Transport urgent pour Reggane

Toussaint 1958. Alger Maison-Blanche au groupe 3/62 "Sahara", 22 heures.

Je rentre d'une longue et pénible mission en Nord 2501 Alger - Bechar - Tindouf - Bechar - Mecheria - Alger. Près de 12 h de vol, forte turbulence, et sans copilote, qui ne s'est pas présenté au départ.

J'arrive aux OPS du Groupe "Sahara" et le caporal-chef de permanence m'annonce que je suis d'alerte à une heure. Les bons petits copains ont pensé à moi avant d'aller retrouver Bobonne au dodo.

Pour me rassurer, le permanent me dit :

- « Ne vous inquiétez pas, mon Capitaine, aucune alerte n'a décollé depuis trois semaines. Vous pouvez dormir tranquille ».

Minuit : je viens à peine de m'endormir, des coups énergiques à la porte, une Jeep qui ronronne devant et un brave bidasse qui m'annonce : 

- « Mon Capitaine. Je viens vous chercher. Décollage sur alerte ».

Arrivé au Groupe, j'apprends qu'il y a un cafouillage dans les ordres et que je ne décolle qu'à 5 h. Deuxième nuit foutue.

Mission : transport pour Reggane, au cœur du Sahara, de 5 t de matériel sensible destiné au Centre où l'on se prépare à faire sauter LA Bombe.

Pénétré de l'importance de la mission, sans doute, peut-être, transportons-nous LA Bombe... Nous décollons. Temps merveilleux, lever de soleil unique, et, après 4 h de vol nous atterrissons à Reggane.

Accueil glacial d'un Cdt du Génie qu'on est allé tirer du lit où il ronronnait avec sa dulcinée. On est en guerre, n'est-ce pas ? 

- « Que venez-vous foutre à cette heure matinale un jour de La Toussaint ? »
- « Je n 'en sais rien, mon Commandant, moi je transporte ».

Il appelle un sbire de l'escale :

- « Ouvrez-moi ces caisses ».

Horreur : il s'agit de 5 t de cuvettes de WC, à la grecque et à la turque, destinées à des bâtiments qui ne furent construits que plus tard.

Je fis un compte-rendu au vitriol qui fut transmis au Gal Jouhaud, lequel me connaissait bien : nous avions failli nous faire abattre en 54 en Indochine à la frontière de Chine vers Lao-Kay.

Réponse du Général :

- « Dites à Adias qu'il ferme sa grande gueule, sinon, la prochaine fois, je lui fais transporter la m... qui va avec les cuvettes ».

Et voilà comment j'ai participé puissamment à la Force de dissuasion nucléaire française.

Si le Gal de Gaulle l'avait su, certainement qu'il m'aurait décoré sur le front des troupes pour service rendu à la Patrie.


Jean ADIAS

Date de dernière mise à jour : 10/04/2020

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