Vol de nuit tragique au 1/5 "Vendée"

Le Lcl Jacques Ybert nous propose de revenir sur un épisode personnel douloureux de sa carrière : l’abordage entre un Mirage III C et un Fouga Magister le 18 mars 1968, alors qu’il est leader d’une patrouille à l’Escadron de Chasse 1/5 "Vendée" :

Une dizaine de jours avant le 18 mars, un correspondant du journal, le "Dauphiné Libéré", me contacte car il désire écrire un article commémorant l'événement qui, je le constaterai par la suite, à fortement marqué les habitants de la région.

Je lui envoie le récit de l'accident et il m'invite à me rendre sur les lieux le 18 mars 2008. Je réussis à convaincre Michel Fasseur, le pilote du Mirage également impliqué dans l'accident, à se joindre à moi.

Le 18 mars 2008, 40ème anniversaire de l'accident, nous nous retrouvons sur les lieux de la collision.

Nous y avons vécu une journée du souvenir pleine d'émotions. Nous nous étions perdus de vue depuis 39 années…

Le lundi 18 mars 1968, vol de nuit à la 5ème Escadre de Chasse. L'escadron 1/5 "Vendée" a prévu plusieurs missions, deux patrouilles de deux Mirage III C en interceptions radar et un Fouga Magister en entraînement vol de nuit. À l'issue de leurs missions les avions se poseront à Dijon Le retour à Orange est prévu le soir même en effectuant le même type d'exercice.

Leader d'une des patrouilles de Mirage III C, j'ai pour n° 2 le Sgc Flasseur. L'autre patrouille a pour leader le Lt Beliaeff (aujourd'hui décédé dans un accident d'avion).

J ybert2
Jacques Ybert sur SM-B2 (Coll. J. Ybert)

Le Fouga est piloté par l'Adj Tiné qui, nouvellement affecté à l'escadron, doit s'entraîner au vol de nuit sur avion de complément avant de pouvoir effectuer des missions nocturnes sur MirageIII C. Je lui demande d'emmener un équipement (parachute et masque à oxygène) supplémentaire, de façon à pouvoir ramener à Orange un pilote de Mirage III C en cas d'avarie de son appareil.

Mirage 3 c en vol copie
Mirage III C

Avec mon équipier, nous effectuons plusieurs interceptions et, en fin d'exercice avant d'entreprendre la descente sur Dijon, je déverrouille l'auto-commande et constate un blocage du manche. Je réenclenche le système, les commandes répondent à nouveau et je me pose sans problème.

Les mécaniciens ne réussissant pas dans l'immédiat à remédier à la panne, je décide de rentrer à Orange avec l'Adj Tiné. Il me propose la place avant, la mission étant à son profit, je refuse et je m'installe en place arrière.

Fouga en vol
CM-170 Fouga "Magister"

Nous décollons de Dijon aux environs de 22 h 00 locales, la navigation s'effectue en COM B (1) au niveau 215 (2), pour un retour direct sur Orange.

La nuit est noire, nous sommes au-dessus d'une couche de 4/8 de stratocumulus.

Rambert (3) (Centre de Détection et de Contrôle de Lyon Mont-Verdun) nous demande si nous acceptons de servir de plastron (4) pour le Mirage III C qui faisait partie de ma patrouille dans la mission précédente. J'accepte.

L'interception est réalisée, le Mirage III C nous double, nous voyons la lueur de la tuyère qui s'éloigne dans nos 1 h (5).

Je me charge de la navigation, nous venons de passer travers Lyon, de la main droite je cherche à capter au radio-compas la balise de Montélimar Ne pilotant pas, j'ai la main gauche libre et je passe inconsciemment la collerette du gant dans la pince se trouvant sur la cuisse gauche de la combinaison anti-G que j'ai gardé sur moi. Cette pince sert à maintenir d'éventuels documents servant à la navigation ou à la mission.

Une seconde interception est en cours, les distances sont annoncées par le CDC 5 NM, 3 NM, 1,5 NM (6)

J’ai la vision du tableau de bord qui s’éloigne puis le néant, j’ai perdu connaissance. Je me réveille en plein ciel, plus rien autour de moi, je n’ai rien vu, rien entendu, rien ressenti. Je tombe dans le vide, le dos tourné vers le sol.

Cockpit fouga 1
Cockpit Fouga "Magister"

Je réalise immédiatement ce qui s'est passé et je hurle :

- « Le con, il nous est rentré dedans »

Je saisis la poignée du parachute, elle me tombe directement sous la main, je la tire avec force, je subis un choc très violent, j'ai l'impression d'avoir été plié en deux. J'ai ouvert beaucoup trop haut. Je descends lentement, la corolle est parfaitement déployée mais j'ai la jambe gauche prise dans les suspentes.

