Campagne d'essais à Colomb-Béchar

Validation du missile Matra 530 infrarouge sur Mirage III E

Dans le cadre du contrat du Mirage III O avec les Australiens, une clause spécifiait la qualification du tir du Matra 530 infrarouge à Mach supérieur ou égal à 1.5 sur une cible volant à Z supérieure ou égale à 50.000 ft.

mirage-iii-o-2.jpg
Dassault "Mirage III O"

La campagne eut lieu à Colomb-Béchar du 5 au 29 octobre 1964. L’avion choisi était le Mirage III A 08 avec Cyrano 1 bis (avion le mieux adapté pour répondre aux exigences des performances demandées au moment du tir). L’avion largueur de cible (bombe sous parachute) était un Mirage IV piloté par Gérard Bréchet.

Les conditions exigées au moment du tir rendirent la campagne d’essais difficile et souvent à la limite de la sécurité.

Le Mirage III A 08 était un avion brillant, mais d’une autonomie faible, surtout avec PC.

Déjà la mise en place à Colomb-Béchar avait posé problème ; elle avait dû se faire avec deux escales :
- Brétigny - Cazaux à 40.000 ft en 0h45,
- Cazaux - Bou Sfer, en Algérie, à 40.000 ft en 1h25 (à l’atterrissage, le pétrole restant ne permettait aucun déroutement),
- Bou Sfer - Béchar en 0h40 avec un éventuel déroutement sur Hamaguir (champ de tir des missiles sol-air et des fusées expérimentales du type Véronique).

La réalisation du circuit pour les vols demanda un gros entraînement et malgré tout, au cours des essais, plusieurs tirs ne furent pas autorisés, car un ou plusieurs paramètres n’étaient pas satisfaisants.

Pour économiser au maximum le pétrole, le Mirage III A 08 était tracté en début de piste au point de mise de gaz.

Les vols étaient effectués en habit stratosphérique avec le premier type de casque, qui n’était pas monté sur roulement à billes et qui rendait la vision en cabine extrêmement difficile, notamment pour une mise en route moteur ou le rallumage.

On m’habillait dans une pièce spécialisée du hangar, puis j’étais dénitrogéné et amené à l’avion avec ma petite valise d’oxygène. Bien qu’étant en octobre, il ne faisait pas froid... et le niveau d’eau dans le casque avait tendance à monter !

Le point de tir était calculé pour que le missile et les débris de la cible retombent dans le champ de tir ; le circuit du Mirage IV consistait en un éloignement, une montée à 60.000 ft et une présentation sur l’axe de tir.

Le largage de la cible à 60.000 ft était suivi d’une réduction des réacteurs et d’un dégagement en virage et en descente pour éviter tout risque d’accrochage radar sur l’avion et encore moins d’un accrochage du missile.

Le Mirage IV, porteur de la cible, n’ayant pas de problème de pétrole, le circuit du Mirage III A 08 restait prioritaire et c’était au Mirage IV de s’adapter.

Pour le Mirage III A 08 le problème majeur concernait la sécurité et était la faible autonomie en carburant. Le circuit comprenait également un éloignement en montée, suivi d’un virage sur l’axe de tir, d’une accélération jusqu’à Mach 1.6 à la tropopause et d’une montée à iso Mach 1.6 jusqu’à une altitude supérieure ou égale à 55.000 ft pour assurer un impact sur la cible au-dessus de 50.000 ft.

Le point de tir devait se trouver à l’entrée du polygone de tir pour que, après l’accrochage du radar (aux environs de 22 NM) sur une lentille de Luneberg associée à la cible et un accrochage du missile sur la source infra-rouge, l’autorisation de tir puisse être donnée ; et ceci à condition que la cible soit encore à Z supérieure à 50.000 ft.

Plusieurs fois nous dûmes poursuivre la passe pendant deux à trois minutes après l’entrée dans le champ de tir lorsqu’un des paramètres n’était pas nominal. Nous eûmes le cas d’un mauvais accrochage du radar ou du missile et plusieurs fois un mauvais fonctionnement de la cible, qui était, soit une non-ouverture du parachute, soit un allumage tardif, donc à une altitude trop basse, ou même pas d’allumage du tout de la charge pyrotechnique, donc pas de sources infra-rouge et pas d’accrochage de l’autodirecteur.

Ces vols, hélas plus nombreux que les tirs réels, étaient préjudiciables à tout point de vue :
- le tir n’ayant pas lieu, le programme n’avançait pas,
- le retour vers Béchar avec le missile, qui augmentait la masse de la traînée, était encore plus limite en pétrole,
- l’atterrissage qu’il fallait absolument réussir, était plus délicat.

