Revanchard

Le ‘chasseur‘, qu’il soit ‘bombardier’ ou autre, est d’ordinaire mauvais perdant et assez rancunier. Ainsi, il cherche toujours à se venger, quitte à être un peu ‘voyou’ par moment…

Cela fait quelques mois que nous nous entraînons dans le nord de l’Italie. Cette région est très intéressante parce qu’elle nous est inconnue. De plus, c’est une bonne occasion pour parler anglais, même si le niveau de nos hôtes n’est pas bien meilleur que le nôtre. On mélange ainsi allègrement le français, l’anglais et l’italien pour essayer de se comprendre et les conversations radio sont souvent très comiques…

Pour éviter de demander un plan de vol international qui demande plusieurs jours de délai, nous adoptons souvent un profil de mission ‘tout en très basse altitude’, contournant ainsi un peu la réglementation, parce que notre hauteur de vol (500 pieds / sol) représente en réalité plus de 8.000 pieds d’altitude lorsque nous passons les Alpes… Les services de la navigation aérienne ne s’étant pas encore aperçu de cette ruse, nous en profitons pour y aller assez souvent, sans véritable autorisation internationale.

Donc, départ d’Istres, trajet côtier jusqu’à Monaco, un petit ‘coucou’ au Prince Rainier et au radar du Mont-Agel, remontée vers le nord dans les vallées des Alpes, ‘discret’ passage de la frontière et redescente dans la vallée de Cuneo. Au bout de quelques semaines, nous connaissons ce trajet par cœur.

À quelques occasions, certains clandestins de l’escadron, volant un peu trop haut, se sont faits repérer par les radars italiens et intercepter par les F 104 S de Villafranca, beaucoup plus rapides que nos Jaguar chargés en pétrole. Nous recevons ainsi assez régulièrement des images de ciné-mitrailleuse de nos avions, comme pour nous montrer que l’espace aérien italien est strictement imperméable…

Évidemment, certains cogitent pour trouver une manière de venger nos pertes ‘virtuelles’ et essayent diverses méthodes pour passer incognito.

Je suis équipier de Chokito ce jour-là. Il a envisagé de passer par le nord de Turin pour rejoindre le lac de Garde, tout en restant caché derrière le relief, afin de poursuivre ensuite dans le relief vers Venise et Trieste. Le tout, extrêmement bas...

La mission se passe sans encombre jusqu’au lac, où nous pouvons admirer les magnifiques bâtisses qui s’alignent le long de sa côte Sud. L’écoute de la fréquence internationale de secours reste muette, confirmant qu’aucun radar ne nous a détecté.

Non content de ce premier résultat, Chokito m’ordonne de changer de fréquence :

- On écoute 122.7 et je ne fais pas de ‘check’.

J’obéis mais, connaissant le ‘client’, je sens qu’il prépare quelque chose de ‘pas très catholique’. En effet, cette fréquence radio est celle du terrain de Villafranca, base aérienne située à environ 5 minutes de vol au sud-ouest de notre position…

Il ajoute « On se met en attente sur le lac. Surtout, ne monte pas ! »

Nous tournons en rond pendant un petit moment, cachés sous le relief de son bassin naturel, au ras des flots. Tout à coup, la radio se réveille. Nous entendons qu’une patrouille de deux F 104 demande l’alignement. Je commence à comprendre la ‘manip’... Immédiatement, Chokito m’annonce sur notre fréquence privée :

« C’est pour nous. Tu restes à ma droite. On va les cueillir à la sortie du nid… »

J’imagine déjà le tableau : les deux ‘pointus’ après décollage, en manœuvre de rassemblement, et deux Jaguar qui leur déboulent dessus comme des morts de faim… Je sens qu’on va bien rigoler.

Nous sautons rapidement le petit relief qui nous cachait et accélérons plein gaz vers Villafranca. Le seul petit problème, c’est que nous ne savons pas dans quel sens de la piste les F-104 vont décoller. Ce qui pourrait faire échouer notre interception. Chokito n’hésite pas une seule seconde :

« Villafranca, Villafranca! Chokito ‘one two three’ speaking. Buongiorno. What is the runway in use, please? »

Un peu pris à froid, le contrôle d’aérodrome répond, en nous passant la précieuse information. Je suis plié de rire.

Quel culot ! Mais ça marche…

Évidemment, c’est à l’opposé de ce que nous espérions. Il faudra donc repérer nos ‘lapins’ d’assez loin pour éviter de se retrouver d’une position de ‘chasseur’ à celle de ‘chassé’, parce que les F-104 accélèrent extrêmement vite. C’est terriblement excitant et, malgré qu’on ait le soleil de face, j’ai relevé ma visière fumée et j’ouvre les yeux autant que je peux.

Yessss ! Coup de chance, un éclat de soleil sur une verrière nous guide directement vers notre proie. Nous sommes plus bas qu’eux et il serait exceptionnel qu’ils nous voient. A quelques 4.000 m restants, Chokito m’annonce :

« Viseur ‘air-air’. Armes sur ‘sécurité’. J’arrose celui de gauche, tu prends l’autre ! »

J’ai le cœur à 200 à l’heure. Je jubile en remarquant que le ’mien’ est juste en train de rentrer son train d’atterrissage, ce qui indique que sa vitesse est encore relativement faible. Avec mes 550 nœuds (plus de 1.000 km/h), il va certainement me ‘sauter à la gueule’.

C’est vraiment injuste, mais tant pis pour eux !

Je l’aligne depuis 1.500 m, trois-quarts arrière, bien centré sur la croix du viseur. Je l’arrose (enfin, je le filme…), jusqu’à environ 200 m. Comme prévu, il grossit extrêmement vite dans ma glace avant… Je dégage par le dessus, d’assez près, en espérant qu’il recevra un peu du souffle de mes réacteurs au passage. Hé hé !

Nous repartons vers l’ouest, comme des voleurs, plein gaz et au raz des arbres. Dans 5 minutes, on attaquera la remontée des Alpes et on pourra crier victoire…

Chokito m’interpelle :

« Champy, on vire au nord-est et on repart sur le lac. »

Tiens, il semble que mon ‘leader’ ne soit pas encore rassasié ! C’est vrai que nous avons encore plein de carburant et tout le temps de rester chez nos amis transalpins.

« Oki ! »

Rebelote et dix de der ! Deux assassinats plus tard, nous rentrons enfin. À peine posés, nous courons à l’atelier photo pour faire développer nos films… Les images des F-104 dans un viseur de Jaguar font rapidement le tour de l’escadron et nous recevons de nombreuses félicitations, sauf celles du ‘drille’ (commandant d'escadrille) qui promet qu’il ne nous programmera plus jamais ensemble dans la même patrouille. Grrr.

En réalité, et sans l'avouer, notre 'drille' était assez fier de notre manœuvre, car il avait été le premier à se faire tirer par un F-104 italien…


Christian SEYSSET

Date de dernière mise à jour : 11/03/2022

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