La perte du C-135 n° 473

Le 30 juin 1972 : journée tragique qui restera dans la mémoire des équipages et des mécaniciens du détachement C-135F à Hao, atoll du Pacifique à 900 km à l'est de Tahiti.

Carte polyne sie

La piste, la zone technique et la zone vie se trouvaient près du village tahitien Otepa, au nord-est de l'atoll.

Carte hao

Hao 4

Parking hao 2

Hao 5
La zone technique

Piste Hao
La piste

Le détachement de C-135F à Hao avait été mis en place le 3 juin par les FAS au profit du CEP (Centre d'Expérimentation du Pacifique) pour effectuer des relevés météos avant le tir d'armes nucléaires atmosphérique et pour localiser le nuage radioactif après le tir. (2) et (3)

Chef de détachement je suis arrivé à Papeete en DC-8 le 2 juin 1972 avec le Lt Guy Batailley, officier chef des mécaniciens. Nous fûmes reçus par l'Amiral Laure, commandant le CEP, qui nous donna les consignes générales. Les C-135F du "Landes" et de l' "Aunis" arrivèrent à Hao quelques jours plus tard.

Le Gal Jacques Mitterrand, commandant les FAS, venu avec le 473 à Hao, resta quelques jours parmi nous pour assister à la mise en place du détachement.

Deux tirs sous ballon furent effectués à Mururoa pendant le détachement (4) :

Tir umbriel
Le 25 juin 1972 à 19 h TU : tir "Umbriel"

Titania
Le 30 juin 1972 à 18 h 30 TU (8 h 30 locales) : tir "Titania

NOTA : heure locale Hao = heure TU - 10 = heure locale été France - 12

Composition du détachement :

Le détachement comprenait, outre le chef de détachement et l'officier mécanicien) :

- Deux C-135F :
- le n° 471 F-UKCB de l'ERV 4/93 “Aunis” (Istres)
- le n° 473 F-UKCD de l'ERV 4/91 “Landes” (Mont-de-Marsan.)

- 4 équipages :
- 2 de l'ERV 4/91 "Landes",
- 2 de l'ERV 4/93 "Aunis"
et 14 mécaniciens des ERV et du Germas (1).

L'activité quotidienne normale était de deux vols météo, souvent de nuit, d'une durée de 4 à 7 h 30 sur un itinéraire fixé par l'EM du Groupement opérationnel des Expérimentations Nucléaires au Pacifique.

Deux spécialistes météo étaient embarqués pour effectuer les relevés météo et parfois un spécialiste nucléaire avec son matériel spécialisé pour les prélèvements d'air, en vue d'analyse radiologique.

En dehors des vols et des briefings journaliers, les personnels s'occupaient, en fonction de leur disponibilité et de leur goût, à des activités sportives sur le lagon (voile, pêche sous-marine, natation, ... ), à des visites de l'atoll et du village tahitien Otépa. Loin de chez nous, sans les soucis familiaux et à l'écart de toute agitation parasite, nous étions tous très proches les uns des autres. Des groupes de camaraderie s'étaient formés en fonction des activités.

Les équipages étaient logés en zone vie, dans le prolongement immédiat de la piste 12, dans des bungalows insonorisés et climatisés afin de pouvoir récupérer des vols de nuit.

La routine fut parfois perturbée par des vents violents (poussières de corail et embruns marins) qui balayaient l'atoll, ce qui modifiait nos prévisions d'activités.

Quelques jours avant l'accident, nous eûmes la visite du général Gauthier, CEMAA, en visite d'inspection sur l'atoll. Il se fit présenter le détachement des C-135F.

Inspection cemaa
Le général Gauthier se faisant présenter l'équipage. 
De G à D : Cdt Brunet, cdt d'escadron, Gal Gauthier, Cdt Dugué, Lt Frugier, Cne Parage, Adc Hecq.
 

Activités des 29 et 30 juin

Faute de pouvoir consulter le cahier d'ordres, les heures indiquées ont été relevées à partir des carnets de vol. Il peut y avoir quelques erreurs.

Tableau missions

Journée du 29 juin

- Atterrissage vers 4 h 30 du 473 retour d'une mission météo de nuit de 7 h 40. Équipage Jacquot. RAS, l'équipage ne signale aucun ennui mécanique.
- Décollage vers 14 h du 471 pour une mission météo de 6 heures 30. Équipage Brunet.
- Décollage vers 22 h du 471 pour une mission météo de 6 h 25. Équipage Mandon.

Le jour du tir approchant, il y eut l'après-midi un briefing général plus particulièrement important et précis concernant les missions à venir, avec rappel des consignes de sécurité par l'officier de sécurité des vols Bernard Jacquot. Compte tenu de la nature de ces missions, j'avais interdit l'embarquement de personnel non absolument nécessaire.

