Crash sur Marauder

Le sergent mécano Joliveau vient de se marier. Il a ramené sa Dulcinée à Saint-Dizier et il n’est pas chaud pour faire les rotations Lyon - Alger. Comme je le comprends ! Mais pour moi la passion du vol prime tout. Aussi, d’un commun accord, nous échangeons nos avions. Il me remplace sur le 63 et je prends en compte son n° 68, un B-26G dernier modèle, flambant neuf.

Je fais équipage avec le Cdt Boussion, chef de bord. Ce dernier vient de faire un stage de six mois à l’École de guerre et n’a pas volé depuis. La sagesse et le règlement auraient voulu qu’il fasse quelques vols de reprise en main. Il n’en est rien. Qui oserait lui faire la remarque ?

Lyon

Nous chargeons nos vingt musulmans. Dès le décollage nous embarquons sur la gauche, la roue court en bordure sur les grilles disjointes et les piquets de fer plus ou moins enfoncés. Mon inquiétude est grande car, tout à côté, il y a la rigole d’évacuation des eaux. Enfin les roues quittent le sol. Tout s’est quand même bien terminé. Ouf !

Arrivée à Alger

Dans un arrondi impeccable l’avion touche le sol…dans un terrain labouré. Un peu court ! Heureusement la roulette avant est déjaugée. Tout se passe bien.

Le surlendemain, retour à Alger

Nous abordons la piste assez haut, moteurs réduits, le badin dans le coma je sens l’avion qui frétille. Je pense « Mais il va nous faire casser la gueule ». Nous décrochons à plat, à hauteur d’homme ; les amortisseurs encaissent bien mais nous avons effacé la moitié de la piste. Le pilote se crispe sur les freins, les roues fument, la peinture des jantes grésille, ça sent le caoutchouc brûlé. In-extrémis nous nous arrêtons en bout de piste. Je suis furieux mais je ne peux rien dire. À l’arrêt je saute à terre, les disques de freins sont rouge-cerise ; enfin il n’y a pas de fuite hydraulique. Le B-26 est une sacrée machine !

Septième jour

Nous rentrons sur Lyon. À hauteur de Valence ciel couvert, pluie. Les six Marauder, bien groupés plans dans plans, avancent dans les barbules de nuages. Tout à coup, à notre droite et à la même hauteur nous croisons un Dakota… juste le temps de le reconnaître. La vallée du Rhône est un couloir malsain. Notre trouille rétrospective n’y change rien. Cela fait beaucoup de signe du destin en peu de temps.

La formation se disloque ; nous sommes n° 4. La pluie redouble. Le n° 1 se pose à gauche et dégage en bout de piste, le n° 2 également. Le n° 3, à gauche, est à mi-longueur de piste alors que nous, n° 4 à droite, touchons des roues plusieurs centaines de mètres après l’entrée de piste. C’est alors que le n° 3 coupe vers la droite pour rejoindre son parking. Pourquoi ? Mystère !

Nous sommes encore à 110 mph. C’est le choc effroyable. Puis plus rien ! Je me réveille un instant dans l’ambulance ; d’un corps étendu au-dessus de moi pend un bras en charpie. C’est le Cdt Boussion qui sera amputé du bras droit et mourra trois ans plus tard.

Quant à moi, atteint d’une fracture du crâne, fini la passion de voler, fini l’espoir d’une qualification de navigant. L’Armée me réforme au taux de 90 %. Je suis alors démobilisé en avril 1946.

Le responsable de cet affreux gâchis finira sa carrière avec le grade de général. Quand je le rencontre au cours des réunions des Anciens des Marauder je le sens assez gêné. Je ne lui en veux pas, le destin en a décidé ainsi.


Yves VINCENT

Date de dernière mise à jour : 17/04/2020

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