ouvriers lui font un lit sous leurs couchettes, on réunit de l’argent et c’est de nouveau le départ vers l’Ouest, cette fois en chemin de fer. Pour ne pas éveiller l’attention, il faut prendre des billets pour de courtes distances. Première étape L…, deuxième étape H… Mais à E… on fait descendre tous les voyageurs pour un contrôle des papiers. Kannengieser explique sans hésitation à un grand diable de Feldgrau :

- « Je travaille sur le terrain d’aviation de R… j’avais laissé… ».

Le policier hésite, le dévisage, va le laisser passer, se ravise et Kannengieser est conduit au bureau militaire le plus proche. Questionné, il répète pour la nième fois comme un automate son scénario primitif :

- « Je travaille sur le terrain d’aviation de R…, j’avais laissé… »

Les gendarmes se regardent, se consultent, on va le laisser partir en lui remettant des papiers provisoires quand un civil, aperçu tout à l’heure en entrant, se lève de sa chaise et le fouille de nouveau.

Un sourire mauvais illumine alors son visage, il saisit un couteau, lacère brutalement la doublure de sa veste et en sort triomphalement la carte de la RAF. Kannengieser est alors empoigné, secoué, giflé et se retrouve un peu groggy, sur le chemin de la gare escorté de deux gaillards en uniforme.

Tout à coup, il entend un bourdonnement qui s’enfle. Il ne rêve pas car ses deux gardes du corps scrutent le ciel avec inquiétude.

À peine la sirène d’alerte a-t-elle cessé que des avions commencent à piquer ; l’un des boches s’aplatit aussitôt dans le ruisseau ; les avions mitraillent à quelques mètres ; l’autre se couche aussi. Kannengieser n’hésite pas : un coup de pied à la tempe du boche, un autre sur la main qui veut saisir un revolver ; le boche veut se relever, Kannengieser se précipite, le saisit à la gorge et alors, dans le vrombissement infernal des avions, dans la poussière et dans le bruit des explosions, il serre, serre ce cou énorme…

Le train roule maintenant vers D… Kannengieser bavarde à présent avec un soldat allemand, lui offre des cigarettes ; à M…, dernière station avant le Rhin, il descend, sort de la gare sans incident et se met à marcher en direction du fleuve.

Au pont il va falloir montrer ses papiers. Kannengieser se souvient de son expérience de la veille. Apercevant un camion rempli de wallons rexistes (parti belge qui collaborait avec les occupants allemands), il leur demande un lift et, dans la remorque du camion traverse le Rhin, un sourire narquois au coin des lèvres.

À peine de l’autre côté, il saute de la remorque et reprend sa marche pleine Ouest. Un kilomètre, 9 km, 5 km ; de nouveau, son genou le fait souffrir. Il s’arrête, refait 10 km, 12 km, il croise alors des Polonais et, comme toujours, sa première question est :

- « Y-a-t-il des Français dans les environs ? »
- « Oui, dans notre fabrique, ils sont assez nombreux »

Pour la seconde fois, Kannengieser va être hébergé, soigné. L’homme de confiance du camp, garde lui-même et sur lui, la carte de la RAF et, quelques jours plus tard, Kannengieser se retrouve au volant d’une superbe voiture allemande ; il est chauffeur du Dr André, chef des travaux civils de la région ; il va parcourir alors le pays en tous sens, observer, interroger…

Les bombardiers alliés déversent sans arrêt leurs bombes sur la région… le bruit des canons se rapproche ; le 26 février, l’artillerie commence à frapper dur. Alors Kannengieser change les fils des bougies pour que la voiture ne parte pas, se cache dans les mines toutes proches avec une quinzaine de prisonniers évadés… Mais où sont les lignes allemandes ?

Le 28 février 1945, au soir, Kannengieser, sous prétexte de porter du café chaud et du sucre à des soldats allemands, se renseigne, apprend l’emplacement des positions américaines et, à 6 h 30 le lendemain matin, il passe les lignes en brandissant une serviette blanche. Puis avec une patrouille américaine, part délivrer les prisonniers qui se trouvent encore dans la mine… Sans arrêt on croise des camions, des canons autotractés, des chars, des camions, de nouveau des chars…

Grâce à Kannengieser, les prisonniers parviendront sains et saufs de l’autre côté des lignes.


P-J  LAGARDE

Extrait du "Recueil de l’ADRAR" Tome 2

(1) Le Cne Bresson, pilote, et le Sgc Poilbout, mitrailleur, restent prisonniers de l’avion qui s’écrase au sol. Les autres membres de l’équipage sont sains et saufs.

Date de dernière mise à jour : 18/04/2020

Commentaires

  • Estelle Dromas
    • 1. Estelle Dromas Le 12/11/2021
    Merci de continuer à transmettre l'histoire de mon grand-père.
    Le livre qui raconte l'intégralité de son évasion :
    « Kannen … pour être libre… » écrit par Claude Saint Benoît.
  • Berthelot
    • 2. Berthelot Le 06/07/2021
    Bonjour,

    C'est grâce à la lecture du récit fait par le mevo Kannengieser (probablement dans la revue Icare) que j'ai appris la fin du Cne BRESSON dont la sépulture se trouve au cimetière Saint-Véran d'Avignon.

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