Journée du 30 juin

Atterrissage vers 04 h 30 le matin du 471 (équipage de Mandon qui avait pris l'avion de l'Aunis à la place du 473 en raison d'un ennui technique), retour d'une mission météo de nuit de 6 h 25.

L'équipage Mandon croise sur le parking l'équipage de Dugué qui se prépare à décoller sur le 473 réparé pour une mission programmée pour un décollage à 5 h 10 du matin le 30 juin.

Équipage :
- Cdt Dugué 1er pilote Cdt d'avion,
- Lt Frugier copilote,
- Cne Parage Navigateur,
- Adc Hecq Opérateur Ravitailleur en Vol

et les spécialistes météo : Adc Langlais et le PM Saucillon.

Les équipages au repos se trouvaient alors dans la zone vie dans leur chambre.

Nous entendîmes le 473 décoller peu après 5 h et nous survoler avec un bruit qui nous parut anormal. Le suivant des yeux dans la nuit, nous le vîmes passer en vent arrière, et rester anormalement bas. Le son des réacteurs était anormal. Des étincelles s'échappaient de plusieurs réacteurs.

Nous comprimes de suite que le 473 avait de sérieux ennuis réacteurs ; je me rendis de suite à la tour de contrôle.

Décollage vers 7 h, deux heures après l'accident sur ordre, du 471 pour une mission de radiométrie de 3 h 30. Équipage Dupont, Rouffiac.

L'accident

Comprenant la gravité des ennuis du 473, je prévins le Lt Batailley, officier mécanicien et nous primes aussitôt la Méhari pour aller à la tour, à l'autre extrémité de la piste, près de la zone technique. Nous y retrouvâmes l'équipe des mécaniciens de piste.

Je vis le C-135 passer anormalement bas derrière le hangar. Je ne le vis pas réapparaître. Il était évident qu'il s'était abimé dans l'océan.

Le personnel de la tour confirma le crash dans l'océan, au large de la passe Kaki.

Hao circuit 473

Nous écoutâmes la bande d'enregistrement de la conversation avion-tour de contrôle. Les dialogues sont très succincts et de mauvaise qualité. Ils font état de sérieux problèmes réacteurs, d'un manque de puissance. Le pilote fait part de son intention de se reposer au plus vite après avoir vidangé le maximum de pétrole.

L'avion avait décollé avec un plein de pétrole conséquent qui tenait compte de la longueur de piste et de la température ambiante.

Nul besoin de décrire le désarroi des personnels du détachement. Désarroi décuplé par le fait que nous venions de passer 3 semaines tous très proches les uns des autres. Nous étions isolés, à l'autre bout du monde, sans beaucoup de soutien moral …

Je me souviens d'un Capitaine de vaisseau qui s'était mis en grande tenue, avec son sabre, pour nous saluer et nous témoigner sa sympathie attristée. Il nous apporta un grand réconfort dont nous avions bien besoin. Il nous accompagna une bonne partie de la nuit.

Solidarité entre PN de l'Armée de l'air et de la Marine. Merci Commandant, dont je ne me souviens plus du nom.

Dès la disparition de l'avion dans l'océan, des recherches furent effectuées avec tous les moyens disponibles : bateaux, avions et hélicoptères.

Seuls quelques objets légers, sièges, réservoirs d'oxygène … furent récupérés, témoignant de la violence de l'impact.

Après plusieurs jours de recherche, il devint rapidement évident que les recherches avaient peu de chance d'aboutir.

Dans le même temps il fallait effectuer les formalités à partir de la base d'Hao vers le CEP et le commandement des FAS en métropole. Le Cdt de la base et les Opérations base mirent tous leurs moyens à notre disposition.

Un autre souci fut de prévenir nos familles, au courant le jour même de l'accident par les médias, mais dans l'ignorance de l'identité des victimes …

Nous n'avions ni portables, ni Internet à l'époque.

La suite

Le C-135 n° 471 fut programmé sur ordre de l'EM pour effectuer une mission Soubise jaune, décollage à 17 h 20, le 30 juin (9 h après le tir Titania). La mission fut ordonnée compte tenu du tir, malgré les questions que l'on pouvait se poser sur les causes de l'accident du 473.

Les bruits les plus divers commençaient à circuler, dont la possibilité d'un sabotage.

J'effectuais cette mission avec le Cne Jacquot, pilote officier de sécurité des vols, et le Cne Saint-Paul navigateur après une inspection rigoureuse des réacteurs, de la cellule et après avoir effectué des points fixes de contrôle.

Le décollage se fit à 17 h 20 (le 30 juin), et la mission exécutée sans ennuis mécaniques.

Une cérémonie fut organisée sur l'atoll le 1er juillet dans la matinée : cérémonie militaire sur la place d'armes, honneurs rendus par la Légion étrangère, et messe dans la chapelle de la Base aérienne.

