Sortie du train en secours sur C-135

On ne peut pas dire que la rubrique "Souvenirs" relative au C-135F soit encombrée [NDLR : dans la Revue "ANFAS CONTACT"]. À croire qu'il ne s'est jamais rien passé sur cet avion, avion tellement sûr, que l'on pensait qu'il ne pouvait rien arriver de grave, même pas dans le cadre de la loi de l'emmerdement maximum. Pourtant, quand le pépin survient et que check-list et Dash-One sont muets sur le sujet…

C135f
Boeing C-135F (Sirpa)

Toujours est-il que la check-list n'a pas prévu la bévue humaine. L'histoire suivante, qui s'est passée jour pour jour un mois avant le drame d'Hao, n'a absolument rien de dramatique ; tout au plus une anecdote tenant plus du gag qui aurait pu mal tourner que de l'incident aérien à proprement parler. Elle n'aurait sans doute même pas trouvé sa place dans une revue du style "Well done", autrement dit "Bien fait" où si vous préférez "Bien joué", revue inexistante chez nous. Savoir comment un équipage a réagi devant telle ou telle situation, sans avoir à le juger, constitue un enrichissement.

Le 30 mai 1972, l'équipage du Capitaine Zyromski dépose à Orly avec le C-135F n° 739, après 1 h 15 de vol depuis Istres, l'équipage constitué des Lt Tartière, pilote (P), Lt Vincendoritz, copilote (CP), Cne Boucher, navigateur commandant d'avion (N), l'Adjt Pavan, opérateur ravitailleur en vol (BO) et de quelques mécaniciens "maison" pour prendre livraison du C-135F n° 472 qui sort de "grande révision" des ateliers d'Air France.

En qualité de navigateur, je dépose un plan de vol CAG / COM / CAG pour une durée prévue de 3 h 20. Le décollage d'Orly en Circulation Opérationnelle Militaire n' est pas réalisable puisque c'est un aéroport civil. Dans notre cas, il est tout à fait logique de déposer un plan de vol mixte. Au retour du vol, nous devrons effectuer une approche ILS au pilote automatique pour tester son bon fonctionnement. Nous devons ramener l'avion en parfait état.

Pour ce faire, en plus de nos mécaniciens, prennent place à bord quelques ingénieurs, tous chefs à Air France dans leurs spécialités.

Après le décollage, une fois la mise en palier et le passage en COM effectué, le coordinateur d'Air France vient me trouver à la table de navigation et me demande à quel niveau de vol nous évoluons. Je lui annonce le niveau 255 et lui montre du doigt mon altimètre pour confirmer. Il insiste alors pour que nous montions au-delà du niveau 300 : j'essaie de comprendre sa démarche qui va nous faire consommer inutilement du pétrole et quitter un ciel clair qui convient bien à nos contrôles. Il m'annonce que sa sollicitation est fondée sur le fait qu'il perçoit une prime de vol supplémentaire dès qu'il évolue au-delà du niveau 300 !!! Je ne lui réponds pas… mon regard a suffi à lui faire comprendre que sa place est plus utile au fond du cargo qu'en cabine.

Tartière, Vincendoritz et Pavan s'affairent, tout se passe bien. Arrive le moment du contrôle de la sortie du train en secours où le navigateur (N) et le boom (BO) interviennent et mettent en œuvre une check-list très précise et détaillée.

Pavan a mis en place les deux Emergency cranks (grosses manivelles), qui vont permettre, à l'aide de câbles, les sorties train gauche et train droit séparément, avant de s'occuper de la Nose gear (roulette avant). Le spécialiste Air France nous rejoint en cabine et avant que je ne décide du début de la manœuvre, se précipite sur les manivelles et les actionne. Comment ? Je ne sais... Avec Pavan nous sommes stupéfait, ébahis. Qu'a-t-il fait exactement, combien de tours dans un sens ou dans l'autre, sur le train gauche, sur le train droit ? Le tableau de bord indique que la roulette est toujours rentrée (normal) mais que les deux trains ne sont ni rentrés ni sortis.

