Pont aérien de Berlin

24 juin 1948 - 12 mai 1949

Par Georges DROUAULT alias ʺLéonʺ, ancien mécanicien-navigant du GT 2/61 « Maine » et l’un des derniers vétérans du Pont aérien de Berlin, décédé le 25 novembre 2012

L'armistice du 8 mai 1945 marquant la fin des hostilités entre l'Allemagne et les pays alliés a entraîné le partage du pays en quatre zones d'occupation militaire. La partie ouest de l'Allemagne représentait la zone sous juridiction des trois pays alliés occidentaux et la partie est constituait la zone de l'Union Soviétique. 

Berlin, la capitale, située géographiquement très à l'est du pays, se trouva donc, suite à ce découpage, entièrement dans cette dernière zone. Cependant, après accord, un statut particulier est attribué à Berlin qui est ainsi divisée en quatre secteurs administrés en commun par les alliés.

Mais l'Union Soviétique garde comme but d'étendre sa sphère d'influence en profitant de sa juridiction sur la zone qu'elle administre alors que les trois autres alliés (États-Unis, Grande-Bretagne et France) sont enclins à faire adhérer de nouveau l'Allemagne aux principes fondamentaux de la démocratie et ainsi, à rejeter dans son ensemble la pensée nationale-socialiste.

Des opinions discordantes commencent à se manifester entre les deux blocs et, pour marquer sa réprobation envers les conceptions divergentes de la reconstruction économique de l'Allemagne, l'Union Soviétique quitte en mars 1948 le Conseil de Contrôle Interallié et, trois mois plus tard, la Kommandantur Interalliée.

D'autres divergences plus importantes se font jour - entre autres l'émission de deux monnaies parallèles - et, finalement, la tension entre les deux blocs allant crescendo, dans la nuit du 23 au 24 juin 1948, l'Union Soviétique, prétextant une panne, coupe l'électricité dans les trois zones ouest de Berlin ainsi que les voies de communication terrestres, ferroviaires et fluviales, livrant l'accès à ces zones. C'est le blocus de Berlin ouest que l'Union Soviétique vient ainsi de décréter.

Face à cette situation la riposte alliée ne se fait pas attendre. Elle est appuyée par l'appel angoissé du maire de Berlin, Ernst Reuter (non reconnu par les soviétiques), qui supplie les alliés de porter secours aux quelque deux millions de berlinois touchés par le blocus et menacés à plus ou moins brève échéance de famine si on ne réagit pas rapidement.

Les alliés ont donc immédiatement décidé d'assurer le ravitaillement des berlinois par voie aérienne, la seule possible en évitant ainsi un conflit ouvert avec les soviétiques. 

Un Pont aérien opérant sur trois corridors principaux a donc été mis en oeuvre et a commencé à fonctionner au bout de quelques jours.

Carte

À cette époque (juin 1948), les avions de transport militaire français étaient, dans leur grande majorité, occupés sur des Théâtres d'Opérations Extérieures (Indochine et Madagascar) et, de ce fait, n'ont participé au Pont aérien que dans une faible mesure comparativement aux moyens américains, mais ils y ont participé. 

Au départ de Berlin-Tempelhof, où les trimoteurs de mon groupe étaient basés, des Dakota puis des Ju-52 assuraient des rotations sur Baden-Baden et Bückeburg principalement.

Ainsi, décollages et atterrissages de nos avions, régulés par la tour de contrôle, s'effectuaient entre ceux des avions américains ce qui, parfois, a provoqué une gêne certaine dans le rythme soutenu par ces derniers. 

