Mes vols sur Trident

En 1948, Charles Goujon est engagé par la SNCASO. Il se voit confier successivement les essais des bimoteurs SO-90 et SO-30P, des réacteurs "Vautour" et "Espadon", avant de se consacrer aux essais du "Trident" à la suite de l'accident de Jacques Guignard en 1953.

Je découvre le Trident

Lorsque l'ingénieur Girard décida de me confier le Trident, c'est sans doute qu'il jugeait suffisantes mes références - toutes récentes - de pilote d'avions à réaction.

Mais en fait, ce Trident je ne le connaissais pas. Je m'étais souvent penché à l'intérieur du cockpit, mais je n'avais pris place sur le siège qu'une seule fois. Et pour bien peu de minutes : juste le temps de donner à Jacques Guignard, qui me l'avait demandé, mon avis sur la disposition de certaines commandes.

Maintenant, je pouvais aller m'y asseoir plus longuement. Ou, du moins, je le pensais. J'étais pourtant payé pour savoir qu'un avion au sol appartient au mécanicien, et à personne d'autre. Il me fallait faire les doux yeux à Mouillé.

Avant de s'installer au poste de pilotage du Trident faisons-en le tour.

D'abord, son nom a été fort bien choisi. Vu en plan, il ressemble vraiment à un trident. Le fuselage et les deux moteurs en bouts d'ailes figurent parfaitement les trois dents. Il est évident qu'il n'a pas son pareil au monde. C'est un premier "jus", une conception tout à fait originale. 

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Le SO-9050 "Trident II"

Vu de profil, avec sa pointe avant, sa longue perche, son fuselage cylindrique, il a tout de même une petite ressemblance avec les supersoniques américains Bell et Skyrocket. Il a aussi, comme eux, un pare-brise en forme d'étrave. 

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Le "Trident" (photo CEV)

La vitesse coûte cher, et la grande vitesse beaucoup plus cher encore. Elle oblige à des formes rigoureusement adaptées. Lucien Servanty a donc dû travailler la canopée pour donner au pilote les meilleures conditions de visibilité, mais aussi et surtout peut-être pour obtenir la moindre "traînée". Quelques centimètres carrés inutiles dans le maître-couple de l'avion, quelques autres sur la surface du pare-brise, et voilà perdus de précieux points de mach.

Le Trident I est bas sur son train d'atterrissage. C'est un avion expérimental et l'idée d'utilisation autrement que sur une piste a été exclue, alors qu'il en est tout autrement pour le Trident II qui décollera sur l'herbe. 

Tout, en effet, a été conçu pour la recherche de la vitesse. On remarque que l'on a placé, sous les empennages, deux petits patins protecteurs. L'empennage vertical, lui, ressemble, vu de loin, à la dérive d'un avion classique. Sa forme trapézoïdale est également classique.

Vu de loin et de profil, notre Trident a vraiment un petit air de famille avec l'Espadon 6.021. Quoi d'étonnant, puisqu'ils sont tous deux les "fils" de l'ingénieur Servanty. Les Vautour, eux, ont la "ligne Parrot". Il en est ainsi pour la production de tous les bureaux d'études.

Ce Trident regardons-le de face maintenant. Mon Dieu, qu'il est impressionnant !

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Le "Trident" (photo CEV)

Ces deux traits minces s'échappant de part et d'autre du fuselage et que deux cylindres terminent, ce sont les ailes et les entrées d'air dans les fuseaux enveloppant les moteurs auxiliaires.

On est également surpris de voir combien elle est petite, l'entrée d'air des moteurs à réaction. C'est que l'avion est supersonique. Les fuseaux ont donc été étudiés dans ce sens. Leur forme a été essayée en soufflerie, tour à tour en vol normal et en vol supersonique. Elle s'est avérée excellente. L' "entonnoir" qui sert d'entrée d'air pour les moteurs à réaction, sert également d'antenne pour la radio.

L'étrave paraît très étroite, et on se demande comment la tête du pilote et plus encore son casque vont pouvoir s'y mouvoir.

Pas d'aspérité. Tout est lisse, à part quelques petites saillies sous forme d'écuelles pour certaines circulations d'air, ou sous la forme d'un échappement pour le générateur du moteur fusée. Lucien Servanty a dû se faire tirer l'oreille avant de consentir à l'installation de ces petites "verrues".

Le train d'atterrissage est un train classique, du système tricycle, avec une roue avant qui s'oriente pendant les roulements et deux roues principales situées sensiblement au droit des ailes. Tout cela est réduit aux plus petites dimensions possibles, et les pneus sont plats et à haute pression. Les roues principales comportent des freins Messier à disques extrêmement puissants.

