9 contre 27

Le 6 novembre, le soleil daigna se montrer et, comme une large éclaircie s'installait dans le ciel lorrain, une mission de protection d'un Potez de Metz fut demandée. Elle allait être marquée par la plus grande bataille aérienne de cette "drôle de guerre".

Potez 63 11
Potez 63-11 de reconnaissance

C'est le Lt Houzé qui fut chargé d'assurer cette mission avec une formation de 9 appareils qui décolla vers 14 h, une patrouille-guide des « Cigognes » (Houzé, de Montgolfier, Bouhy) et deux patrouilles d'accompagnement "Sioux"  (Lefol, Legrand, Audrain) dans l'une (Dugoujon, Trémolet, Saiès) dans l'autre.

Le rendez-vous avait été fixé à 7.500 m à la verticale de Metz. Le Potez grimpait en larges spirales au-dessus de son terrain lorsque ses anges gardiens le prirent en charge. Il mit aussitôt le cap vers la Sarre où il devait opérer entre Sierck et Merzig. Les Curtiss l'entourèrent en une assez large formation de combat, afin de pouvoir intervenir dans les meilleures conditions.

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Cutiss P-36

Au moment où le dispositif atteignait les lignes en partie couvertes par un important système nuageux, Houzé aperçut soudain une vingtaine de 109 qui évoluaient à la même altitude que les Curtiss, à quelques kilomètres dans le nord. Ils semblaient jouer à cache-cache avec les nuages gris et noir. Houzé qui inspectait le ciel, en compta une dizaine d'autres qui se tenaient à environ 1.000 m du premier groupe. Pour la première fois de cette guerre, les chasseurs français allaient affronter un groupe complet.

Bf 112
Messerschmidt Bf-109

Chaque groupe allemand, quelle que fut sa subdivision d'arme (chasse, reconnaissance, bombardement) était divisé en trois escadrilles. chacune d'elle comprenait 15 appareils : 9 avions en ligne, 3 en réserve d’escadrille avec équipages, 3 en réserve de parc, sans équipages. Sensiblement à l'image des escadrilles françaises mais avec une de plus par groupe.

Houzé, à 29 ans, s'était acquis la solide réputation d'être un pilote de classe exceptionnelle et le meilleur chef de dispositif du 2/5. Il allait d'ailleurs le prouver à maintes reprises au cours de cette campagne de France et démontrer qu'il était plus soucieux de veiller sur ses pilotes et de dégager l’un d'entre eux en mauvaise posture, que de "courir après les victoires". Un excellent manœuvrier, calme, froid qui ne laissait jamais rien au hasard.

Il profita aussitôt du soleil qui lui était favorable pour prendre l'avantage sur la patrouille haute des 109, mais cette manœuvre commandée par radio ne fut pas suivie par les deux patrouilles d’accompagnement qui se retrouvèrent en dessous d'Houzé et trop loin sur sa droite. L'officier revint alors vers elIes tout en continuant de grimper en virant pour se rapprocher de l’ennemi.

C’est le moment que choisirent les Allemands pour déclencher leur attaque. Les deux formations inférieures plongèrent sur les patrouilles de Lefol et de Dugoujon sur lesquelles elles bénéficiaient d'une confortable supériorité d'altitude, tandis que la patrouille supérieure s'engageait contre celle d'Houzé qu'elle dominait également.

Ce fut aussitôt le signal de la dislocation et le commencement d'un grand cirque. Un fantastique mêlée tournoyante, fait de combats individuels, succession de passes rapides, de parades brutales, de contre-attaques foudroyantes au cours desquelles les pilotes avaient le plus souvent "les yeux derrière la tête". Pendant une fraction de seconde, un pilote essayait d'ajuster un adversaire. Il croyait l'avoir au centre de son collimateur et brusquement il recevait au même instant dans les plans, une rafale qui l'obligeait à abandonner cette victime choisie pour se battre avec son agresseur qui, bien placé, s'apprêtait à le descendre.