J'ai une sensation étrange dans cette jambe. Je la remue, une douleur diffuse interne et un crissement des os ne me laissent aucun doute, elle est cassée. En effet quand j'entreprends de la dégager, ce qui se fait aisément en tirant sur les suspentes, je m'aperçois qu'elle est articulée au niveau du tibia.

Je suis maintenant assis confortablement dans le harnais et je fais l'inventaire de mes blessures.

La main gauche me brûle, je l'approche de mon visage, la peau a été arrachée du poignet jusqu'aux premières phalanges, elle pend en lambeaux. Au choc, mes membres ont dû partir dans toutes les directions. Le gant est resté accroché à la pince de la combinaison anti-g et la main est sortie en force, le frottement l’a dépiautée.

J'ai très froid aux pieds, le gauche a toujours la chaussure mais elle baille et les doigts de pied sont à l’air libre.

La jambe droite de la combinaison anti-g a été arrachée entrainant avec elle la chaussure et la chaussette. Je palpe mon pied, il est très enflé, il a doublé de volume et je détecte une profonde coupure au talon ainsi qu’une plaie importante sur le dessus.

J'ai perdu le casque mais gardé le sous-casque, j'ai l'impression d'avoir le visage en feu. En le tâtant je sens qu'il est humide, j'ai dû recevoir un gros coup de chaleur au moment du choc, le visage est brûlé au 1er et 2ème degré.

J'ai de plus en plus froid, je pense qu'à cette altitude, au mois de mars et en pleine nuit, la température doit avoisiner les -30, - 40°. Je suis obligé de réchauffer mes pieds et mes mains en les massant.

La descente me semble interminable. Je traverse une couche nuageuse, je suis fortement secoué puis le calme revient. J'aperçois sur ma gauche les lumières de la vallée du Rhône. J'appelle deux à trois fois l'autre pilote espérant qu'il est dans la même situation non loin de moi. Pas de réponse.

J'appréhende l'arrivée sur une surface que je ne distingue pas mais je suis confiant, je me dis qu'étant sorti vivant de la collision, la suite ne peut m'être fatale J'ai effectué en entraînement six sauts en parachute, et par expérience, je sais que l'atterrissage est très brutal. Je décide, lorsque je m'estimerai près du sol, de protéger ma jambe gauche en la croisant sur la droite (à proscrire impérativement). Au choc je me casserai sûrement cette dernière mais l'autre ne subira peut-être pas de dégâts supplémentaires.

Je devine, au changement de l'intensité de la pénombre qui m'entoure, de l'imminence de l'impact, je croise les jambes et tire sur les suspentes pour amortir la chute, j'entends un bruit de branches cassées, la descente se termine avec douceur, seuls mes pieds touchent terre, je n'ai subi aucun dommage, j'ai traversé un arbre, la corolle du parachute recouvre le branchage ce qui a freiné ma chute.

Je dégrafe le harnais et me retrouve allongé sur l'herbe. Je regarde autour de moi, la nuit est tellement noire que je ne vois même pas l'arbre qui n'est qu'à 2 ou 3 m. Je serais capable de ramper mais vers où, il n'y a aucune lumière visible.

Je voudrais récupérer mon parachute pour me protéger du froid mais le harnais m'a échappé au moment où je me dégrafais, la flexibilité des branches I'a mis hors de ma portée.

La permanence opérationnelle de la Base aérienne d’Orange a déjà due être informée de l’accident, les secours vont se mettre en place mais il faudra des heures avant que les recherches ne commencent. Nos épouses vont être informées en pleine nuit, quel choc pour elles, surtout qu’elles ne vont rien savoir dans un premier temps de notre situation.

Je me fais à l'idée que je ne verrai personne avant le jour Je m'apprête à passer une très longue nuit.

J'appelle au secours, un chien aboie, quand il se tait, j'appelle à nouveau. Le temps me semble long, je ne peux lire l'heure à ma montre, il fait trop sombre. Je cherche ma lampe électrique, elle était dans la poche droite de ma combinaison anti-g, disparue avec la jambe du pantalon.

J'entends le halètement d'un animal en pleine course, il me frôle, c'est un chien, je l'ai à peine entraperçu, il semble ne m'avoir ni vu ni senti car il poursuit son chemin. Je cherche mon poignard, on ne sait jamais, un chien errant pourrait m'attaquer, disparu lui aussi, il était dans la poche avec la lampe.

Au loin j'aperçois deux ou trois fois des phares de voitures mais beaucoup trop loin pour me découvrir. N'ayant pas ma lampe je ne peux faire de signaux.

Après une attente qui m'a paru interminable, arrive un couple d'agriculteurs. Ils m'apprennent qu'intrigués par les aboiements répétés de leur chien ils se sont décidés à se lever et en sortant ont aperçu une lueur blanchâtre, la corolle du parachute, accrochée au noyer sur lequel je suis tombé. L'arbre ne se trouve, je le verrai lorsque je retournerai sur les lieux, qu'à une trentaine de mètres de la ferme.