Tel qu'il est, le Trident, remarquablement solide sur ses pattes, tient sans doute mieux la route à 300 km/h que la meilleure voiture de course.

Regardons-le maintenant par l'arrière.

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Le "Trident" (photo CEV)

En le contournant, on a cherché en vain des ailerons sur les ailes. Pas trace. Le Trident est un avion dont les ailes sont dépourvues d'ailerons. Tout au plus a-t-on aperçu quelques volets, rigoureusement placés sous l'aile et qui n'apparaissent absolument pas en surépaisseur. Mais d'ailerons, point.

Comment se gouverne-t-il donc ?

Il se gouverne par son empennage. Les trois surfaces symétriques qui le composent, et qui sont disposées sensiblement à 120° l'une de l'autre, forment dans leur ensemble ce que l'on appelle un empennage cruciforme. Elles peuvent osciller sur trois pivots qui sont très solidement encastrés dans le fuselage. Le Trident, et c'est là un cas rare dans l'industrie aéronautique, n'a pas subi la moindre retouche depuis sa naissance.

Les ailerons - ce n'est plus un secret maintenant - sont la cause de beaucoup d'ennuis lors des vols avoisinant la vitesse du son. C'est pourquoi Servanty, sortant carrément des sentiers battus, a décidé, purement et simplement, de les supprimer, en créant l'empennage véritablement nouveau du Trident

Je lui demandai un jour s'il allait faire "protéger" son invention par un brevet. Il a souri.

- « Je crois bien, dit-il, que c'est une formule à laquelle Louis Blériot a pensé avant ma naissance. En 1908 ou 1909. Mais il n'avait évidemment pas envisagé le vol supersonique »

Ces empennages jouent non seulement leur rôle de stabilisateur, comme sur un avion classique, mais également un rôle gouverneur. Les efforts qui s'exercent dessus sont donc à la fois plus importants et plus compliqués. La réalisation de cet empennage fut un véritable tour de force. Tant de solidité pour une surface aussi importante et aussi mince !

On pourrait penser qu'avec ces gouvernes, tout est changé pour le pilote. Non, rien n'est changé, et s'il ignorait l'absence d'ailerons, il ne s'en apercevrait absolument pas.

Les gouvernes sont commandées par le système classique du palonnier et du manche à balai. En manœuvrant son manche ou son palonnier, le pilote, par l'intermédiaire de vérins hydrauliques, fait osciller les trois empennages sur leurs axes. Il n'y a pas, comme sur des gouvernes classiques, de parties fixes et de parties mobiles ; c'est tout l'ensemble de la surface qui tourne autour d'un axe.

En ce qui concerne l'action du palonnier, la chose n'est pas moins simple. En poussant sur les pédales, on fait agir la gouverne verticale comme un gouvernail de direction classique. En agissant sur le manche à balai d'avant en arrière, on actionne la profondeur de l'avion. Les deux gouvernes basses vont donc, sous l'action des vérins, osciller sur leurs pivots et attaquer l'air de façon à faire piquer ou cabrer l'avion. 

- « Et pour remplacer les ailerons, direz-vous, pour incliner l'avion ? »

Eh bien, simplement en déplaçant le manche à balai transversalement comme on le fait habituellement. C'est alors qu'une des gouvernes basses attaque l'air de façon à "porter" davantage, tandis que l'autre attaquera l'air de façon à "porter" moins, ce qui donnera à l'avion le roulis désiré. Pourtant, pendant que se déplacent les gouvernes basses pour commander le mouvement de roulis, on constate que la gouverne verticale se déplace elle aussi.

Mais là, nous devons devenir très discret. Contentons-nous de dire qu'elle se déplace, et que tout ceci est réalisé à l'aide d'une cinématique astucieuse et d'une mécanique simple réalisant les déplacements recherchés de la timonerie allant aux vérins.

Bien entendu, tout ce système d'empennage a été minutieusement équilibré. Les fréquences propres des vibrations de chacune des gouvernes ont été relevées par les méthodes les plus modernes. Dans ce domaine, la France, grâce à l'ONERA, tient une place de premier plan.

Les vérins hydrauliques qui actionnent cet empennage, selon les ordres transmis par les commandes mécaniques que manœuvre le pilote dans sa cabine - l'ensemble commandes-vérins formant ce qu'on appelle les servo-commandes - sont des Jaccotet-Leduc. C'est sur les Espadon de la SNCASO que ces servo-commandes ont été expérimentées pour la première fois en vol et mises au point. Servanty collabora d'ailleurs avec l'ingénieur René Leduc et avec les ingénieurs de la maison Jaccotet à l'établissement de ces servo-commandes, qui sont une merveille de réalisation mécanique et d'astuce.