Suite de piqués de 2.000 ou 3.000 m, à 700 km/h, suivis de remontées en flèches, terminées par un virage très serré, pour ne pas tomber dans le piège de l'adversaire qui s'apprête à "vous cueillir" au moment où l'attention se relâche. Les yeux piquent, les oreilles bourdonnent, moteur et crépitement des armes vous parviennent dans un "univers de coton". L'odeur de la poudre qui incommode malgré le masque à oxygène… Les combats aériens de 1939 étaient bien plus rapides et prenaient déjà une autre forme que ceux de 14-18.

De nombreux nuages avaient envahi le secteur, transformant les duels épiques en partie de cachette.

C'est Lefol qui inscrivit la première victoire française en abattant un 109 en France. Il en attaqua un deuxième qu'il dut abandonner pour se soustraire à l'action d'un troisième. Le 109 ne devait pas aller loin. Il amorça un piqué léger vers le sol, le demi-train gauche sorti, émettant une épaisse fumée blanche. Il regagna ses lignes.

Legrand lira un 109 qu'il vit exploser sur les bords de la Moselle. Trémolet s'accrocha à un adversaire, le mitrailla copieusement mais à la seconde où celui-ci donnait des "signes de mort" : fumées symptomatiques, vapeurs d'essence, piqué anormal en sinuant.. L'officier reçut une grêle de projectiles et éprouva quelques difficultés à se dégager. Il y parvint grâce à un énorme nuage noir providentiel, mais il fut contraint de se poser sur le ventre sur le terrain de Metz, une balle ayant coupé une tuyauterie d'huile.

De Montgolfier se débarrassa d'un 109 qui percuta en bordure de la Sarre. Quant à Bouhy, il en poursuivit un sérieusement endommagé par la perte de "quelques tôles", loin en territoire ennemi où il jugea prudent de le laisser tomber car il ne parvint pas à rattraper la cinquantaine de mètres qui lui aurait permis de lui donner le coup de grâce.

De son côté, Houzé fit les frais de l'avalanche allemande et il supporta, en solitaire, sa radio en panne, l'étreinte de 4 ou 5 adversaires acharnés à sa perte et qui ne lui laissèrent à aucun moment la possibilité de se défaire de l’un d'eux.

- « Je n'en menais pas large » avoua-t-il au retour. « Ma radio était muette, mon moteur défaillant car il avait encaissé quelques projectiles et je ne cessais de virer comme une brute afin d'écœurer les gars qui se relayaient derrière moi. Je n'avais pas le temps de scruter les environs pour voir si un Curtiss viendrait à la rescousse... Je les supposais tout aussi mal partis que moi et je n'avais pas le loisir de spéculer sur les résultats de cette extraordinaire corrida. Je virais toujours, n'ayant pas d'autre solution, tout en me gardant à la limite du voile, et comme mon moteur se montrait de moins en moins coopératif, je tentais de me rapprocher du sol... »

Finalement les allemands l'abandonnèrent, ayant vraisemblablement des problèmes de carburant. Houzé regagna Toul avec un Curtiss dont les plans avaient été transformés en écumoire par les mitrailleuses des 109 et qu'il dut se résigner à poser sur le ventre, son train refusant de sortir.

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Le Curtiss n° 5 du Lt Houzé se pose sur le ventre en rentrant à son terrain de Toul-Croix-de-Metz (SHAA)

Tandis que leur chef de dispositif parvenait avec beaucoup de mal à sauver sa peau, Dugoujon et Legrand se regroupaient vers 15 h 15 à 6.000 m au-dessus de Metz. Ils aperçurent alors un Potez qu'ils crurent être leur protégé, qui revenait d'Allemagne sa mission terminée. À 1.000 m au-dessus de lui et se préparant à lui barrer la route, les deux pilotes découvrirent 6 Me-109. lIs grimpèrent à leur rencontre.

Nouvelle mêlée. Legrand descendit un 109 qui plongea sur le dos vers l'Allemagne en fumant, Dugoujon eut raison d'un autre qui perdit une tôle et piqua à la verticale vers la Sarre. Les autres n’insistèrent pas, Legrand, en panne d’essence quelques minutes plus tard, réussit à atterrir dans un champ près de Lesse.