Tempelhof
Parking de Tempelhof, avant le blocus

En effet, les américains ont travaillé avec des C-47 Dakota, mais surtout des C-54 Skymaster (quadrimoteur dérivé du DC-4, dont la charge marchande était plus de trois fois supérieure à celle du bimoteur) à une cadence telle qu'un avion décollait ou atterrissait en un laps de temps souvent inférieur à une minute. Je l'ai moi-même visuellement constaté sur cet aéroport de Tempelhof où, au plus fort de la crise, le record (si l'on peut parler de record en la matière) a été de 1.398 vols enregistrés en 24 h. De ce fait, la participation française a été quelque peu éclipsée par les moyens colossaux mis en œuvre par les américains, ce qui explique que les médias de l'époque aient passé sous silence la contribution française au Pont aérien.

Approche

Finale 2

Finale
Avions en approche à Tempelhof

Il convient cependant de noter, qu'avec leurs faibles moyens, les avions français ont quand même assuré, en 2.470 h de vol, le transport de 850 t de fret mais aussi de 10.300 passagers parmi lesquels un certain nombre constituait des évacuations sanitaires de citoyens allemands dont l'état de santé, suite aux effets du blocus, nécessitait des soins appropriés en Allemagne de l'ouest.

Les équipages de nos avions se composaient d'un pilote-commandant de bord (parfois un deuxième pilote selon la nature des missions), un navigateur, un opérateur radio et un mécanicien-navigant. Les services au sol étaient chargés d'assurer la maintenance technique et opérationnelle des appareils. 

À l'époque j'avais 22 ans et appartenais à cette catégorie de personnels comme sous-officier mécanicien-avion assurant parfois, quand les besoins s'en faisaient sentir, des remplacements de mécanicien-navigant. Cependant les travaux de maintenance – réglage, mise au point, inspection ou révision des avions – ne manquaient pas et se déroulaient au rythme des heures de vol effectuées par les équipages.

Le groupe de transport auquel j'appartenais, équipé de Ju-52, était donc basé sur l'aéroport de Tempelhof où nous occupions, avec nos locaux techniques, une petite portion de la partie est du terrain. Nos voisins immédiats étaient les services techniques américains avec qui nous entretenions de cordiales relations. Nous prenions notre repas de midi à leur self et fréquentions leur magasin militaire où nous achetions whisky, cigarettes et autres chocolats, introuvables dans le commerce local et que nous faisions partager à nos logeurs et à quelques allemands de notre entourage privés depuis de longues années de toutes ces friandises.

Tout le personnel de mon groupe de transport habitait à Heiligensee, une charmante petite ville aux abords d'un lac et située dans la proche banlieue nord-ouest de Berlin en zone administrée par la France. Nous y avions notre mess et étions logés chez l'habitant. J'étais personnellement hébergé dans une villa de la Kirschallee par un couple dont le mari travaillait à la construction de la nouvelle piste de l'aérodrome voisin de Tegel.

Tous les jours nous faisions en bus le trajet Heiligensee - Tempelhof et retour en traversant Berlin. Unter den Linden, Postdamerplatz, Pariserplatz, Porte de Brandebourg sont des noms qui resteront gravés en ma mémoire en souvenir de cette douloureuse époque. Le mur de Berlin n'était pas encore érigé mais la frontière était bien gardée par des Vopos (police allemande sous tutelle soviétique) ou des gardes rouges. Notre chauffeur de bus, allemand, avait remarqué que si nous pouvions traverser un coin de la zone soviétique cela nous économiserait un certain trajet mais surtout au moins 15 à 20 mn de temps de voyage. Les russes, cependant compréhensifs sur ce point, nous laissèrent faire à condition toutefois de ne pas descendre du bus ni prendre de photos !

À l'occasion de ces trajets quotidiens en bus, au cours de l'été 1948, on pouvait observer les difficultés que devait éprouver le peuple allemand pour assurer sa subsistance. Ainsi, j'ai pu remarquer que de nombreux berlinois cultivaient dans les jardinières de leurs fenêtres d'appartement non pas des fleurs, mais des tomates qui leur permettaient d'améliorer agréablement leur menu. Un jour, du bus à bord duquel je me trouvais, j'ai vu un gamin qui, sans doute poussé par le manque de combustible pour son fourneau, remplissait un sac à provisions de briquettes de tourbe subtilisées à un camion-benne ouvert, mû par gazogène, qu'il suivait en courant à travers la circulation.