Ces tout-petits vérins multiplient aisément par 100 l'effort du pilote. C'est ainsi que, si celui-ci exerce un effort d'une quinzaine de kilos, soit sur ses pédales, soit sur son manche, la tige qui sort du vérin agit sur la gouverne avec une très grande force. À l'inverse, tant qu'un effort supérieur à la limite dite de réversibilité ne viendra pas solliciter la tige des commandes de gouverne liée aux vérins, aucune réaction ne parviendra au pilote.

Peut-être allez-vous penser que, dans ces conditions, l'homme risque d'avoir trop de force et de ne pas sentir ce qu'il doit faire ? Les gouvernes d'un avion classique résistent d'autant plus que l'action de l'air est plus forte. 

En sentant ses gouvernes, le pilote est donc plus apte à mieux conduire son avion. Cependant, pour le mettre dans l'état sensoriel qui était le sien avant la création des servo-commandes, on a été conduit à réaliser des sensations artificielles à l'aide de ressorts hydrauliques : ce sont les sensibilisateurs.

Si d'autre part, en faisant des évolutions serrées, le pilote fait subir à son avion des accélérations qui risqueraient d'en fatiguer la structure, ou de le conduire dans des cas de vol délicat, des "masses" complètent l'activité de ces ressorts hydrauliques et donnent au pilote les efforts artificiels dont il a besoin pour savoir et pour doser ce qu'il doit faire dans ce cas.

Enfin, pour lui permettre de mieux conduire son avion, en cas de diminution ou d'augmentation de vitesse, ses sensations sont modifiées par un système appelé "valve", dont le principe est basé sur l'action d'un piston, soumis à la pression de l'air dans lequel pénètre l'avion.

Tout ce système perfectionné de servo-commandes, nous l'avons mis au point nous-mêmes en vol, Guignard et moi, sur les Espadon.

Au cœur de l'empennage, on voit trois tuyaux ressemblant à trois tromblons, et dont les extrémités sont entourées de collerettes de boulons. Ce sont les trois tuyères du moteur-fusée. Le fuselage se termine net au droit de ces trois tuyères. Enfin, si on regarde le Trident vu en plan, on est frappé non seulement par sa forme de trident, mais aussi par ses deux petites ailes à surface rectangulaire, droites, bien d'équerre avec le fuselage. 

Pour pénétrer dans l'habitacle du pilote, que l'on dénomme cockpit, il faut auparavant enlever la canopée. La canopée, c'est le couvercle du cockpit. Elle est ajustée très étroitement à l'étrave, formant pare-brise, et vient se marier avec la forme supérieure du fuselage. Elle enveloppe étroitement la tête du pilote.

En s'approchant pour monter à bord, on constate une certaine discontinuité entre la pointe formant la cabine et le reste de l'avion. C'est que la cabine du Trident est détachable. C'est encore à l'ingénieur Leduc que l'on doit la technique de cette cabine détachable, animée, pour se libérer, de la seule force hydraulique.-

On conçoit qu'il est impossible à un pilote subitement transformé en parachutiste de survivre longtemps en haute altitude s'il était obligé de quitter l'avion. Soumis à un froid intense, il mourrait dans un délai très bref. Au contraire, dans une cabine rigoureusement étanche, le pilote séparé de son avion pourra vivre assez normalement en attendant que son parachute géant le descende jusqu'au sol.

En vol, l'habitacle du Trident est pressurisé par l'air venant des compresseurs. Séparée de l'avion, la cabine comporte une bouteille d'air comprimé que le pilote utilisera pour continuer de fournir la pression interne nécessaire.

Dans le Trident le pilote est assis de façon classique, les jambes sensiblement à l'équerre. Si la place manque pour y entrer facilement - le cas est le même pour les voitures modernes - on s'y trouve, par contre, tout à fait à son aise, l'installation terminée. Par contre, l'étrave est basse. Rien de commun avec un balcon. Les yeux sont au ras du fuselage, et cependant la visibilité est suffisante.

La disposition intérieure est classique. Un pilote professionnel s'y retrouve rapidement "chez lui". Lucien Servanty, raisonnablement, a tenu à partir d'une organisation éprouvée, pour ne l'adapter qu'en fonction de l'expérience acquise jour par jour.

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Tableau de bord du "Trident"

Dès le début de janvier, je vais le prendre en mains, le Trident, exactement comme s'il s'agis­sait de son premier vol. D'abord, des roulements au sol à des vitesses de plus en plus élevées. Puis un saut de puce. Puis d'autres sauts de puce. Il faudra, en effet, que nous prenions l'habitude l'un de l'autre. Encore une fois et plus intensément que jamais, l'exemple du cavalier et de sa monture me vient à l'esprit.