Salès, qui avait obtenu l'avant-veille son premier succès, ajouta un remarquable doublé à son palmarès. Un combat qu'il relata dans le journal de marche de son escadrille :

« Notre patrouille avait fait face en grimpant au maximum et au moment de l'engagement, nous avions un très léger avantage d'altitude sur les 109 les plus hauts.

Je vire à droite très serré en piquant sur un ennemi que je dois abandonner avant de le tirer, car je suis immédiatement encadré par les traçantes d'un autre. Je vire sur lui et me retrouve dans sa queue après un tour complet. Dès ma première rafale, il dégage en piquant et en émettant de la fumée grise. Je plonge derrière lui, le suivant dans toutes ses évolutions, en le tirant entre 150 et 100 m. Après deux ou trois minutes de ce jeu, l'allemand effectue une légère chandelle au sommet de laquelle le pilote évacue le bord.

À ce moment, je suis à 50 m de lui. Pour ne pas percuter le parachute qui se déploie devant mon capot, je tire de toutes mes forces sur le manche. Cette manœuvre me sonne complètement. J’au dû frôler sa voilure... Le gars a eu chaud. Lorsque je reviens à moi, il a pris contact avec le sol. Je vire pour repérer son point de chute. Non loin de là, il y a une casemate de la ligne Maginot et un grand pylône de fer au sommet d'une colline. Je pense être vers Saint-Avold.

Je remonte alors au-dessus des nuages bas qui recouvrent le relief dans cette région et quelques minutes plus tard, j'aperçois un Curtiss aux prises avec deux 109. Je prends en chasse celui que j'estime le plus dangereux pour le camarade. Dès ma première rafale, il dégage en piquant, en fumant comme le précédent. J'applique la même tactique qui m'a si bien réussie.

Manœuvre identique sauf que je le dépasse deux fois au cours d'un piqué, l'allemand ayant réduit chaque fois brutalement les gaz. Par deux fois, j'ai cru l’encadrer, mais j'ai pu me remettre dans sa queue sans trop de difficultés. Nous avons failli d'ailleurs percuter ensemble le sol car, trompés par la mauvaise visibilité nous redressâmes au dernier moment. La poursuite en rase-mottes a duré plusieurs minutes. Je n’avais plus que la mitrailleuse de l'aile droite qui tirait, les autres n'ayant plus de munitions. Je ménageais mes cartouches dès cet instant. Enfin, un ou deux kilomètres avant de franchir la Sarre, le 109 a pris feu à 100 m du sol et a percuté dans un bois sur le versant nord-est d'un plateau, juste au-dessous d'une ligne de batteries qui dominaient la vallée entre Sarrebourg et Sarreguemines. Les canons m'ont tiré sans m'atteindre. Il était environ 15 h 20.

Dix minutes après, je retrouvai deux Curtiss avec lesquels je suis rentré à Toul. »

Le bilan de cette bataille s'établit avec 10 victoires : 8 sûres dont 6 furent homologuées et 2 probables.

Le Service cinéma des armées envoya le surlendemain quelques reporters chargés de mettre en images, cette série d'exploits. À défaut d'adversaires, un dispositif de 9 Curtiss prit l'air et se livra à une débauche d'attaques sur un ennemi fictif, en l'occurrence 2 Potez 63 dans lesquels s'étaient installés tant bien que mal, les cameramen.

Le 11 novembre, Édouard Daladier revint à Toul, accompagné de quelques parlementaires et des généraux Vuillemin, d'Harcourt et Tétu, pour féliciter les pilotes dont le courage et l'héroïsme n'avaient pas faibli, bien au contraire, depuis le début des hostilités. Il souligna que cette bataille du 6 novembre avait eu une répercussion retentissante, non seulement en France, mais dans le monde entier et principalement aux États-Unis où les journaux en avaient profité pour rappeler quelques exploits de la première "La Fayette". Quelques Croix de guerre furent remises à ceux qui s'étaient distingués pendant cette journée.  

Jean GISCLON

Extrait de "L'Escadrille La Fayette" (Ed. France Empire - 1975)

Date de dernière mise à jour : 26/03/2020

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