Vol de nuit vers In-Amguel

À la période des expériences atomiques souterraines d’In-Amguel dans le Sahara, à une centaine de kilomètres au nord de Tamanrasset, nous étions souvent amenés, lorsque j’étais affecté au GT 1/64 "Béarn" du Bourget, à effectuer sur Noratlas dans la journée la mission le Bourget - Alger - In-Amguel, près de 10 h de vol. Je détestais cela car la deuxième partie s’effectuait en grande partie de nuit et le dernier point de recalage de navigation était In-Salah à mi-chemin, il restait à effectuer 2 h 30 de nuit sans aucun repère, seuls les points astro du navigateur nous maintenaient sur la route.

Nord 105
Nord 2501 "Noratlas"

Les moyens de radio-navigation du Noratlas étaient limités à deux radiocompas. L’alignement station arrière sur In-Salah était vite inutilisable et la balise de In-Ecker de très faible puissance avait une portée très réduite. Si je n’aimais pas cette mission c’est que je me disais :

- « Un jour quelqu’un ne trouvera pas le terrain et ça se terminera mal »

car il n’y avait aucun terrain de déroutement, l’aérodrome de Tamanrasset n’était ouvert que de jour et il aurait fallut remonter à In-Salah ou Reggane, la charge que nous transportions ne permettait pas un emport de carburant suffisant.

Hé bien, ce que je craignais est arrivé, quelqu’un n’a pas trouvé le terrain et j’étais le premier pilote de ce vol. Le commandant de bord était le Lt Boussuat, navigateur expérimenté car il avait derrière lui une première partie de carrière comme sous-officier navigateur.

Comme deuxième pilote ce jour là, j’avais un "hanneton". Ce terme un peu irrévérencieux désignait les officiers d’État-major qui venaient voler en unité pour garder le contact. Ils étaient pleins de bonne volonté mais avaient perdu leur entraînement. En règle générale nous ne transportions que du fret mais ce jour là pour corser l’affaire nous avions des passagers.

Lorsque nous avons survolé In-Salah, il faisait déjà nuit noire et, comme cela arrive souvent au Sahara, le temps était brumeux, aucune étoile de visible donc pas d’astro. Il ne restait que la méthode : au cap et à la montre. Tenir 2 h 30 dans ces conditions sans avoir une connaissance réelle du vent, était assez aléatoire.

Les deux radiocompas calés sur la fréquence de la balise d’In-Ecker, nous attendions l’approche de l’HEA, l’heure estimée d’arrivée, pour espérer avoir une indication utilisable. Les ARN-7 n’étaient pas du matériel très performant et la balise au sol était de faible puissance et ce soir là, à cause de toute la poussière en suspension, il régnait une atmosphère électrisée. Les deux aiguilles des radiocompas pointaient droit vers le sud. À l’HEA, 10 mn après l’HEA, 15 mn après l’HEA, aucune indication exploitable des radiocompas, pas de terrain en vue mais un bon contact VHF. Si le terrain avait été équipé d’un gonio il n’y aurait eu aucun problème.

Manifestement nous avions dépassé le terrain. Nous calons les radiocompas sur la fréquence de la balise de Tamanrasset et les deux aiguilles pointent trois quart arrière gauche pendant quelques secondes et repartent attirées vers le sud. L’indication quoique fugitive semblait nous confirmer que nous avions dépassé le terrain et que nous étions au sud. Le Lt Boussuat prend alors la décision de commencer un ratissage en remontant vers le Nord. Le ratissage est une succession de branches parallèles pour couvrir une certaine zone et nous espérions ainsi apercevoir le terrain.

Une voix nouvelle arrive sur la fréquence, celle d’un Breguet d’Air France qui allait lui aussi à In-Amguel. Par rapport à nous il était équipé de VOR un moyen de radio navigation plus précis que le radiocompas et surtout insensible aux parasites atmosphériques et aux effets de nuit. Il nous offre son aide mais à cause de la brume nous ne le voyons pas et il ne nous voit pas. Un autre moyen est essayé il émet sur une fréquence captable par nos radiocompas, aucun résultat, à l’inverse nous émettons il essaie de nous relever sans succès. Il nous annonce que compte tenu de son carburant qu’il va être obligé de nous abandonner pour se poser.

Pendant ce temps, quoique nous soyons mis au régime économique, les réservoirs de carburant se vident.

Le Noratlas était équipé de trois groupes de réservoirs :
- les A, de grande capacité dans la partie externe des ailes,
- les B, au centre des ailes de moyenne capacité,
- les C entre le moteur et le fuselage, de faible capacité.

Le mécanicien navigant avait consciencieusement asséché les réservoirs A et B, une main sur les leviers de commande des robinets réservoirs, un œil sur la pression d’essence en attendant la chute de pression d’essence pour changer de réservoir et ne pas perdre une goutte du précieux carburant.

Les réservoirs C étant bien entamés et notre recherche du terrain restant sans succès, je décide de commencer la descente, de façon à garder de l’énergie moteur d’une part pour alimenter la génération électrique, garder ainsi les instruments de pilotage et les phares et d’autre part pour pouvoir éventuellement sauter au moteur un obstacle qui se présenterai devant au moment du crash, mais sans trop avoir l’espoir de s’en sortir.

À ce moment, j’aperçois une lumière brillante qui monte dans le ciel, un phare. Il y avait un autre Noratlas sur le terrain et averti il venait de décoller pour nous venir en aide. Nous étions très proches du terrain et seule la brume nous empêchait de le voir.

Au sol nous avons retrouvé l’équipage qui, avec son phare d’atterrissage, nous a indiqué la position du terrain, et aussi l’équipage d’Air France qui regrettait de n’avoir pu nous assister plus longtemps.

Après cette aventure, la hiérarchie a convenu que faire les In-Amguel de nuit n’était pas raisonnable, ils ont été abandonnés. De jour le désert présente assez de points de repères pour assurer une navigation tranquille.                                                                                        

Norbert HUBY

Date de dernière mise à jour : 12/04/2020

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