Premier vol

C'est le 16 janvier 1954 que, pour la première fois, j'ai volé sur Trident. Je fus conquis. Conquis mais fermement décidé à conquérir à mon tour. J'étais convaincu, dès après ce premier vol, que nous pouvions faire bon ménage, à condition de jouer serré. Il entendait être respecté. J'entendais être obéi. Notre "contrat de mariage" fut net et précis.

L'objectif de Servanty, c'était, bien entendu, le vol avec fusées. Mais quand le ferions-nous? Et puis, le moteur-fusée n'était pas le seul problème. Il fallait aussi résoudre celui des moteurs à réaction qui, pour être complémentaires quand les fusées seront mon­tées, n'en étaient pas moins, pour l'instant, les seuls propulseurs.

Or, avec ces moteurs de 400 kg de poussée, nous ne pouvions pas faire des vols à alti­tudes assez élevées pour étudier et préparer notre Trident à affronter le vol supersonique. En cas de panne de la fusée au moment du décol­lage, ces deux réacteurs suffiraient-ils à tenir en l'air un avion à la limite de la surcharge ? Ce n'était pas sûr du tout.

Et parce que ce n'était pas sûr, je volai relative­ment peu de janvier à septembre. Cependant, ces vols furent suffisamment payants, et Servanty donna son accord pour un vol avec fusée.

En juillet et en août, Gilles disposa pratiquement de l'avion pour y installer le groupe de trois fusées, dont une seule devait être allumée pour ce premier essai. On ne monte pas un moteur-fusée, le premier construit en France sur un prototype du genre Trident, comme on change le moteur d'une voi­ture. C'est un travail de maître-horloger, dans une atmosphère nocive de vapeurs d'acide. Mais Gilles a l'âme chevillée au corps, et les gars de son équipe sont faits du même métal.

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Montage des 3 fusées (INA)

De temps en temps, je lui demande des explications sur un schéma simpli­fié, concernant le fonctionnement de son moteur-fusée. Pour eux tous, lui et les ingénieurs de la SEPR, c'était d'une simplicité enfantine. Pour moi, le schéma était aussi compliqué que s'il eût été question du réseau téléphonique de Paris et de sa banlieue.

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La fusée SEPR 481

Vers la fin de la seconde quinzaine d'août, Sa Majesté le Trident, enfin équipé du moteur-fusée, attendait son pilote. Mais avant de lui faire effectuer un premier vol complet, il fallait le soumettre aux sévères épreuves de l' "accélération-arrêt". Cela consiste à lancer l'avion sur la piste pour un décol­lage fictif et à stopper les moteurs au moment où la vitesse optima pour le décollage est atteinte. La performance d'arrêt de l'avion décide de l'envol réel.

Enfin, le 4 septembre 1954, vers 16 h, l'avion était en bout de piste, avec toute sa cohorte de maté­riel et de servants. Freins serrés, les moteurs à réaction sont lancés à plein régime. Puis tout est contrôlé minutieuse­ment.

Contact sur la chambre 1 : le générateur démarre. C'est l'instant fatidique. La lampe-témoin indi­quant le fonctionnement de l'ouverture des vannes s'allume.

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Les manettes du Trident (INA)

Je lâche les freins. L'avion commence à rouler. J'ai le cœur brûlant de bonheur. Je pense au mouvement que je viens de faire, à ma main qui a déclenché la foudre.

C'est fait. L'avion bondit en avant. Dans ma poi­trine, mon cœur en fait autant. Nous sommes en pleine communion. La piste défile sous mes roues. Mes yeux enveloppent du même coup le badin et la piste. Encore quelques secondes et ce sera l'envol.

Mais non !

Alors que je suis en pleine poussée, au maximum de l'accélération, une alarme s'allume : c'est l'une des trois lampes placées bien en évidence devant mes yeux pour indiquer un trouble dans le fonction­nement du moteur-fusée. Cette alarme est celle de l'acide. Une fuite quel­que part. Je dois m'arrêter. Les consignes sont formelles à ce sujet. Pas question de réfléchir, d'in­terpréter. Il faut exécuter. Et exécuter immédia­tement.

Je coupe l'allumage sur la fusée, je réduis les gaz sur les moteurs, je freine une première fois. Mes freins répondent bien. Je relâche ma pression, pour leur éviter de chauffer, et laisse l'avion courir vers l'extrémité de la piste. Tout le service de sécurité s'est mis en branle. À peine arrêté, me voici entouré de tous ces garçons attentifs, prêts à intervenir.

Ainsi, une fois de plus, il s'agit d'un faux-départ. C'est le métier.