Ces quelques exemples, recueillis parmi beaucoup d'autres, montrent bien à quel point ce blocus a été durement ressenti par le peuple berlinois de l'ouest de la ville.

Quant au Pont aérien, il fonctionnait régulièrement et il n'y eut pas trop d'incidents de voisinage à signaler avec les soviétiques qui avaient réservé aux avions occidentaux des couloirs aériens desquels il était déconseillé de s'écarter sous peine d'être descendu sans autre sommation. 

Je me souviens que sur le trajet Bückeburg-Tempelhof, lorsque notre Ju-52 a atteint la zone soviétique, nous avons une fois été accompagnés par un Mig soviétique pendant quelques minutes, juste le temps qu'il lui a fallu pour vérifier notre cap à l'intérieur du couloir, puis un signe amical de la main du pilote russe et il s'éloigna à bâbord sans autre intervention.

Le trafic de Tempelhof prenant de jour en jour de l'ampleur, on fut amené à construire deux autres pistes parallèles à la première. Il en fut de même pour le terrain de Gatow également situé en secteur américain. Malgré ce triplement des pistes, on s'aperçut rapidement que le développement du trafic amènerait à brève échéance l'infrastructure aéroportuaire de ces deux terrains à saturation. L'ouverture pressante d'un troisième aéroport s'imposait.

Le terrain de Tegel, situé en zone française et le plus près de Berlin-Ouest après Tempelhof, offrait cette solution mais ne possédait qu'une piste relativement courte et de ce fait inadaptée au trafic des quadrimoteurs. Il fallait absolument et rapidement allonger cette piste pour absorber l'accroissement prévu du trafic. Sous l'impulsion du Gal Ganeval, commandant le secteur français de Berlin, les travaux de rallongement de cette piste ont pu commencer le 5 août 1948

Tegel

Tegel

Tapis
Construction de la piste de Tegel (Delcampe Net)

Étant donné l'urgence, de la main d’œuvre allemande (hommes et femmes) a été requise pour venir en aide aux spécialistes du génie militaire français ; un horaire continu jour et nuit a été organisé et les travaux furent terminés en trois mois. La piste portée à 2.400 m pouvait alors recevoir les quadrimoteurs et soulager le trafic de Tempelhof et Gatow qui commençaient à ressentir les effets de la saturation.

Cependant, au cours de ces travaux on s'aperçut que deux pylônes supportant les antennes des émetteurs communistes de "Radio-Berlin" (gérés par les soviétiques mais implantés en zone française) et situés dans le voisinage immédiat des couloirs d'arrivée sur Tegel, présentaient désormais un réel danger pour la sécurité des vols vu l'importance pressentie du trafic dès que les travaux auraient pris fin.

Il est apparu impératif de déplacer ou démonter ces pylônes avant que le terrain ne soit ouvert. Le Gal Ganeval en fit officiellement la demande aux autorités militaires russes qui observèrent un mutisme complet sur cette affaire même après plusieurs demandes réitérées de l'Autorité française.

Patient, mais au bout de trois mois excédé par cette attitude étant donné la situation, le Gal français décida de faire procéder à la destruction par explosifs de ces pylônes. La mission fut aussitôt confiée à un commando du génie français qui opéra de nuit.

Tegel
Dans le lointain, les antennes (ECPAD)

Tegel
Détail du pylône (ECPAD)

Tegel
Le pylône détruit (ECPAD)

Le lendemain matin, constatant le fait, le Général commandant la zone russe, furieux, appela le Général français au téléphone et lui demanda : 

- « Mais mon Général, comment avez-vous pu faire une chose pareille ? »
- « Mais tout simplement avec de la dynamite, mon Général ! »

répondit le Général Ganeval. Le commandant de la zone russe en resta coi et l'affaire, bien qu'ayant fait grand bruit (si j'ose dire !), en est restée là.

