Un appontage de nuit

Selon un adage répandu, l'appontage de nuit, c'est comme de jour, sauf qu'on n’y voit rien.

Un soir de 1973

Nous sommes en phase de retour de vol de nuit à partir du bord. Il est 21h00. Avec nos Crusader, nous avons conduit des interceptions au radar. Mon équipier est à proximité immédiate et j’observe ses feux.

La pleine lune permet de distinguer la silhouette de son avion. Tout est calme et reposant, nous approchons de la position prévue pour le recueil, à 20.000 pieds d’altitude et 30 nautiques sur l’arrière du porte-avions Foch.

Comme prévu, l’officier d’interception nous demande de passer sur la fréquence radio de l’Approche. Une rotation du bouton et nous voilà sur le canal 17. Le contrôleur nous donne la route aviation (1) du bateau, le vent sur le pont et la couleur météo puis son top chronomètre. Le pont est jaune, la visibilité est donc mauvaise. De plus, il m’annonce que le vent sur la mer est nul, ce qui laisse présager que la route aviation du bateau risque de changer subrepticement.

À l’heure prévue, je commence la percée et mon équipier reste en palier pour prendre son intervalle de deux minutes. Aérofrein et crosse sortis, vitesse stable à 280 nœuds, je pénètre dans la couche nuageuse à 18.000 pieds, l’avion est aussitôt secoué et le puissant feu rotatif dorsal devient gênant en se réfléchissant sur l’ouate. Je le coupe, ça va mieux. Stabilisation à 1.500 pieds et 10 nautiques du PA, toujours dans les nuages.

Une agitation sur la fréquence me fait comprendre que l’avion qui me précède a raté son appontage et doit se représenter. Le contrôleur me demande alors de faire une orbite de retardement de 4 minutes, ce qui permettra de le laisser passer devant moi. On a l’habitude et j’effectue consciencieusement un tour complet en palier, l’œil attentif au chrono. Il a dû se poser, car je n’entends plus rien. Arrivé à la fin de mon 360°, le contrôleur s’intéresse de nouveau à moi, me fait passer sur une des fréquences radio de finale et me demande d’effectuer les actions vitales (lever l’aile, sortir le train) et prendre la vitesse d’appontage puis me donne des caps à suivre ; effectivement, ils changent vite et me voilà déjà à 20 degrés de la route avia initiale.

À 4,2 nautiques, je reçois l’ordre de quitter 1.500 pieds et commence la descente finale au taux de 500 pieds par minute. J’enclenche le régulateur d’incidence de vol, qui au poids actuel me donne environ 124 nœuds. Mû par le régulateur, la manette des gaz s’agite toute seule pour maintenir l’incidence de référence ; reste à sortir de ces nuages. L’altimètre descend régulièrement et toujours rien devant. À partir de 800 pieds, je sors progressivement de la couche et cherche à voir les feux de la piste, tout en surveillant le taux de descente. Le miroir d’appontage est enfin visible et rassurant puis je distingue le trapèze de lumières formé par les feux de pont, mais je sors mal aligné et dois faire immédiatement une fourchette à droite pour revenir sur l’axe.

Penser à revenir à gauche en temps utile pour ne pas déborder de l’autre côté et ça va vite mais c’est jouable sans faire d’acrobatie. Tenir compte du vent en pont droit et prendre une légère dérive nez à droite. Avant même d’être stabilisé sur l’axe le contrôleur me lâche avec un :

- « 1 nautique, 350 pieds, annoncez miroir ».

Je suis en train de réduire les gaz après la louche que j’ai dû mettre pour effectuer la baïonnette. J’annonce d’une voix au calme appliqué :

- « Miroir, 28, Feuilloy »

(28 = 2.800 livres de carburant). L’officier d’appontage (j’identifie aussitôt sa voix) me demande :

- « Un peu de moteur »

Le miroir est au milieu, mais il anticipe.

Le nez de l’appareil revient à gauche de l’axe de la piste. Un coup de palonnier à droite en gardant les ailes à plat et ça marche. Le train touche le pont et je mets plein gaz mais aussitôt je sens la décélération indiquant que j’ai croché un brin. L’avion s’arrête dans le fracas du réacteur plein pot. Je note que je me suis posé légèrement à gauche de l’axe, avec le nez vers l’îlot.

Tout est facile après. Relevage de la crosse et repliage des ailes. Le directeur de pont d’envol, muni de ses deux bâtonnets lumineux me fait signe d’avancer puis me passe à un autre directeur sur l’avant. Je suis enfin au point d’arrêt final. J’ouvre la verrière et l’air frais me gifle le visage. Je suis heureux.

Ce n’est que des années après que je me suis intéressé à ce que mes anciens avaient fait en matière d’appontage de nuit et je suis allé de découverte en découverte (voir ci-après).


Robert FEUILLOY

ARDHAN : http://www.aeronavale.org/
Extrait de Aeromed n° 16  de janvier 2006 (http://www.aeromed.fr/)

(1) Route aviation : route prise par le PA face au vent lorsqu’il doit catapulter ou faire apponter ses appareils.

Date de dernière mise à jour : 05/04/2020

Ajouter un commentaire