Mouillé grimpe le long de l'avion et me débarrasse de ma cage vitrée. Il a entendu la radio et sait à quoi s'en tenir sur la raison de mon arrêt.

Il sait aussi que c'est sans grande importance.

- « Le détecteur, me dit-il. »
- « Quoi, le détecteur ? » 
- « Il est ultra-sensible. Je parie que c'est ça, tout bêtement. Je suis sûr qu'il n'y a pas de fuite sérieuse. » 

C'est aussi l'avis des ingénieurs. Mais en aviation, le probable n'est pas suffisant. Il faut aller chercher la preuve.

Mouillé ouvre les capots et les portes de visite. Pas de fuite d'acide. C'est donc bien l'hyper­sensibilité de notre détecteur qui a déclenché l'alarme.

Plus tard ce jour là 

Peut-être, à condition de ne pas perdre une seconde, pourra-t-on encore voler ce soir, malgré ce contretemps. Girard, Garang, Minor et Gilles se réunissent, cal­culent et décident :

- « Complétez les pleins du carburant-fusée, refai­tes toute la vérification d'avant-vol, et tentons notre chance avant la nuit. »

Deux heures plus tard, l'avion est remis en piste. Les conditions atmosphériques restent favorables. Pourtant, je maudis quelques petits bancs de nuages placés dans l'axe de la trajectoire que je me propose de faire suivre à l'avion. Le soleil couchant va être gênant, lui aussi. Il est un peu atténué, il est vrai, par l'écran de nuages.

Les pleins sont refaits. Celui correspondant au vol de la fusée lui permettra de fonctionner pendant une minute et demie. Pour un premier vol sur le Trident, c'est suffi­sant, n'est-ce pas ?

Ultimes contrôles. Pleins gaz. Contact sur la cham­bre 1. La lampe des vannes clignote ; je lâche les freins, la fusée s'allume, l'avion prend sa vitesse. Premier panneau franchi rigoureusement dans les limites. J'entends Garang qui me compte les secon­des avant la vitesse fixée pour le décollage.

Toujours les yeux à la fois sur l'indicateur de vitesse et sur la piste si droite, si large, si longue, mais qui diminue devant moi. L'avion doucement se déleste. Je le sollicite légè­rement. Accélération formidable ! Je sais que tous les amis ont les yeux rivés à cette flamme qui court à ras du sol à une vitesse incroyable.

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Décollage ... (INA)

Méfiant dans cette accélération qui aurait pu nuire à la rentrée correcte du train d'atterrissage, j'avais demandé que Pierrot, par radio, me donne l'ordre de rentrée du train. Il me fallait en effet le rentrer, étant encore si près du sol que je ne pouvais pas être absolument sûr que mes roues l'avaient bien quitté. Garang, lui, placé par le travers de la piste, voit exactement ce qu'il en est.

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... puis rentrée du train (INA)

Je reçois le "top" de Pierrot. Le train est rentré. Verrouillé au poil. J'efface les volets.

L'avion court... court... à 1 m du sol, volets rentrés.

Je lui pointe gentiment le nez vers le ciel, pour respecter la loi de montée que nous nous sommes fixée. Montée vertigineuse. Quand la fusée s'éteint, j'ai déjà dépassé la Seine. À une dizaine de kilomètres du terrain, je suis à plu­sieurs milliers de mètres d'altitude.

II a été décidé qu'à l'extinction de la fusée, je mettrais immédiatement l'avion en virage assez incliné, pour éviter tout désamorçage possible des réacteurs. Je l'incline. Tout est parfait. Avec la voiture-radio, je passe, en phonie, quelques rapides impressions. Je demande des instructions. Puis je "raccroche". Conversation rapide mais suf­fisante.

C'est maintenant le retour. Le retour tranquille que j'ai adopté après chaque vol d'essais important. Une prise de terrain de très loin, en "père peinard". Il faut le ménager, ce Trident. On a tant d'efforts à lui demander, avant de lui faire toucher le but !

L'atterrissage est délicat, en raison du centrage. Mais je m'y suis préparé. Je l'ai en mains.

Ce premier vol du Trident avec fusée, le 4 sep­tembre 1954, marque une date. Il ouvre l'ère des intercepteurs français à fusées.

Panne au décollage

Celui du 26 octobre suivant (entre-temps, le Trident avait volé avec deux fusées, sur les trois prévues) faillit se terminer mal. Il prouva jusqu'à l'évidence que les réacteurs de 400 kg de poussée étaient insuffisants.

Avant chaque vol, je ruminais inlassablement tou­tes les conditions à respecter en cas de panne pen­dant le décollage avec fusées.

