Un Iliouchine sous le vent d'un Mistral

Le 23 septembre 1960, en début d'après-midi, deux pilotes de l'EC 2/7 "Nice" (escadrille des Panthères) sont d'alerte dans la salle d'opérations de la base. Soudain, l'ordre de départ est donné.

En combinaison de vol, pistolet Mac 50 dans le holster, le sergent Mélot et le sous-lieutenant Lesaux saisissent leur sac de cartes au 1/100.000ème, le casque de vol et le serre-tête avant de sauter dans la jeep qui fonce rapidement vers le parking des Mistral. Les mécaniciens enlèvent les sécurités de Pitot, train, canons, siège éjectable, bombes, pendant que les pilotes s'installent dans leur avion et mettent en route. Ils attachent leur harnais pendant le roulage, tout en faisant leurs actions vitales.

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Le SE-535 "Mistral"

La patrouille décolle, non pas pour prêter main-forte à des troupes au sol accrochées, mais pour intercepter, après détection des radars, un avion inconnu survolant le territoire. Bien qu'il ne soit que sous-officier, Mélot est l'un des rares pilotes à avoir été nommé chef de patrouille alors qu'il n'était encore que sergent. Il dirige donc la patrouille avec le sous-lieutenant Lesaux pour équipier.

Depuis le début de la guerre d'Algérie, plusieurs missions d'interception ont déjà été accomplies, essentiellement par les Mistral. L'espace aérien d'Afrique du Nord est l'objet d'une attention toute particulière, surtout en raison du trafic d'armes qui s'est développé au profit de la rébellion algérienne. Des appareils étrangers ravitaillent les maquis, souvent par parachutage de nuit, alors que d'autres s'éloignent de leur trajectoire, sciemment ou non.

En vue de l'objectif, Mélot identifie un Iliouchine bimoteur immatriculé en URSS. Le haut de la dérive est orné d'un drapeau rouge avec une faucille et un marteau qui ne laissent planer aucun doute sur la nationalité de l'appareil.

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Iliouchine 14

Les chasseurs encadrent l'intrus en lui faisant signe de passer sur la fréquence d'interception. Appliquant à la lettre la procédure internationale, il lui est demandé de modifier sa route et de naviguer vers le nord, afin de sortir du territoire. Quelques prises de vues du dessus de l'appareil sont réalisées avec la caméra collimateur pour vérifier s'il ne dispose pas d'un équipement spécial destiné à filmer le théâtre des opérations. Cependant et malgré tout ce remue-ménage autour de lui et sur les ondes, l'Iliouchine fait la sourde oreille et maintient son cap.

- « Il ne veut rien savoir »

rend compte Mélot à la salle des opérations à Constantine.

Le général commandant le Centre de Contrôle à Constantine vient en personne à la radio. L'instant est grave car après les signaux internationaux, les Mistral doivent procéder aux tirs d'intimidation.
 

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Quelques vues de l'Iliouchine soviétique prises par la caméra collimateur
du sergent Mélot au moment de l'interception (Coll. Michel Mélot)

La tension monte, d'autant plus qu'il s'agit d'un avion soviétique. Il faut respecter les règles et chercher à comprendre. Mélot sent bien que le général est inquiet. Avec son accord, il propose que le sous-lieutenant Lesaux reste sur la perche en position de tir (espacement nécessaire minimum en distance et en altitude pour effectuer une passe de straffing), pendant qu'il ralentit sa vitesse jusqu'à s'aligner sur celle de l'Iliouchine. Il sort alors plein volets et le train d'atterrissage, puis passe sous le transporteur, le double tout doucement à quelques mètres. En remontant à son niveau, il met son réacteur pleine charge. Le bimoteur soviétique est pris dans le souffle du Mistral et dégringole de plusieurs centaines de pieds en battant des ailes. Il a compris. Le voilà d'accord pour suivre la patrouille.

Encadré par les deux chasseurs à réaction, l'Iliouchine prend la direction de Boufarik, au sud-ouest d'Alger. À court de pétrole, Mélot demande la relève. Une trentaine de minutes après, deux autres avions prennent le relais, libérant les Mistral qui peuvent regagner Télergma.

L'Iliouchine se posera sur la base de Boufarik où il sera cerné par des militaires en armes, prêts à accueillir et à interpeller les passagers en présence des autorités. En fait, le bimoteur transportait Sékou Touré, président de la Guinée, qui exercera un pouvoir dictatorial jusqu'à sa mort en 1984.

Quelques jours plus tard, le sergent Mélot recevra une lettre du général commandant le centre d'interception du Constantinois, qui le félicitera pour sa manœuvre. Il ne cachera pas son soulagement de ne pas avoir eu à prendre la décision de tirer sur Sékou Touré, passager d'un avion de la grande Union Soviétique !

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Le Sergent Mélot dans son "Mistral" (Coll. P-C Renaud)

Le sous-lieutenant Lesaux, qui a participé à cette interception, se tuera trois ans plus tard à Metz en sautant trop tard de son avion en panne de réacteur. Son parachute s'ouvrira, mais trop bas. Quant à Mélot, il s'est révélé tout au long de la guerre d'Algérie comme un pilote exceptionnel, aux nombreuses missions.

Cinq mois plus tard, une patrouille de Mistral de l'EC 1/7 Provence devra monter d'un cran en exécutant des tirs d'intimidation à l'encontre d'un autre Iliouchine soviétique, à bord duquel se trouvait Léonid Brejnev, président du Présidium du Soviet suprême, accompagné d'une importante délégation de hauts fonctionnaires qui se rendaient en visite officielle dans plusieurs États africains, dont le Maroc.

 

Patrick-Charles RENAUD

Extrait d'  "Aerostories"

Date de dernière mise à jour : 06/04/2020

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