Mais ce petit coup de force a valu à son auteur, le général Ganeval, que, par la suite, un pont édifié sur la Spree soit baptisé de son nom par la municipalité de Berlin reconnaissante.

General ganeval br
General Ganeval Brücke

Le Pont aérien est opérationnel. Il aura permis d'atténuer, voire de déjouer les effets du blocus. Outre les denrées alimentaires de toutes natures, les marchandises les plus variées ont été transportées : ciment, bois de construction, matières énergétiques diverses (essence, fuel, gaz, charbon de la Ruhr, etc.). 

La population berlinoise a maintes fois exprimé aux alliés sa gratitude pour l'efficacité des actions qu'ils ont menées pendant cette période.

Ce revirement inattendu de la situation créée et voulue par les Russes a été vivement ressenti dans son orgueil par l'Union Soviétique et, à ce point, l'escalade étant difficilement concevable autrement que par l'emploi des armes – mais personne ne voulant en arriver là – l'étreinte russe s'est peu à peu relâchée au début de 1949 et le 12 mai de cette même année le blocus a été officiellement levé. Il aura en fait duré presque 11 mois. Cependant, de manière à constituer un stock de vivres et de combustibles de sécurité, le Pont aérien a perduré quelques mois pour s'arrêter définitivement en août 1949.

Modestement la France y participa avec les JU-52 Toucan du GT 2/61 "Maine" et les C-47 Dakota du GT 1/61 "Touraine". 

Nos avions du GMMTA effectueront 2.470 h de vol en 424 rotations entre Berlin et les zones d’occupation à l’ouest, transportant 1.0367 passagers et 856 tonnes de fret. Contribution modeste à comparer aux 2.109.236 tonnes de fret en 278.228 vols pour l’ensemble des avions alliés ! … 


Georges DROUAULT

Extrait du "Recueil de l’ADRAR" Tome 2​

 

Commentaires du colonel Roger Degen, qui a d'abord participé au Pont aérien en tant que navigateur, puis a commandé la Base aérienne 165 de Berlin-Tegel de 1967 à 1969

Participation de la France au Pont aérien de Berlin.

Lorsque les Soviétiques bloquent, le 24 juin 1948, tous les accès terrestres qui mènent à Berlin, la France se relève difficilement des ruines accumulées durant la guerre. Les moyens de transport aériens sont très limités : ils comportent essentiellement des Toucan, appellation française du Junkers 52 (Ju-52) utilisé par les Allemands pendant la guerre 39 - 45.

À ces Toucan, répartis en 4 Groupes de transport, s'ajoutent 2 Groupes de C-47 Dakota ; la moitié ou presque de cette flotte est en Indochine où nous sommes en guerre depuis le 19 décembre 1946.

Avant le début du Pont aérien, 4 Toucan sont mis à disposition pour le Gouverneur militaire du Secteur français de Berlin, à compter du 4 avril 1948 sur la base de Tempelhof. Ils assurent essentiellement les missions entre Berlin et les zones d'occupation de l'ouest de l'Allemagne.

C'est la décision, le 24 juin 1948, d'appliquer aux secteurs occidentaux de Berlin la réforme monétaire, instaurée dans les zones d'occupation de l'Allemagne de l'ouest, qui servira de prétexte aux Soviétiques pour faire, le même jour, le blocus de Berlin.

Réaction le 26 juin 1948 du général Clay, commandant les forces du Secteur américain de Berlin :

- "Berlin sera ravitaillé par voie aérienne"

Mais au moment où le Pont est décidé par les Américains, la situation change : c'est une situation de crise.

Il faudrait des moyens plus performants que le Ju-52. En effet, pour le bon écoulement du trafic aérien dans les corridors d'accès à Berlin, les Ju-52 sont moins rapides que les C-47 et les C-54 Skymaster quadrimoteurs.

Dépourvus de moyens de radio-navigation fiables, ils ne vont pas tarder à poser des problèmes aux autorités américaines chargées du contrôle aérien dans les corridors et la zone contrôlée de Berlin.