Qu’il y ait tir ou non l’essai était terminé et le retour devenait la priorité numéro un ; il fallait effectuer immédiatement un virage à 180°, mettre la manette sur plein réduit et retourner vers Béchar pour une arrivée directe et un atterrissage impératif sur la lancée.

La mission n’avait jamais dépassé 45 mn de vol et le pétrole restant calculé étant au maximum de 500 litres, aucune remise de gaz n’était envisagée ; sur les 24 vols effectués avec le III A 08 (au cours duquel 8 tirs seulement furent autorisés, tous les paramètres étant satisfaisants) je suis revenu une fois avec 130 litres de pétrole restant (vérifiés au remplissage par la citerne), une fois j’ai éteint et rallumé dans le circuit de Béchar et une fois j’ai dû me poser à Hamaguir, parce que le retour à Béchar n’aurait pas été possible.

En plus de la tension permanente pour l’accrochage du radar, puis du missile, du tir et du retour, je me souviens de trois moments qui ont particulièrement marqué ces vols :
- Pendant le retour au terrain, j’avais hâte de passer 20.000 ft pour retirer la vitre avant de mon casque… le niveau d’eau ou de sueur arrivant à la pastille du micro.
- Un rallumage en vol en habit strato demande une gymnastique certaine, lorsqu’on connaît parfaitement la cabine et surtout ses banquettes.
- Se retrouver en habit strato en plein désert sur la piste d’Hamaguir amène à se demander comment on va sortir de l’avion. Heureusement, les personnels du CEV mis en place à Hamaguir avant chaque tir étaient de vrais professionnels.

Les conditions obtenues pour huit tirs avec le 08 ont été les suivantes :

N° tir   Mach    Altitude impact     Remarque
  1       1.5           53.000
  2       1.52         52.000
  3       1.55         52.000                  Atterrissage à Hamaguir
  4       1.55         52.000
  5       1.6           54.000
  6       1.55         55.000
  7       1.6           55.000
  8       1.55         55.000

À ces huit tirs doivent s’ajouter trois tirs réalisés sur le Mirage III E 402 pour vérifier la conduite de tir avion dans des conditions beaucoup plus simples.

La cible était un CT20 :

- 1 tir à 34.000 ft Mach 0.9
- 1 tir à 30.000 ft Mach 0.9
- 1 tir à 31.000 ft Mach 0.9

Dans les trois cas, la cible fut détruite.

C’est évidemment avec l’aide des constructeurs Dassault, Matra, Thomson et grâce à la compétence des personnels du CEV (ingénieurs, mécaniciens, armuriers, et opérateurs des cinéthéodolites pour le suivi simultané des 4 mobiles ; avion largeur, cible, avion tireur, et missile ; sans oublier la maîtrise des contrôleurs de la CER chargé du guidage, de la sauvegarde et de la restitution des trajectoires) que nous avons pu présenter au client une fonction qu’il avait achetée et dont il avait demandé la démonstration faite et cautionnée par les services officiels.

Sur le plan technique, cette tranche d’essais fut pour moi, une des plus passionnantes ; chaque vol était extrêmement pointu. Le minutage prévu pour chaque vol était corrigé au cours du briefing en fonction de la météo (vent, température, altitude de la tropopause élaborée après sondage par ballon).

Heureusement l’équipe d’essai au complet, CEV et constructeurs, était composée d’éléments exceptionnels regroupés en un point unique, en plein désert et pour qui seul le succès de la mission importait. Les heures de travail ne se comptaient pas, samedis et dimanches n’existaient plus, les mécanos considéraient le travail de nuit comme normal pour que les avions soient prêts le lendemain matin. Chacun faisait le maximum dans son domaine et le tir était programmé dès que tout était satisfaisant.

Cependant, aucune campagne d’essais ne fut pour moi aussi stressante et épuisante : 32 vols y compris le convoyage et quelques vols de contrôle avion et radar en 24 jours par des conditions climatiques extrêmes. Ma fatigue était telle que je n’ai pas pu faire le convoyage de retour et que j’ai dû rentrer en passager sur un SO 30 P.

Mais j’ai oublié l’épuisement physique et j’en garde un souvenir impérissable, tant l’ambiance était chaleureuse et le travail fascinant.


Georges VARIN


Varin.jpg
Georges Varin

Extrait de Aeromed n° 15 de décembre 2005

Date de dernière mise à jour : 06/04/2020

Ajouter un commentaire