Une belle histoire

Notre bonne vieille Julie se hâtait lentement au-dessus du Sahara. Partis le matin de Maison-Blanche avec une quinzaine de pax nous faisions route vers Timimoun après une escale à Ouargla et à El Goléa. La chaleur était encore supportable à cette époque de l’année et le "tabassage" acceptable.

Une douce torpeur avait envahi l’équipage et les passagers ; seul le pilote automatique accomplissait son travail sous l’œil vigilant du mécano. L’équipage était composé du Lt Grivel, pilote (décédé accidentellement quelques années plus tard à B2, base près de Béchar), du Lt Piquemal navigateur commandant de bord, du Sgt Gaucher radio-navigateur, d’un mécanicien dont je ne me souviens plus le nom (qu’il me pardonne) ainsi que d’une IPSA dont j’ai également oublié le nom.

Le QTH venait d’être passé à FNA (CCR d’Alger) et je m’apprêtais à faire comme les chats, c’est à dire piquer un petit somme tout en restant sur écoute. À peine les yeux fermés, dans mes écouteurs j’entends comme un souffle un appel en morse un peu hésitant sur l’indicatif. Un petit réglage du récepteur, la note devient plus claire, pas de doute c’est un appel pour nous :

- « F-RAW de ??? QTC urgent »
- « OK pour le message, mais qui êtes-vous ? »
- « Ici poste militaire d’Adrar, QTC urgent pour avion de la part du médecin : enfant 5 ans tombé sur bord piscine, fracture du crâne, êtes le seul avion dans le secteur, médecin demande une évacuation urgente sur Alger »
- « QSL, QAP » (message reçu, restez sur écoute !)

Je fais part immédiatement du message au commandant de bord, aucune hésitation, on y va. On demande l’hébergement des 15 pax pour la nuit, le plein d’essence, QRE Adrar à … (heure d’arrivée). On envoie le message de retard à Timimoun.

Aussitôt, nous envoyons un message de déroutement au CCR d’Alger et au GMMTA ainsi qu’à l’escale de Maison-Blanche chargée de prévenir l’hôpital Maillot d’Alger.

QTP (atterrissage) à Adrar où les bidons d’essence et la pompe Japy nous attendent. Les pax sont embarqués en ville, le fret est déchargé, la civière mise en place tenue par des sangles au centre de l’avion et, nous attendons prêts à repartir.

Quelques instants plus tard l’ambulance arrive, roulant lentement. Les portes arrières s’ouvrent et nous voyons un Lt saharien marcher doucement tenant dans ses bras son enfant inerte, bras et jambes pendantes, la tête entourée de bandages. A ses côtés se tenait une jeune femme blonde en pleurs.

Le toubib et notre IPSA s’affairent pour installer le blessé du mieux possible sur la civière, mais le Ju-52 est loin d’être un palace ! La maman embarque avec nous pour accompagner le blessé.

Au moment de refermer la porte, les parents s’étreignent longuement. Nous avons tous la gorge un peu serrée.

Nous décollons. À la demande du toubib, nous volons le plus bas possible pour ménager le blessé toujours inerte. L’IPSA seconde le toubib, sous le regard de la maman qui sanglote. 

Nous envoyons le QRE à Alger ainsi que les précisions sur l’état du blessé afin de préparer son transfert en ambulance.

Le vol s’effectue sans histoire. Maison-Blanche est en vue. Il va falloir perdre de l’altitude au-dessus de la mer et faire un atterrissage très doux. D’une main de maître, notre pilote réalise un posé "3 points" comme sur du velours ! À l’escale, le service médical et l’ambulance sont déjà là et le blessé est évacué vers l’hôpital. Pour nous la mission est accomplie, somme toute une évacuation sanitaire banale… Après un bon casse-croûte au bar, nous allons prendre un repos mérité avant de repartir vers Adrar pour récupérer les pax et terminer la ligne.

Rien de sensationnel en somme, tant d’équipage du GMMTA ont participé à de nombreuses évacuations sanitaires ! Mais, si j’ai tenu à raconter celle-ci c’est qu’il y a eu une suite.

Quatre mois plus tard, alors que nous faisions une partie de tarots acharnée dans la salle de repos, le planton vint nous dire :

- « Le commandant veut vous voir dans son bureau, et vite ! »

Nous allons donc voir le commandant qui nous annonça une visite. Il s’agissait de la maman radieuse et de son petit blessé tout frisé et heureux. La maman fut très fière de présenter à son garçon l’équipage qui avait permis son transport à l’hôpital. Nous eûmes droit à de grosses bises sonores et un grand merci.

À ce moment-là ce fut notre tour d’avoir la larme à l’œil mais surtout d’avoir eu l’immense satisfaction et une petite pointe d’orgueil de faire un aussi beau métier.

Quarante-quatre années ont passé, je me souviens toujours avec autant d’émotion de cette belle et authentique histoire.


Robert GAUCHER

Extrait du "Recueil de l’ADRAR" Tome 1

Date de dernière mise à jour : 10/04/2020

Commentaires

  • Daniel Meneret
    • 1. Daniel Meneret Le 22/07/2021
    L'histoire du 16 octobre 1952 était malheureusement moins belle.

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