Pourquoi ce sinistre gaulois, sans doute homme-orchestre, a-t-il décidé d'agir seul, sans ordre ? Il répond qu'il est ingénieur, spécialiste en train d'atterrissage du C-135F et donc qu'il connaît .... Par son incohérence, son incapacité à œuvrer en équipage et, dans ce cas précis, son incompétence, devrons-nous appliquer la Landing With Gear Failure - car une mise en pression ne permettrait pas la rentrée du train, les câbles n'étant plus au neutre - puis choisir une piste de crash avec un tapis de mousse soit long mais peu large, soit plus large mais moins long selon le poids prévu au moment du crash ?

Peut-être n'aurai-je pas dû l'interrompre dans son numéro de soliste et le laisser continuer ce qu'il effectuait machinalement, par cœur, totalement affranchi des rigueurs de la check-list ? Sans nul doute il aurait sorti le train à sa façon et on aurait pu ensuite le rentrer en normal avant d'entreprendre les manœuvres spécifiques de la procédure secours. Il n'était pas exécutant, mais à bord en qualité de garant du bon fonctionnement du train d'atterrissage. C'était à Pavan ou à moi de tourner les manivelles, pas à lui. Nous étions donc quelque part dans la procédure secours, sans savoir où. Et lui savait-il exactement où il en était ayant été interrompu dans son élan ? Le pétrole restant autorisait une autonomie pouvant être mise à profit pour réfléchir et étudier calmement la situation... Après concertation entre membres de l'équipage, je demande au "spécialiste" s'il est en mesure de remettre les câbles des deux trains principaux au neutre. Sa réponse positive m'apporte un soulagement. Une fois les neutres retrouvés, je l'ai invité à rejoindre sa place dans le cargo, à prendre les écouteurs afin de suivre par radio la manœuvre de sortie du train en secours effectuée par un équipage de C-135F appliquant scrupuleusement la check-list. Le train principal est enfin totalement sorti, puis c'est au tour de la roulette, tout ça en procédure secours. Nous pouvons alors rentrer le train avec l'hydraulique. Ouf !

C 135
C-135F, train principal

Ajoutons qu'ayant décollé en fin de matinée, nous avons dû déjeuner à bord avec un excellent repas type Air France, terminé par une mini bouteille de champagne. Évidemment, étant le dernier à venir déjeuner, la mienne avait "anormalement" disparu. Considérant que nulle chose ne pouvait quitter en vol un cargo hermétique, elle avait donc toutes les chances d'être retrouvée avant l'atterrissage. Ce qui fut fait et je n'ai pas cherché à savoir comment s'était opéré ce miracle. Le capitaine Burdin, quelque temps auparavant, dans les mêmes conditions de vol de contrôle Air France à Orly, n'eut pas cette "éventualité heureuse" avec son blouson de vol.

De tout cela, il ressort que l'on n'est à l'abri de rien, pas même de l'inconscience d'un individu qui, désireux de montrer à tout crin son savoir-faire, agit seul, sans ordre, ignorant sans doute qu'en équipage, toute manœuvre à bord est tributaire d'une check-list.

Enfin, une fois au sol, nous avons été très chaleureusement invités à venir déguster moult petits fours et boissons pour nous inciter à mentionner sur les formes un RAS salvateur pour le chef d'équipe Air France. Il n'en fut rien tant que P, CP, N et BO n'eurent point transcrit toutes leurs remarques sur les anomalies relevées en vol, anomalies qui nécessitèrent un retour de l'avion sous le hangar et quelques heures supplémentaires de travail pour les équipes d'Air France.

Quant à nous... et bien nous sommes rentrés à Istres de nuit ce qui n'était pas prévu. Qu'importe, le C- 135F n° 472 était en bon état et nos mécaniciens n'eurent pas à supporter quelques pannes issues d'une "grande révision", ce qui aurait constitué un comble.


André BOUCHER

Extrait de "ANFAS CONTACT" n° 83 de décembre 2013

Date de dernière mise à jour : 10/04/2020

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