Et la panne est arrivée.

Après avoir commencé le roulement dans des conditions parfaites, l'avion prenait sa vitesse conformément au programme et je le soulevais doucement du sol, lorsque la fusée s'arrêta. Impossible de continuer le vol avec les seuls réac­teurs, étant donné le poids de l'avion. Il me fallait, d'extrême urgence, vidanger l'acide des fusées. Cette vidange s'effectua heureusement et comme prévu.

Pourquoi la fusée m'avait-elle lâché ?

En fait, la panne ne provenait pas directement de la fusée. C'est le circuit électrique qui, au moment où je rentrais le train, fit défaut. Mais ce circuit commandait l'une des "sécurités" du moteur-fusée. La baisse générale de tension avait provoqué la fer­meture d'une vanne dont le réglage s'était trouvé modifié.

Quelle sensation pour moi !

L'avion, qui venait de quitter le sol à grande vitesse et dans un bruit de tonnerre, sembla s'arrêter net, comme suspendu en l'air par miracle, alors que j'étais encore au-dessus de la piste de ciment, à 3 ou 400 m de son extrémité.

Quand je poussai la manette commandant la vidange, l'avion se mit à trembler. C'était bon signe. Puisqu'il tremblait, c'est que, du point de vue aéro­dynamique, il se passait quelque chose. Ce quelque chose, c'étaient des centaines de kilos d'acide qui s'évacuaient.

Pour les observateurs au sol, cette évacuation d'acide se traduisit par un nuage blanc semblable à un nuage de vapeur, avec cependant une teinte assez particulière. Ce nuage, bien entendu, cachait l'avion à leurs yeux.

Je savais que dans l'axe de la piste, à 1 km du point où je me trouvais, un bouquet d'arbres constituait un redoutable obstacle à franchir. Je ne pensais qu'à ces maudits arbres. Au piège qu'ils me tendaient. Comment les éviter ? J'amorce un léger virage, très timide, pour les laisser à ma gauche, et laisser aussi à ma gauche le village de Réau, son redoutable clocher et son petit cimetière.

Un coup d'œil sur l'indicateur de vitesse et sur le cadran indiquant le régime des moteurs. Ces moteurs, nous avions demandé l'autorisation de les pousser en sur-régime dans le cas de besoin. Cette autorisation, nous l'avions reçue du service technique quelques jours plus tôt. Je pousse donc les manettes. Les Marboré allaient-ils supporter cet effort exceptionnel jamais encore tenté en vol ? Je suis tout juste à 15 m de hauteur. Comme c'est peu !

Le train d'atterrissage est parfaitement rentré, mais l'avion, trop lourd, s'enfonce. J'efface une partie des volets, pour diminuer la traînée. Mais juste ce qu'il faut pour permettre le maximum de sustentation, compte tenu de la vitesse.

Cette vitesse qu'il faut augmenter, c'est maintenant mon seul but. Question de vie ou de mort pour la machine. Et peut-être aussi pour son pilote. Il faut absolument que le badin remonte. La route de Melun à Brie-Comte-Robert approche. Elle est bordée d'arbres, et je ne suis toujours qu'à 15 m du sol ! Et le badin qui ne monte pas. Il me faut à tout prix gagner de la vitesse. Je rends donc la main. Le sol se rapproche. Enfin, le badin remonte. Je me suis fixé une vitesse de 220 nœuds. Si je ne l'atteins pas, inutile de continuer le vol. Il faudra me crasher dans la nature, avec tous les risques que comporterait un tel atterrissage.

Me voici à 210 nœuds (378 km/h). Les arbres approchent. Je suis à la hauteur de leur sommet. Ce ne sera pas suffisant. Il faut jouer le tout pour le tout. Je rends la main. Encore un peu. 215 nœuds (387 km/h).

Les arbres sont tout proches. Je suis plus bas que les branchages. Je vois la campagne entre leurs troncs. Si je ne gagne pas en vitesse, je n'essaierai pas de les sauter, car il est évident que je me retrou­verais de l'autre côté en perte de vitesse. Ce que je ferai ? Je tenterai de passer entre les troncs !

Je suis maintenant ventre à terre. C'est halluci­nant. J'échappe à la vue de ceux qui, jusqu'alors, ont observé ce dramatique décollage. Mais mon badin remonte, 220 nœuds (396 km/h).

Les arbres sont là. Je tire sur mon manche. En douceur. C'est fait. Ils sont maintenant franchis, ces platanes maudits ! Je rends la main pour reprendre de la vitesse.

Au badin, 240 nœuds (432 km/h). La partie est gagnée. Je rentre à fond les volets et je commence à monter.

