Les vrilles sur Étendard IV

L’Étendard IV Marine effectua son premier vol en mai 1958. Les vrilles arrivent au programme en 1962. Or les essais à la soufflerie verticale de Lille font apparaître un mode de vrille plate et rapide, qui entraîne un facteur de charge oscillant entre 5,5 et 8 g vers l’avant, au niveau du pilote ! René Fromentel, grand maître des essais en soufflerie, après avoir été un ingénieur d’essais exceptionnel, pense que le défaut a été corrigé par l’adjonction d’une quille verticale placée sous le nez de l’avion, et destinée à modifier l’écoulement aérodynamique qui déstabilisait en lacet.

Néanmoins, notre connaissance des vrilles sur avion à réaction est à cette époque assez fragmentaire, et l’application des résultats de soufflerie n’est pas très claire, du moins pour moi. Il est décidé d’équiper le pilote, votre serviteur, d’une carapace de plastique, moulée sur le torse, de retenir la tête par des sangles, fixées sur le siège, et des bandes molletières très serrées. Dans cet équipage, je subis à la centrifugeuse de Brétigny des accélérations vers l’avant jusqu’à 7,5 g pendant 20 secondes pour prouver que la capacité d’analyse et de réaction n’est pas affectée, même s’il n’est pas question de respirer pendant l’essai, la poitrine étant écrasée sur la carapace, et la colonne vertébrale inconfortablement cambrée. Je m’en tire avec des jambes lourdes pendant plusieurs jours.

12 septembre 1962

Premier vol de vrilles : 37.000 pieds / 230 kt, virages serrés progressivement. Déclenchés sur puis tour avant de contrer. Récupération immédiate. L’installation d’essais fonctionne parfaitement.

Deuxième vol, dans la foulée : mêmes conditions. Contre après deux tour : un tour ventre, un tour dos, retour ventre, avec changement de sens de roulis. Ce résultat, très loin de la vrille plate redoutée, nous laisse un peu perplexes.

Une campagne de catapultages et de ravitaillement en vol (avec une extinction réacteur, de nuit…) nous procure un temps de réflexion.

Reprise des essais de vrilles le 3 décembre

Je n’ai aucune autre expérience de la vrille dos que celle du vol précédent, car à cette époque il n’y a pas d’avion d’entraînement à la disposition des pilotes. J’ai donc essayé d’élaborer une procédure unique pour la sortie de vrille ventre ou dos, en utilisant le gauchissement, d’autant que la soufflerie dit que la vrille s’arrête rapidement "tout au neutre".

Me voici cette fois à 40.000 pieds.

Virage à gauche, pied à gauche, manche au ventre : un tour ; tout à zéro : l’avion fait encore un tour, puis passe en vrille dos. Confiant dans les "souffleurs" j’attends sans contrer.
Un tour, deux tours, trois tours, sans évolution notable… Je juge utile d’aider un peu à la sortie en braquant 1/3 de gauchissement : un tour : rien. 2/3 de gauchissement : un autre tour : rien ; plein gauchissement : après encore un tour, la rotation s’arrête ! Manche recentré aussitôt et la rotation reprend ! Sans plus attendre, je braque à fond le gauchissement… Et ça continue à tourner. Les Alpilles commencent à grossir… au-dessus de moi. Heureusement, je m’aperçois que le badin augmente. Tout à zéro : cette fois la rotation s’arrête pour de bon. Ressource à 14.000 pieds, après 2 tours sur le ventre et 10 sur le dos.

Par la suite, nous ne rencontrerons plus ce type de vrille rétive, et en tout cas jamais de vrille plate et rapide !

Jean-Marie SAGET
Ex-chef des Essais en Vol des Avions Dassault

Extrait d’AEROMED n° 16 de janvier 2006

Date de dernière mise à jour : 24/04/2020

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