En mémoire des Groupes Lourds

Les Groupes français en Grande-Bretagne de 1943 à 1945

Les Français, qui sous l’occupation dans le nord de la France entendaient toutes les nuits le ronronnement ininterrompu des avions passant au-dessus de leur tête, dans un long périple aller et retour vers l’Allemagne, savaient pertinemment qu’une formidable bataille aérienne se jouait dans le ciel de l’Europe Occidentale. Mais ce qu’ils ignoraient, et ce dont ils ne pouvaient se douter, c’est qu’il pouvait y avoir des avions, des quadrimoteurs aux cocardes tricolores, portant la croix de Lorraine : ceux des groupes Guyenne et Tunisie. Ils ne le savaient pas, et ne le surent pas davantage après la guerre, car rien ne fut fait pour qu’ils le sachent.

Guyenne insigne             Tunisie insigne

                   Insigne du "Guyenne"                                                  Insigne du "Tunisie"

De nombreux ouvrages ont pourtant été publiés sur les Groupes de bombardement lourd dans la Royal Air Force : leur diffusion n’a pas été suffisante. Ils sont aujourd’hui tous épuisés et tombés dans l’oubli. Les survivants de ces opérations ont, quant à eux, manqué leur but principal : atteindre un large public afin que soient connues leurs aventures, leurs sacrifices, voire les actes héroïques des pilotes encore totalement ignorés.
 
C’est pour compléter l’histoire déjà écrite, éviter qu’elle ne soit déformée et remettre dans l’ordre la description de cette épopée que ce livre « Les Groupes de bombardement lourd en Grande-Bretagne, 1943-1945 » est publié. Il décrit la vie en Grande-Bretagne de ces équipages partis d’Afrique du Nord, intégrés dans la Royal Air Force et équipés de ses fameux quadrimoteurs qui ont fait la force du Bomber Command : les Lancaster et les Halifax.

Groupes lourds

Insigne des Groupes Lourds créé en Grand-Bretagne pour porter sur la fourragère ou sur l'uniforme.
Il est gravé au nom de chaque membre d'équipage ayant effectué des missions.

Il veut également montrer l’importance de la formation des équipages du Bomber Command et le soin que la RAF prenait à la formation de cette « équipe de sept hommes » pour l’amener à être capable de faire voler un avion quadrimoteur par tous les temps, de jour comme de nuit, et exécuter une mission de bombardement stratégique loin en territoire ennemi.

Ces pilotes, navigateurs, radios, bombardiers, mitrailleurs ou mécaniciens, Français arrivés en unités constituées, déjà possesseurs d’un brevet de navigant et confirmés dans leurs spécialités, ont été obligés de repasser en école et de reprendre l’instruction ab initio. En clair passer dans le même moule que ces jeunes Britanniques, Canadiens, Australiens qui formaient l’essentiel du Bomber Command et dont la moyenne d’âge des équipages était quelquefois inférieure à 25 ans. Ils sont venus de tous les milieux s’engager pour faire la guerre et libérer l’Europe du joug hitlérien.

Ce livre veut montrer leur action en Grande-Bretagne de 1943 à 1945 et les sacrifices qu’elle impliqua. En somme, il raconte la vie de deux unités françaises du Bomber Command de la RAF. 

Il était aussi nécessaire de présenter le Bomber Command où ils étaient intégrés et d’expliquer comment se déroulaient les missions quand l’opération comprenait, certaines nuits 300, 500, 800 avions. On y trouve une certaine idée de cette phase de la guerre, la phase finale, et comment les équipages suivaient aveuglement les directives données, ce qui est probablement la raison du sacrifice des pilotes pour sauver leur équipage d’un avion en détresse, aussi du succès de l’inventeur de cette machine de guerre, le Cdt en chef du Bomber Command, l’Air Vice-Marshal Arthur Harris.

Ce livre voudrait aussi donner les détails de ce que fut la vie d’expatriés de ces volontaires pour devenir des combattants qualifiés, dire leurs angoisses, leurs attentes dans un pays étranger en guerre, mais accueillant, prêt à les comprendre et à les aider dans leur espoir de libérer la patrie. 

C’est pourquoi cet avertissement est donné. Cette compilation de documents, extraits des livres publiés il y a plus de cinquante ans dont l’information donnée par chacun n’est que partielle, présentera parfois quelques répétitions. Ces extraits auront pour le lecteur aussi l’avantage de bien marquer les points particuliers de l’épopée courageuse de ces hommes de l’Armée de l’air française, venus de partout : de France, évadés par l’Espagne, d’Afrique Noire, repliés au Maroc, et d’Afrique du Nord (AFN), pour être regroupés en unités constituées, ou en renfort après novembre 1943.                                                         