Dans la radio, une voix familière. Une voix amie. Dieu, que c'est bon ! C'est Paul Boudier, pilote d'essais des avions Dassault. Il rentrait d'un vol sur un Mystère et s'apprêtait à se poser, quand la tour de contrôle lui demanda de patienter quelques minutes pour me per­mettre de décoller. C'est de là-haut qu'il vécut le drame : ma fusée coupée, le nuage qui s'ensuivit. Le temps d'effectuer un virage aussi serré que possible, et il était derrière moi. Quels excellents réflexes !

Si j'avais embouti les arbres, Paul, mon vieux copain de l'escadrille Lafayette, aurait orienté les sauveteurs. Un secours d'urgence peut sauver une vie. Jacques Guignard le sait mieux que quiconque. Cette lutte que j'ai menée, Girard et tous les amis de la SNCASO l'ont vécue atrocement, par radio. 

Maitenant, il faut ramener l'avion au sol. Boudier vole à mes côtés. De la voiture-radio, je reçois des instructions :

- « Tu mettras en finale 20° de volets. Tu ne descendras surtout pas en dessous de 160 nœuds. Ça doit aller. »

Il faut que ça aille.

Je me présente dans la ligne droite. Le soleil me gêne. Mais la piste m'est si familière !

Jamais je ne me suis posé aussi vite. Pourtant, le contact des roues avec la piste est d'une extrême douceur. Je ne vole plus : je roule.

Quand la vitesse le permet, je tente un premier essai de freinage. Parfait. La vitesse tombe rapide­ment. Je laisse de nouveau courir. Mais l'effort imposé aux pneus par le freinage à cette vitesse est au-delà de ce qu'ils peuvent supporter. L'un d'eux éclate. Qu'importé. Le Trident, très stable sur son petit train d'atterrissage, cahote un peu, mais sans plus. Lentement, j'amène la roue "blessée" sur l'herbe. Je m'arrête. Déjà, les pompiers sont là qui aspergent le des­sous de l'avion, car des gouttes d'acide tombent encore du vide-vite grand ouvert. 

Tout danger est pratiquement écarté lorsque Mouillé arrive, essoufflé, pour m'aider à sortir de ma cage et que Félix Bonnefoy, par prudence, répar­tit les pompiers et les hommes de son équipe autour de l'avion pour parer à tout événement.

Et voici Girard. Nous ne trouvons pas les mots. Ces dernières minutes ont vidé nos âmes, séché nos langues. Mais nos yeux ont un langage qui suffit. Les miens, sans doute, ont exprimé ma pensée.

- « Quel métier ! »

La vie continue. Après une douche réparatrice, nous nous réunis­sons pour parler de l'affaire. Un petit tour d'horizon, comme disent les parle­mentaires. Tu parles !

D'aussi graves événements qui se terminent sans "bobo" c'est un peu par chance certes, mais c'est aussi et surtout parce que la préparation du vol a été parfaite. Et la préparation de ce vol important est signé : Girard, Garang. Rendons-leur cet hom­mage. Il leur est dû.

Cependant, nous avons peut-être péché par excès d'audace. Je sais bien que si l'audace n'était pas inti­mement liée à l'aviation, nous en serions encore au temps des montgolfières. Mais si l'audace est payante, elle est aussi généra­trice de bons conseils, d'avertissements qu'il faut entendre. L'avertissement, cette fois, avait quelque chose de solennel.

J'en parlai par téléphone avec Lucien Servanty aussitôt après avoir pris ma douche. J'étais encore sous le coup de l'émotion : j'avais failli casser son Trident. [...]

Pourtant, le moment était venu où il fallait adop­ter une autre solution. Ou plus exactement choisir d'autres moteurs.

Panne aérofreins 

Le 17 mars, à Istres, je le reprenais en mains pour le premier vol avec les réacteurs Viper. Il s'agissait cette fois d'un vol sans fusées.

Plus tard, il me fut demandé de pousser la vitesse pour des mesures de la pression de l'air et de la répartition de cette pression, en certains points à l'intérieur du fuselage, compte tenu de l'installation à venir du moteur-fusée. 

Je volais normalement et l'avion était à peu près à son maximum de vitesse quand, soudain, il échappa à mon contrôle. Vraisemblablement, quelque chose venait de se briser dans l'empennage. C'est, en tout cas, l'impres­sion que je ressentais. Il n'en était rien, heureusement.

J'en acquis la conviction lorsque, réduisant les gaz à fond, je pus le faire cabrer, sous mon contrôle, pour réduire la vitesse. Mais il ruait sans cesse et sa trajectoire était une jolie fantaisie. Qu'importé, il volait. Mal, bien sûr. Aussi mal que possible. C'était un avion ivre. Mais un avion qui volait.