Admis avec réticence, ils continueront cependant d'accomplir leurs missions jusqu'à ce jour de juillet 1948 où il fait un temps épouvantable et un équipage se trouve en panne de radio-compas avec une liaison air-sol défectueuse. Le centre de contrôle de Berlin donne alors l'ordre à tous les autres avions de quitter la zone et de retourner sur leur base de départ pour permettre au Ju-52 de se poser avec assistance GCA (radar d'atterrissage) à Tempelhof.

Après cet incident, un détachement de 3 C-47 Dakota du GT 1/61 "Touraine" remplacera à Tempelhof les Ju-52 et restera jusqu'au 19 novembre 1948.

Les Ju-52 et les Dakota auront effectué 2.470 h de vol en 424 rotations entre Berlin et les zones d'occupation à l'ouest, et transporté 10.367 passagers ainsi que 856 t de fret.

Tout ce qui a été transporté, c'est autant que les avions américains et britanniques n'ont pas eu à prendre en charge. De même, c'était autant de ravitaillement pour la population berlinoise.

Navigateur à l'époque, je suis arrivé à Berlin le 24 septembre 1948, en volant tous les jours ou presque, jusqu'au 28 octobre 1948. En moins de 5 semaines, je totaliserai 112 h 40 de vol sur des rotations entre Berlin-Buckenburg en zone britannique et Berlin-Baden-Oos en zone française.

Le jour même de mon arrivée, j'ai été particulièrement impressionné par :

- l'approche finale à hauteur des toits entre deux rangées d'immeubles qui portaient encore les traces des derniers combats de la guerre,
- la densité du trafic, les avions se succédant toutes les minutes à l'atterrissage : un avion dégageant la piste d'envol après atterrissage, un avion à mi-piste au décollage, un avion en début de piste prêt à décoller et un autre avion en approche finale !
- la longue file de C-54 quadrimoteurs à la queue-leu-leu sur le taxiway.

Pour accéder à Berlin et en repartir, il fallait impérativement rester à l'intérieur des corridors aériens de 20 miles nautiques (38 km) de large.

Par beau temps, pas de problème, il y a des cartes topographiques pour se repérer.

Par mauvais temps, il en va autrement. Les aides à la navigation n'existent que dans la zone contrôlée de Berlin-ouest et à l'entrée du couloir sud, par le radiophare (radio-range) de Fulda, dont la branche nord-ouest matérialise l'axe du corridor.

Par beau temps, il arrive parfois de voir des chasseurs russes (Yak) qui effectuent des vols d'intimidation aux abords des corridors aérien. Un jour, nous étions sans doute trop en bordure de ces corridors, j'ai pu voir un Mig-15, étrange avion à réaction aux allures de tonneau volant.

Les équipages sont logés dans de confortables villas en bordure de la forêt de Tegel pour les officiers, dans des appartements à Heiligensee pour les sous-officiers. La villa, que je partageais avec mes camarades, avait appartenu à un haut dignitaire SS. Le personnel de service, essentiellement féminin, dépendait du service du logement du Gouvernement militaire du Secteur français de Berlin. Pour les repas du soir, nous allions au Club Mess officiers "Bir-Hakeim" en bordure du lac de Tegel.

Étant donnée notre absence due aux missions, nous n'avions pratiquement que peu de contact avec la population berlinoise. Exception faite pour les sous-officiers qui, eux, logeaient chez l'habitant.

Le transport était assuré par des Volkswagen, sujet d'étonnement pour nous qui la voyions pour la première fois. Elles nous emmenaient, soit aux aérodromes de Tempelhof ou de Gatow, selon nos destinations.

En dehors de la participation, plutôt modeste, du transport aérien français, eu égard aux énormes moyens aériens et logistiques mis en œuvre par les États-Unis et la Grande-Bretagne, il faut mentionner la performance des services du Génie du secteur français de Berlin qui, en 90 jours seulement, ont construit à Tegel la piste de 2.000 m sur l'ancien terrain d'exercice des chars allemands, proche de l'État-major des unités blindées SS.