Maquette halifax guyenne
Maquette du Halifax "H7 Nicaise" du groupe Guyenne

La base d'Elvington

L’histoire des Groupes Lourds français commence en avril 1943, après la libération totale de l’Afrique du Nord. L’ensemble de l’Afrika Korps vient de se rendre dans la presqu’île du Cap Bon en Tunisie. Les Groupes 2/23 et 1/25 qui à partir du terrain de Biskra en Algérie ont attaqué pendant plus de deux mois l’arrière des troupes du maréchal Rommel battant en retraite, sont maintenant prêts à d’autres combats. C’est alors que, dans le cadre d’une vaste réorganisation de l’Aviation française, est décidée la création de deux groupes de bombardement stratégique destinés à être incorporés dans le Bomber Command de la Royal Air Force. Il est également décidé que les Groupes 2/23 et 1/25 serviraient d’ossature à la constitution de ces groupes et qu’ils porteraient désormais les noms de groupes Guyenne et Tunisie.
Trois mois plus tard, à la fin du mois d’août 1943, les premiers équipages du Groupe Guyenne s’embarquaient à Alger à destination de Liverpool où ils débarquaient au début du mois de septembre. Après de longs mois dans les écoles de la RAF ils arrivent enfin sur la base d’Elvington, située à quelques kilomètres de la vieille cité médiévale de York.
Cette base diffère de toutes les autres bases de la RAF par le fait qu’elle est entièrement gérée et administrée par du personnel français, depuis le simple soldat jusqu’au colonel commandant la base. Seuls, quelques officiers interprètes, quelques administratifs et quelques techniciens britanniques ont pour mission respectivement de régler les problèmes linguistiques, de faciliter les échanges avec la hiérarchie de la RAF et de solutionner les problèmes de sécurité, surtout ceux liés au chargement des bombes.
Dans la nuit du 1er au 2 juin 1944, douze équipages du Groupe Guyenne effectuent leur première mission. L’objectif est la station radar située au lieu-dit « La Ferme d’Urville » à proximité de Cherbourg. Quinze jours plus tard, les premiers équipages du Groupe Tunisie sont engagés à leur tour. Ensuite, pendant onze mois, ensemble, ils sillonneront le ciel de l’Allemagne et des territoires occupés au cours de missions dont la durée excédait parfois 8 h 30 de vol, dans une tension nerveuse que ne peuvent imaginer ceux qui ne l’ont pas vécue. A chaque instant du vol, les pires dangers pouvaient les assaillir. La chasse de nuit, la DCA, la collision, la panne de moteur, le givrage, les intempéries, les retours difficiles dans les brumes anglaises, étaient au rendez-vous de leur destin.
Ils vivaient exilés, loin de leur famille, loin de leur Patrie, loin de tout. Dans ces conditions difficiles et en dépit des lourdes pertes qu’ils eurent à subir, aucun d’eux ne renonça.
Les Groupes 2/23 et 1/25 sont devenus les Squadrons 346 et 347 selon l’ordre de bataille de la Royal Air Force. Ces unités avaient pour matériel le magnifique quadrimoteur Handley-Page Halifax, la forteresse volante anglaise, 7.200 CV au total et 32 tonnes au décollage. Leur base était proche du petit hameau d’Elvington, dans le comté de York. L’équipage comprenait pilote, navigateur, radio, mécanicien, bombardier, mitrailleur supérieur, mitrailleur arrière. L’équipage ! Le bloc de deux hommes en un qu’avaient connu les aviateurs de l’autre guerre, la Trinité du triplace de 39-40, devenait ici cette pléiade, au propre sens du terme, ces sept hommes forgés en un seul métal, sans fissure et s’il se pouvait, un seul courage, une seule volonté, et profondément, les sept membres d’un seul corps. Ils se considéraient, au-delà du groupe ou de l’escadrille, comme l’unité véritable et même, au fond de leur âme, ils prenaient ce grand mot d’unité, bien plus encore que dans son sens administratif ou tactique, dans toute sa valeur mystique.
Ces hommes venaient de partout. Comme bien d’autres combattants français, ils reflétaient le visage multiple et nuancé de la France. Il y avait là beaucoup d’aviateurs d’active et non moins de réservistes. De tout jeunes gens et des pères de familles nombreuses, cet étudiant et ce vieux pilote d’Air France, millionnaire des kilomètres de l’air. Celui-ci était passé par l’Espagne, celui-là venait tout droit de l’Afrique, cet autre avait gagné l’Angleterre au premier jour … Ils étaient loin de la Patrie absente. Ils ne pensaient qu’à elle. Et lorsqu’elle fut libérée, la guerre continua pour eux plus dure que jamais, parce que les interminables missions de nuit sur l’Allemagne se faisaient terribles, parce que, aussi, à mesure que les autres combattants rentraient en France, les Français d’Elvington sentaient monter en eux le regret du pays natal. 
Mais, en dépit de cette nostalgie, pas un seul d’entre eux ne pense à l’Angleterre sans une immense reconnaissance. Pas un de ces exilés qui n’ait inscrit à son compte de gratitude personnelle un trait d’hospitalité, une rencontre, un accueil, cent détails de générosité constante, minutieuse, sans arrière-pensée, sans défaillance. L’Angleterre en guerre ouvrit ses bras tout grands à ces volontaires, et jamais ils ne l’oublieront ! … 

Robert NICAISE

Extraits du Recueil ADRAR tome 1

Source : Introduction du livre de Robert Nicaise « Les Groupes Français de Bombardement lourd en Grande-Bretagne 1943 / 1945 - Mémoire des Groupes Lourds » édité au 3ème trimestre 2005 (ISBN 2-9525130-0-7)

Anciens groupes lourds 1
Les anciens et leurs familles lors d’une visite annuelle sur la base d’Elvington

Date de dernière mise à jour : 24/04/2020

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