Perte du chef ? Non, simplement un oubli …!

Il ne fait pas spécialement beau ce lundi matin. Une épaisse couche de nuages recouvre la Provence et je me dis en me dirigeant vers la base que les vols ne vont pas être très sympas aujourd’hui.

Arrivé en salle d’OPS, la première activité de tout pilote, c’est d’aller consulter les ‘ordres’, ce grand tableau où le commandant d’escadrille positionne les plaquettes nominatives de chaque pilote en face d’un horaire donné, tout en décrivant la nature de la mission prévue pour chacun.

Je suis prévu pour la fin de matinée, en n° 2 du nouveau chef d’escadron (que j’appellerai Schwartzy par la suite). Il s’agit d’aller faire un appui feu (travail aérien en liaison avec l’armée de terre) sur le Camp des Garrigues, situé entre Nîmes et Uzès. La zone de travail est très proche et le contenu de la mission relativement simple pour moi. Il s’agit de suivre mon leader ‘à imitation’ qui va prononcer des attaques fictives à vue sur des camions. Le but est d’entraîner les guideurs au sol à apprendre leur travail.

Nous traînons un peu au café de l'escadron. J’y apprends que Schwartzy, un géant avec des mains immenses, a fait toute sa carrière dans la défense aérienne. Il a choisi de venir dans le sud de la France par affinité avec la région, quitte à voler maintenant sur ‘bombeur’, soit un Jaguar qu'il connait très peu.

Vers 10h30, nous décollons. Je rassemble Schwartzy sous la couche nuageuse. Nous prenons un cap 270°, vers le point ‘Bravo’, sur le Rhône, au sud d’Arles, puis un cap 290° vers Lunel, en passant juste à côté des grands étangs camarguais. Au passage, je vois un magnifique vol de flamants roses prendre leur envol. C'est absolument magnifique. Je ferais ce trajet les yeux fermés tellement je le connais par cœur. Notre zone de travail se trouve maintenant juste au nord de l’autoroute, sur un plateau très aride.

Le temps n’est décidément pas terrible… le plafond nuageux est à environ 200 m d’altitude, et la visibilité est par moment inférieure à 6 km.

Bon, ce n’est pas grave, on connaît la région par cœur et si la météo se dégrade trop, on rentrera gentiment à la base. On ne va pas non plus prendre des risques pour des ‘biffins’ (nom d’oiseau des personnels de l’armée de terre).

Nous commençons à prononcer nos attaques pour faire travailler les guideurs au sol. Tout se passe très bien jusqu’à ce que, soudain, deux Mirage F1 nous passent littéralement sous les moustaches, en plein milieu d’une zone, non seulement réservée pour nos activités mais, en plus, interdite de survol le reste du temps. Schwartzy ne peut pas retenir ses instincts de chasseur. Il m’annonce : « Plein gaz, on les course et on les 'membre'. Je veux savoir qui c’est ! »

Et ben... c’est parti pour la course à l’échalote !

Les deux Mirage se dirigent vers le nord de Sète, au raz des barbules, à vitesse de croisière (850 km/h). Nous les rattrapons assez aisément et sommes sur le point de les rejoindre lorsque les deux fugitifs cabrent d’un seul coup vers les nuages. Ils ont dû nous voir et croient à une interception ‘sauvage’. La pire des insultes pour un Mirage F1 (chasseur pur) étant de se faire rejoindre et tirer par un Jaguar (camion à bombes), je comprends bien leur réaction, LOL…

Ils traversent la couche nuageuse. Nous les suivons, environ 3 km derrière. La couche est peu épaisse mais totalement uniforme. Une fois au-dessus du coton, nos deux « targets » filent tout droit, plein gaz. Il est inutile qu’on essaye de les rejoindre car, sans bidons, ils sont bien plus rapides que nous.

La mort dans l’âme, Schwartzy ordonne demi-tour pour revenir vers notre zone de travail initiale.

Dans les trois minutes qui suivent, nos amis (Mirage) reviennent vers nous, visiblement bien décidés à se venger. Nous les apercevons au loin, en train de remonter au ras de la couche. Vu la différence de vitesse, notre unique chance de survie (virtuelle) est de repasser sous la couche nuageuse, afin qu’ils nous perdent de vue. Schwartzy n’hésite pas une seconde. Il plonge dans le coton en m’ordonnant de le suivre.

Moi, je n’ose pas… parce que nous sommes déjà très bas et je ne suis pas du tout sûr de notre position. La région étant relativement montagneuse dans ce coin, il serait stupide de descendre dans la couche pour finir planté dans une colline. Tant pis, je me ferai sûrement réprimander, mais je reste au-dessus de la couche et j’aurais certainement l’occasion d'aligner un F1 en  balade un autre jour...

Schwartzy a plongé sous la couche et je ne le vois plus. Je l'appelle à la radio pour lui indiquer mon option. Pas de réponse. Je recommence sur la fréquence secondaire. Pas de réponse. Sur la fréquence de détresse. Toujours rien ! Je commence à m’inquiéter. Où est-il ? Pourquoi ne répond-il pas ?

Après plusieurs essais infructueux, je suis très inquiet et décide de rentrer seul à la base, au-dessus de la couche.

Je me pose. N’ayant eu aucune nouvelle de mon leader par le radar, je cours au OPS pour avertir le ‘drille’.

Grande effervescence dans la salle d'OPS. Les services de surveillance de l’espace aérien ont averti qu’un observateur avait vu un avion se crasher du coté de Montpellier.

Je tressaille. Non ! C’est pas possible ! Schwartzy est un vieux guerrier…J’explique le coup à Jamy, avec le plus de détails que je peux, en retenant des larmes de rage.

Le temps passe, les coups de téléphone s’enchaînent mais nous n’avons aucune autre information. Personne n’ose le dire, mais tous les éléments portent à croire que Schwartzy s’est planté…

Je raconte pour la énième fois notre mission au commandant en second.

Un profond silence s’installe aux OPS, juste brouillé par le crépitement de l’imprimante de la messagerie codée.

30 minutes plus tard et un cendrier rempli à ras bord, le téléphone sonne. Jamy se jette dessus. Il se tourne vers le mur arrière, pour éviter qu’on ne voie son visage. Ça dure une éternité… Jamy chuchote dans le combiné… Il raccroche enfin, puis se tourne vers l’assistance, le visage fendu par un immense sourire :

« Ce 'con' s’est posé à Orange en panne radio il y a une heure. Il a retrouvé un pote de promo sur le parking, est allé boire un pot avec lui, et a tout simplement oublié de nous prévenir ! »

Au bilan, les F1 ont poursuivi Schwartzy sous la couche (c’est vrai que je les ai rapidement perdu de vue, ces deux-là). Celui-ci, en bricolant ses postes radio, les a bêtement coupés, mais il ne s’en est pas aperçu et s’est simplement cru en panne radio totale. Pris par le jeu, il a entraîné ses poursuivants au fond des vallées pour leur faire visiter le sud du Massif central et les reliefs de l’Ardèche, puis, à court de carburant, il a préféré se poser à Orange, base qu'il connaissait très bien…

Le bougre qui avait soi-disant vu un avion se crasher est un malade mental, qui a pris un feu de broussailles pour un crash d'avion…

Pffff… Je n'en ai pas dormi pendant 2 jours ! Pitin de métier !


Christian SEYSSET

Date de dernière mise à jour : 11/03/2022

Commentaires

  • Frédéric Goudon
    • 1. Frédéric Goudon Le 10/12/2021
    Pas de contact du contrôle au sol pour savoir d'où viennent les F1 ?

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