Cette performance a été rendue possible par la présence de 19.000 ouvriers allemands, dont 40 % étaient des femmes, travaillant sans relâche, jour et nuit.

Mais l'utilisation, à compter du 5 novembre 1948 de ce troisième aérodrome, dont la piste était nettement plus longue que celles de Tempelhof et de Gatow, ne pouvait être pleinement opérationnelle sans la destruction de pylônes, hauts de 80 et 120 m, d'une station radio soviétique, et situées sur l'emprise du nouvel aérodrome.

Cette opération de destruction des antennes a été déclenchée le 15 décembre 1948 par le Général Ganeval, commandant le Secteur français de Berlin, après avoir adressé 3 lettres à son homologue soviétique, le Général Koltitsof, lui demandant le retrait de ces antennes. Mais les 3 lettres étant restées sans réponse, il décida l'opération lui-même.

Tous les détails concernant cette affaire m'ont été donnés par un ancien camarade du Lycée Victor Hugo de Besançon, en classe de préparation à Saint-Cyr en 1942, et que j'ai retrouvé au Mess-Club "Bir-Hakeim" en octobre 1948. Lieutenant, il était alors aide de camp du général Ganeval, qu'il avait connu au camp de Büchenwald en 1944 !

Le retentissement de cette opération auprès de la population berlinoise fut considérable. La destruction des antennes de la radio soviétique était le symbole d'un premier coup porté à l'occupant soviétique qui, avec ses affidés, les autorités de la République démocratique allemande (RDA) voulaient, par le blocus, mettre la main sur la ville.

Il faut reconnaître que l'opération était à haut risque et que le Général Ganeval s'est montré très courageux.

De septembre 1967 à septembre 1969, commandant de la base de Tegel aux côtés de mes homologues de Tempelhof et de Gatow, j'ai pu, invité par le Sénat de Berlin, assister aux cérémonies anniversaires de la levée du Blocus (12 mai 1949).

Par la suite, toujours invité par le Sénat de Berlin, je suis revenu à plusieurs reprises avec mon épouse, et notamment en mai 1984, à l'occasion de la célébration du 35ème anniversaire.

Ce n'est qu'en 1992, que j'ai eu connaissance de la Fondation du Pont aérien, Luftbrückendank Stiftung, et de son directeur M. Heinz Gerd Reese par l'intermédiaire de l'ANTAM (Association nationale du Transport aérien militaire) basée sur l'aérodrome de Vélizy-Villacoublay.

Responsable des vétérans français pour les fêtes commémoratives du cinquantenaire du début et de la fin du blocus, j'ai été le correspondant de M. Reese pour tout ce qui touchait aux préparatifs des célébrations et, grâce à lui, avec une délégation des anciens du Pont, j'ai pu assister aux diverses manifestations grandioses organisées pour les cinquantenaires du début et de la fin du Pont aérien.

Que ce soit lors de la remise du prix Eric Warburg aux représentants des vétérans alliés du Pont, ou lors de la grande parade militaire donnée à Tempelhof en leur honneur, la France a toujours été honorée au même titre que les pays qui avaient plus grandement contribué au sauvetage de la population berlinoise.

Je voudrais signaler en particulier, lors de la grande parade militaire Zapfenstreich que, sur l'estrade réservée aux vétérans du Pont et placée devant les représentants des gouvernements alliés et une dizaine de milliers de Berlinois, le représentant des vétérans français a été surpris de se trouver à la place d'honneur entre M. Rühe, ministre allemand de la défense et M. Diepgen, maire gouverneur de Berlin.

Il y avait là une attention toute particulière qui traduisait les sentiments d'amitié qui lient la RFA et la France, et en particulier ceux d'une population berlinoise chaleureuse.

Roger DEGEN

Date de dernière mise à jour : 13/04/2020

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