Haoprisedarmes

Messe

Je fus convoqué les 5 et 6 juillet à l'EM du CEP à Papeete où je me rendis avec le Lt Dupont, pour rendre compte des événements et envisager la suite du détachement.

Je fus rapatrié en France le 12 juillet en DC-8 avec les familles des deux spécialistes météo.

L'enquête

Les causes des ennuis réacteurs du 473 ne fut découvertes que plus tard.

En effet, le 471 prévu pour une mission le 2 juillet à 21 heures présenta de telles anomalies sur 2 réacteurs à la mise en route (surchauffe et flammes à la mise en route, ennuis des bleed valves) qu'il fut dans l'impossibilité de décoller.

En raison de l'impossibilité de remédier à ce dysfonctionnement, je prévins les FAS qu'il fallait envisager de changer les réacteurs.

La commission d'enquête (colonel Buissiere, commandant Woiline) arriva le 3 juillet.

Des tentatives de mise en route furent à nouveau effectuées. Les mêmes incidents se reproduisirent.

La nécessité de remplacer les 4 réacteurs par 4 réacteurs neufs à faire venir de France afin de ramener ce C-135F en métropole fut confirmée par les investigations effectuées dans les ateliers de l'industriel.

L'expertise des réacteurs défectueux du 471 effectuée par Air France dans ses ateliers révéla en effet une corrosion importante des ailettes des compresseurs et de certains orifices de prises de pression alimentant le FCU (Fuel Control Unit) par des particules salines et de la poussière de corail et des dysfonctionnements de bleed-valves (bloquées).

Ces anomalies expliquent la détérioration sérieuse des performances des réacteurs ayant causé les ennuis du 473.

Mesures prises : lessivage réacteurs systématique après exposition à atmosphère saline (5).


Claude BRUNET

(1) Composition du détachement :
- Chef de détachement : Cdt Claude Brunet.
- Officier mécanicien : Lt Guy Batailley.

Équipages :

- ERV 4/93 "Aunis" :

- Cdt Georges Dugué (P), Lt Serge Frugier (P), Cne Hubert Parage (N), Adc Albert Hecq (ORV).
- Cne Bernard Jacquot (P), Lt Jean-Claude Dupont (P), Cne Roger Saint-Paul (N), Adj Courty (ORV).

- ERV 4/91 "Landes" :

- Mandon (P), Buzy (P), Delgove (N), Desblache (ORV).
- Grosjean (P), Rouffiac (P) Gastes (N), ??? (ORV).

Mécaniciens :

14 mécaniciens des 3 ERV et du Germas :
- Adt Roig Henri
- Adj Di Fiore Salvatore
- Adj Mazade Jacques
- Adj Korozian Jacques
- Adj Vitale Joseph
- Sgc Dumas René
- Sgc Combes Daniel
- Sgc Lafon Pierre
- Sgc Courgeau Laurent
- Sgc Murgier Yves
- Sgt Charreton Bernard
- Sgt Cuillier Alain
- Sgt Lapp Christian
- Sgt Méléard Alain
- Sgt Tadrowsky Patrick

Lettres de félicitations

Felicitations

(2)
Choix du type d'avion : le C-135 F

Afin de n'effectuer le tir que s'il ne présentait aucun risque de retombées radioactives sur des zones habitées, le commandement devait nécessairement confirmer les prévisions météorologiques par des observations réelles à différentes altitudes.
Le C-135F, ravitailleur appartenant au commandement des FAS, était tout à fait adapté aux missions météo avant le tir d'armes nucléaires aériennes. Le C-135F était en effet équipé pour mesurer la vitesse et la direction des vents jusqu'à 30.000 pieds. Il disposait d'un radar Doppler APN-147, d'un radar de navigation APN-59 et d'un calculateur de navigation précis ASN-7. L'autonomie du C-135F lui permet de couvrir une zone étendue et d'effectuer des missions longues (7 à 8 h).

(3) Prélèvements radiologiques
Après les tirs, un opérateur radiologique était parfois embarqué afin de préciser le contour du nuage radioactif. Le C-135F ne pénétrait jamais dans le nuage (c'était le job des Vautour spécialement adaptés). Le C-135F se dirigeait vers le nuage et faisait demi-tour dès le premier crépitement du radiomètre. Plusieurs manœuvres successives permettaient de déterminer les limites du nuage à un temps "t" et son déplacement éventuel. L'opérateur disposait d'un équipement mesurant la radioactivité de l'air extérieur (l'air extérieur était prélevé par une sonde passant par l'orifice du sextant).

