Curtiss contre Messerschmitt

Le capitaine Accart raconte ici le premier engagement (sans résultat), survenu quelques jours après la déclaration de guerre, entre ses Curtiss et les Messerschmitt ennemis

26 septembre 1939.

Après un mois d'attente infructueuse, nous avons aujourd’hui rencontré, sans résultat, des avions de chasse à croix gammée.

Nous étions en renfort du Groupe 2/5 sur le secteur Sierck-Forbach, altitude 5.000 m environ, ciel pur au-dessus, un banc de nuages moyens s'étendait des bords de la Moselle vers le Luxembourg, et mordait quelque peu sur l'Allemagne. La visibilité était magnifique et depuis plusieurs minutes nous faisions des lacets sensiblement à la verticale de Saar, nous méfiant particulièrement de la zone d'éblouissement formée par le soleil encore haut sur l'horizon : 10 secondes en ligne droite et ce pouvait être la surprise fatale par l'arrière.

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Trainée de condensation à haute altitude

Mes deux équipiers, le SLt Brian et le Sgc Morel, me suivaient impeccablement dans les évolutions les plus inattendues et les plus brusques. À 500 m au-dessus, l'Adc Bouvard et le Sgc Penzini réglaient leur marche sur la mienne, moi-même accompagnant une patrouille du Groupe 2/5 qui, conduite par le Lt Huvet, se faisait un plaisir de se confondre avec les bois et les prairies.

À part nos 8 Curtiss, le ciel semblait absolument vide, quand soudain, par un phénomène de génération que j'ai retrouvé souvent, des Messerschmitt ont paru. Pas de doute possible, avec le fuselage mince et allongé, les plans carrés aux extrémités, ce sont bien les chasseurs allemands Me-109.

Bf 110
Messerschmitt Bf-109

Une seconde pour les identifier en se rapprochant de la patrouille basse menacée, et déjà Brian, après un virage serré à droite, peut lâcher une rafale à moins de 200 m, pendant que Morel, à ma gauche, s'est rabattu par l’avant sur un adversaire derrière lequel je vais me trouver à moins de 80 m, au moment où il est tiré de trois quarts avant à la même hauteur par le Curtiss de Morel qui passe à quelques mètres au-dessus de moi avec une vitesse relative de 700 km/h au moins.

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Curtiss H-75

J'ai à peine appuyé sur la détente que je vois le monoplace ennemi exécuter un retournement déclenché. Pendant un instant il montre son ventre blanc grisâtre qui lance un éclat couleur d'acier, avant de fuir à la verticale. J’ai fait le même mouvement et nous fonçons plein moteur vers le sol, lui à 150 m de mes mitrailleuses, qui crachent de temps en temps, d'une façon fugitive, car je ne peux ajuster mon tir ; en effet, le pilote allemand manœuvre remarquablement, déclenchant alternativement, malgré la vitesse, une espèce de vrille à droite, puis à gauche.

En jetant un regard derrière moi pour m'assurer que je ne suis moi-même pas poursuivi, j'aperçois ce brave Morel qui m’accompagne fidèlement dans ce piqué à plus de 500 à l’heure. En-dessous de nous, le banc de cumulus grandit à vue d'œil ; l'aiguille de l'altimètre tourne de plus en plus vite : 2.500... 2.000... 1.500. J’allonge un peu mes rafales, car l’avion vert foncé et luisant aux rayons du soleil, se détachant sur les nuages, me distance peu à peu et je crains de le perdre. Ensemble nous commençons une ressource qui doit le coller, comme moi, pesamment au fond de son siège.

Mais, déjà, il a disparu dans le coton blanc qui m'environne. Je remonte au-dessus, l'altimètre indique 1.000 m. Une demi-minute plus tôt, nous étions à 5.000.

Plus rien qu'un tapis blanc et un ciel vide. Morel est passé sous le plafond, mais le Messerschmitt 109 n'a pas reparu. Mal pris, il a bien manœuvré pour se débarrasser de nous.

Morel, à l'atterrissage, traduira son admiration en disant :

- « Je lui aurais volontiers serré la main. »

Après quelques minutes de recherche, je donne, par radio, l'ordre de rassemblement sur le point fixé avant le départ et, tout en montant plein gaz, je m'y rends moi-même en une marche sinueuse, car il est malsain de ne pas surveiller ses arrières. Vais-je retrouver mes quatre Curtiss ? Je n'ai pas le temps d'être inquiet ils sont bientôt tous reformés autour de moi. Brian, nous voyant foncer à deux à la poursuite de l'audacieux Messerschmitt, a jugé plus raisonnable de rester au-dessus de nous pour nous protéger et n'a pas eu l'occasion d'intervenir. Quant à Bouvard et Penzini, attaqués par deux autres chasseurs qui avaient surgi de 7.000 m, ils ont fait face, mais n'ont pu rejoindre leurs assaillants qui se sont dérobés en montant et les ont malheureusement distancés. Peut-être vont-ils revenir, mais nous ne pouvons attendre, car nous risquons de nous trouver en panne de combustible. Accompagnés par les éclatements noirs des obus de la Flak, nous nous dirigeons vers l'ouest.

La Moselle passée, le retour n'est plus qu'une agréable promenade. Douaumont, pourtant, que j'aperçois sur ma droite, me fait penser à l'autre guerre où Navarre, un ancien de l'Escadrille, tint le ciel quasi seul pendant des jours et des jours, allant de victoire en victoire. Nous l'aurons fatalement aussi, la vraie guerre, et la puissance de l'aviation étonnera le monde.

Mais un appel me tire brusquement de ces pensées :

- « Allo... ici Pinceau... Je n'ai que vingt litres d'essence. J'attends vos ordres. »

Vingt litres ! Trop juste pour atteindre le terrain. Il risque d'avoir l'arrêt brusque quelques kilomètres avant d'y arriver et d'être obligé de se poser en catastrophe dans un champ. Comble de malchance, il ne m'entend pas, car il m'interrompt pendant que je lui parle, preuve que son poste récepteur de radio a flanché. Nous survolons maintenant la forêt de l'Argonne, allongée sur la rive droite de l'Aisne et clairsemée au sud par des étangs qui nous renvoient les reflets du soleil comme autant de miroirs. Devant nous, je devine notre plate-forme dans la légère brume qui naît près du sol, mais les bois défilent lentement, car, dans l'impossibilité de transmettre à Pinceau l'ordre de nous quitter pour rejoindre une base plus proche que la nôtre, j'ai mis mon moteur à faible régime pour marcher à l'allure économique. Peut-être arrivera-t-il ainsi !

- « Allô... Ici Pinceau... Mon jaugeur est à zéro. »

Un seul espoir : nous sommes encore à 3.000 m ; s'il a la panne, il pourra atteindre Suippes en vol plané. Une minute, deux minutes... Nous approchons, et je vois en effet un de mes Curtiss se détacher de nous pour atterrir bientôt magistralement et venir s'arrêter devant notre soute à essence autour de laquelle nous sommes bientôt rassemblés.

Premier combat. Une petite déception de ne pas avoir pu abattre l'adversaire, déception tempérée par l'estime que nous ne pouvons-nous empêcher de lui accorder pour la magnifique décision et la maîtrise dont nous gardons une vision étincelante qui satisfait le connaisseur.

- « Je lui aurais volontiers serré la main. »


Jean-Marie ACCART

Extrait de « Chasseur du ciel » (Éd : Arthaud - 2010)

Date de dernière mise à jour : 17/04/2020

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