Un petit air de banjo

Qu’était-ce une mission "Banjo" ? En quelques mots un parachutage de nuit, à la sauvette, sur Diên-Biên-Phù de garçons peu, voire pas du tout, entraînés.

Ces missions seront parmi les plus délicates et les plus dangereuses. Les paras devaient être largués à 400 mètres sur une DZ courte, en deux passages, voire trois. L’obligation de passer toujours au même endroit, en ligne droite, à vitesse de parachutage, nous valait d’être tirés comme des pigeons.

Les parachutistes n’avaient pas le temps d’apprendre à sauter (les avions étaient pris pour les missions opérationnelles). Quelques-uns avaient effectué un ou deux sauts, les autres aucun : ils étaient largués dans la fournaise de Diên-Biên-Phù, de nuit, sans entraînement. Certains voulaient absolument combattre, d’autres étaient pris de panique au dernier moment. Il fallait décrocher leur SOA (sangle d’ouverture automatique), et cela retardait les autres. Parfois même il arrivait que l’un d’eux, pour être sûr de ne pas être poussé de force par les dispatchers, ouvre son ventral dans l’avion. Bonjour les dégâts !

Au total les quatre groupes, "Franche-Comté", "Anjou", "Béarn" et "Sénégal"  effectueront 164 missions Banjo et largueront 3024 paras.

Ayant effectué plusieurs Banjo, pourquoi évoquer plus particulièrement cette mission ? Voyez plus loin.

Bach Maï, lundi 5 avril 1954, vers 21 heures.

Dans une semi-obscurité, les Dakota sont alignés sur le parking où règne l’effervescence qui précède les missions Banjo. Les sticks de paras qui sauteront dans quelques heures, de nuit, dans la fournaise de Diên-Biên-Phù, se préparent.

L’équipage du "Franche-Comté" du C47 n° 545 F-RAYA, le pilote Lamarque, le NCA, un certain capitaine…, le mécano Vlassof et le radio Rubel, observent les paras, alignés, dont on vérifie l’équipement avant l’embarquement.

Combien parmi eux reviendront de DBP ? Il y aura ceux qui se réceptionneront mal à l’arrivée au sol et qui connaîtront tout de suite l’infirmerie, ceux qui combattront et qui finiront ou morts ou blessés ou rescapés mais prisonniers dans des conditions telles que peu s’en sortiront. En fait, je crois que je ne me posais pas trop de questions à cette époque où j’avais 21 ans. La mission était là et il fallait l’exécuter.

Les para embarqués, mise en route, roulage, décollage et cap sur DBP. La routine…

Comme pour toutes les missions de nuit, cache-flammes et discrétion sont de rigueur. Même les vers luisants sont interdits à bord ! …

À l’approche de la DZ, les paras accrochent leur SOA et le dispatcher, pour les vérifier, allume sa lampe électrique en ne laissant filtrer entre ses doigts qu’un mince rai de lumière. Aussitôt notre NCA l’engueule : pas de lumière !

Alignement pour le premier passage. Top largage… et au lieu d’appuyer sur la sonnette de largage, notre bon NCA… allume les phares d’atterrissage !!!

C’est aussitôt un festival de traçantes convergeant sur nous. Lamarque, furieux, balaie le bras du navigateur d’un coup de coude, éteint les phares tout en se mettant en virage et en "évasives". Les deux passages pour faire sauter les paras se feront sans l’aide du navigateur. Avec tout ça on n’a pris que deux impacts. Mais quelle chaleur !

Jean RUBEL

Extrait du "Recueil de l'ADRAR" Tome 2

Date de dernière mise à jour : 05/04/2020

Ajouter un commentaire