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L'arbre dans lequel j'ai atterri. La fille de mes sauveteurs et son mari. (Coll. J. Ybert)

L'homme me propose de me transporter dans sa maison mais je refuse de bouger. Ma jambe et mon dos me font souffrir, j'ai trouvé une position où la douleur s'est un peu calmée et un transport par deux personnes inexpérimentées à ce genre d'exercice me parait périlleux.

Je suis tombé dans une vallée encaissée, loin de toute agglomération, loin de toute route mais heureusement près d'une des fermes isolées qui parsèment la région. Les fermiers n'ont ni téléphone ni voiture. L'homme part à pied chez un voisin dont la ferme se situe de l'autre côté du vallon. Son épouse m'apporte une couverture et du café.

Mon sauveteur revient en camionnette, le chauffeur, n'a pas lui non plus, le téléphone. Il se souvient qu'au fond de la vallée, un petit barrage est en construction et qu'un téléphone de campagne a été installé. Ils repartent et à leur retour m'informent qu'ils ont pu prévenir les secours.

Après une heure d'attente les pompiers et les gendarmes arrivent. J'informe ces derniers que deux autres pilotes et deux avions sont impliqués dans cet accident, l'un d'eux me demande ou ils se trouvent, je ne sais même pas où je suis, je leur indique que vu l'altitude à laquelle la collision a eu lieu, ils peuvent chercher dans un rayon de 10 km.

Je leur demande de prévenir la base d'Orange. Je me nomme, mais l'un des gendarme me réclame une pièce d'identité (méfiants les gendarmes, j'aurai pu être un extra-terrestre ou un espion de l'Est ayant raté son parachutage), je dégrafe ma plaque de poitrine portant mon nom et mon grade il s'en contente et contacte son PC.

Je suis évacué dans une ambulance tout terrain sans beaucoup d'amortisseur, le chemin est très chaotique, puis la route pour rejoindre la ville de Tournon très sinueuse. Ma jambe qui subit tous les aléas de la route me fait énormément souffrir, le voyage est un calvaire. Arrivé à la clinique de Tournon, une équipe médicale m'attend et je suis opéré dans la nuit même.

Le chirurgien, avant de m'endormir, me demande de remuer les doigts de pieds de la jambe gauche, ce que je fais. Il me dira plusieurs jours plus tard que si je n'avais pas eu de réaction, il m'aurait coupé la jambe !!! 

On me rapportera plus tard que pour certains, ma jambe avait été coupée et on allait peut-être être obligé de me couper la deuxième.

Un ou deux ans plus tard, à Solenzara en Corse, je rencontre sur le parking un ami que j'avais perdu de vue depuis plusieurs années, il me regarde avec surprise et m'annonce qu'on lui avait dit que j'avais péri dans l'accident.

La collision s'est produite travers ouest de la ville de Tournon pour 15 à 18 km. Le Mirage III C et le Fouga sont tombés à 5 km l'un de l'autre. Le Mirage III C près de la commune de Pailharès et le Fouga sur la commune de Vaudevant. Une aile du Fouga et une partie du tableau de bord sont retrouvés à 3 km du fuselage.

Mon siège sera retrouvé, sangles non dégrafées, avec un morceau de baquet à chaque extrémité.

Le Fouga a été éventré par le Mirage, n'ayant plus rien en dessous de moi, je suis tombé par l'ouverture.

Moi-même et le Sgc Flasseur avons atterri à 8 km environ au sud de nos aéronefs respectifs. Le Sergent-chef Flasseur, sur les rives d'un petit ruisseau, à 20 m d'une ferme, il se démet une épaule. C'est après avoir frappé avec insistance qu'il parvient à se faire ouvrir la porte. Le fermier n'a ni téléphone ni voiture et refuse de l'accompagner jusqu'au village le plus proche, il consent cependant à lui indiquer le chemin. Le Sgc. Flasseur parcours plusieurs kilomètres en se tenant le bras, jusqu'au village de Saint Félicien, il passe par hasard devant la gendarmerie et frappe à la porte.

J'ai atterri au lieu-dit La Culat sur la commune de Colombier-le-Vieux. Le corps de l'Adjudant Tiné ne sera retrouvé que le surlendemain, emmêlé avec la planche du tableau de bord, dans son parachute déchiqueté. Sa jambe gauche avait été retrouvée la veille à 500 m de l'épave du Fouga.

J'ai subi trois opérations dont une greffe osseuse, le tibia était éclaté en cinq morceaux. Le greffon a été pris sur le tibia droit. Je suis resté plusieurs mois allongé, ayant interdiction de prendre appui sur mes jambes.

J'ai volé à nouveau au mois de novembre suivant, tout d'abord sur Fouga puis sur Mirage III C en février 1969.

                                                                     
Jacques YBERT
 

Extrait de "L'ALPHA" n° 160 de septembre 2014


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Date de dernière mise à jour : 03/04/2020

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