(4) Sources
Document du ministère de la Défense (détails des deux tirs en pages 28 et 29) :
http://hao.escadron.loire.free.fr/les_41_essais_nucleaires_aeriens_41essais.pdf​

(5) La corrosion interne des moteurs ayant été incriminée, tous les appareils en mission extérieure, évoluant de près ou de loin en atmosphère saline et conditions extrêmes, furent soumis à de nouvelles normes d’entretien et en particulier au "lessivage" fréquent des 4 GTR.
Cette procédure consistait à "laver" l’intérieur des réacteurs à l’aide d’une solution d’eau déminéralisée et de produit ARDROX, injectés dans la veine d’air moteur BP et HP.
Les moteurs étaient en configuration "lessivage" et les mécanos les équipaient, à tour de rôle, d’une couronne d’injecteurs, reliée à un réservoir motopompe rempli du mélange nettoyant. 
Lorsque le moteur était en "ventilation 15 %", on injectait le mélange sous pression pendant 3 mn en vérifiant par la sortie tuyère le trajet complet du liquide.
Tous les 4 moteurs subissaient le même sort. Ils étaient ensuite remis en configuration normale.
On effectuait alors un point fixe de séchage au ralenti sol (58 à 65 %) pendant quelques minutes. Lors de l’ouverture des "bleeds", une colonne d’eau était éjectée de chaque moteur, confirmant le séchage parfait de la veine d’air.
Chaque moteur était ensuite poussé à 75 % pendant 15 secondes puis coupé. Dès l’extinction du réacteur un mécano injectait encore dans chaque entrée d’air un nouveau produit ARDROX contenu dans un bidon pulvérisateur sous-pression. Ce produit de consistance huileuse se déposait sur les ailettes "entrée d’air - compresseur - turbine" évitant ainsi les dépôts de sel et de poussière pouvant influer sur les paramètres moteur.

Date de dernière mise à jour : 24/04/2020

Commentaires

  • Saucillon Hervé
    • 1. Saucillon Hervé Le 31/01/2024
    fafapiti2004@yahoo.fr
  • Saucillon Hervé
    • 2. Saucillon Hervé Le 31/01/2024
    Bonjour à tous,
    Merci à M. Gila pour son intervention. Si ce dernier peut me contacter je serai ravi d'échanger avec lui.
    Ce message est une bouteille à la mer, en espérant qu'elle arrive à bon port.
    Merci à tous, RV
  • Orang Gila
    • 3. Orang Gila Le 27/07/2023
    Bonjour tout le monde

    J'étais là ce matin quand ce KC135 s'est crashé ... Je dormais à l'"ESCALE" , donc au début de la piste.
    À chaque décollage du KC135 on était réveillés par le bruit ahurissant des 4 réacteurs sans silencieux.
    Plusieurs explosions ont eu lieu. Au moins trois.
    Que dire des conclusions du crash ? Ce n'est pas possible de dire que la corrosion saline est la source du problème. Sur un réacteur oui, mais pas sur 3, car si le KC135 s'est crashé après avoir vidé ses réservoirs, c'est parce qu'il a fini en finale avec un réacteur au large de la passe Kaki (200 m du bord, 2000 m de profondeur).
    De plus cet avion était basé à Istres, au bord de la mer Méditerranée qui est plus salée que le Pacifique.
    Par contre la vraie raison du crash .... c'est une erreur du pompiste. En temps normal, hors période de tir, et le plus souvent, c'étaient des DC6 qui faisaient les rotations journalières entre Papeete et Hao.
    Pour les pompistes, faire le plein d'un KC135 ou d'un DC8, c'était inhabituel.
    Il y avait deux vannes côte à côte sur le parking, une pour le kérosène et l'autre pour l'essence. L'appelé qui était chargé du plein a très bien pu se tromper et faire le plein du KC135 avec de l'essence.
    Les réacteurs ont commencé à brûler du kérosène et ensuite de l'essence.
    Nous avons entreposé les restes du crash dans un hangar, notamment la perche de ravitaillement en vol, et ... le canot de sauvetage. Il y avait de l'essence à l'intérieur du canot et non pas du kérosène.
    La conclusion était évidente, mais l'affaire a été étouffée. Le pauvre pompiste n'a jamais été au courant de cette découverte. On a préféré soupçonner un attentat. Des sentinelles ont été déployées la nuit autour des avions.
    Les missions météo ont continué avec des DC8.
  • Sophie Manson
    • 4. Sophie Manson Le 17/04/2022
    Bonsoir Monsieur

    Tout d'abord merci d'avoir servi la Patrie malgré ce drame.
    Merci à la Légion étrangère de vous avoir appuyé !
    Le père de ma fille (pas connu) est allé à mururoa. Je ne sais pas en quelle année. Il a été à Istres ; Rochefort-sur-Mer … le 3ème je ne m'en rappelle plus !

    Je cherche pour ma fille à avoir des insignes militaires de l'Armée de l'air
    Sophie Manson

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