Je me cramponnais comme je pouvais en essayant de le conduire à la fois par les commandes, et en jouant des moteurs.

Tout en confiant par phonie mes ennuis à Garang, qui les partageait, je m'efforçais de le faire voler le plus lentement possible. Tout le contraire de ce que prescrivait l'ordre d'essais.

Lorsque je fus fixé sur la vitesse minima, que je pouvais effectivement contrôler, je prévins Pierrot. Elle me permettait, cette vitesse, de sortir le train d'atterrissage. Mais cette sortie du train n'allait-elle pas tout remettre en cause. Je conservais donc une altitude suffisante pour sauter en parachute si cela avait été indispensable. Cette solution extrême, je n'ai fort heureusement pas eu à l'appliquer.

À180 nœuds, le Trident était à peu près contrôlable, malgré un pilotage abso­lument "bancal", une puissance des moteurs tout à fait dissymétrique et des commandes croisées.

On redoubla de précautions sur le terrain d'Istres pour recevoir le "blessé". Je me présentais de très loin et avec le minimum de pente afin de toucher le sol dans les meilleures conditions possibles, car je ne savais pas si, au moment de la réduction des moteurs, le contrôle de l'avion ne m'échapperait pas une fois encore. Il me fallait donc, pratiquement, ne réduire les moteurs qu'au moment où je toucherais le sol. Cela s'est passé le mieux du monde et à quelque 170 nœuds.

Quand Mouillé vint ouvrir le cockpit, son premier mot fut pour me dire :

- « Ah, ces maudits aéros-freins ! » 

C'est l'un d'eux, en effet, qui était sorti intempestivement. Pépin normal pour un pilote d'essais. Les ingénieurs ont pu facilement y remédier, grâce, justement, aux mesures de pression que nous faisions alors dans le fuselage et sur la "peau" du fuselage.

Nous avions eu très peur une fois encore. Mais le Trident était toujours là. Et, l'expérience aidant, les aéro-freins du Trident II seront tout à fait différents.

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Les aérofreins du Trident (INA)

Et comme il ne faut jamais, en aviation, rester sur un mauvais souvenir, je profitai du peu de temps qui nous restait à passer à Istres pour faire franchir au Trident le mur du son par la seule puissance de ses nouveaux moteurs.

Puis je le ramenai, en vol direct, d'Istres à Melun.

Allumage des 3 fusées

Lorsque l'on m'apporta, au soir du 5 juillet 1955, dans le bureau que je partage avec Jacques Guignard à l'aérodrome de Melun, l'ordre écrit d'avoir à voler le lendemain, le rire qui me secoua fut, pour une fois, un rire muet. Il s'agissait - enfin - d'allumer les trois fusées du Trident. Les trois fusées... Toute la cavalerie !

J'en avais allumé une déjà. En septembre 1954 ... Quel événement !

Puis, une deuxième un mois plus tard ...  Quelle réussite !

C'est maintenant au tour de la troisième. Cette troisième, c'est le but. C'est toute la puissance pour la première fois libérée.

C'est ce qui n'avait jamais été fait en France. Ce qui ne s'est jamais fait en Europe. Ce qui ne s'est jamais fait nulle part. Bien sûr, les Américains ont déjà lancé dans le ciel le Bell et le Skyrocket. Mais ces bolides avaient été largués d'un avion por­teur à quelque 10.000 m d'altitude. Mon Trident et moi, nous allons partir du sol. Pas le même tabac.

Cette troisième fusée, il m'est interdit, et c'est souligné au crayon rouge, de l'allumer en vol horizontal. La vitesse serait alors trop grande. Un vol d'essai, ce n'est pas un vol record. Il me faut l'allumer en montée. Le Trident va devenir l'ascenseur du ciel.

La montée, comme la vitesse, est fixée. Et l'ordre est impératif : ne pas dépasser 52.000 ft (15.600 m). La limite, ainsi déterminée par l'ingénieur, s'appelle le "trait". La dépasser, c'est "bouffer le trait". Et "bouffer le trait", c'est la hantise d'un pilote d'essais.

Je me "fais des cheveux". Comment ne pas dépasser ce chiffre, alors que mon Trident, cra­chant le feu, grimpera dans le ciel à raison de 6 km à la minute ? Une solution : renoncer à l'altimètre classique, très précis sans doute, mais assez compliqué, et installer un petit altimètre très simple, presque un jouet, et sans graduation inter­médiaire.

Pour Pierre Garang, ingénieur d'essais affecté au Trident, c'est l'enfance de l'art. J'installe le pré­cieux joujou à la place d'honneur devant moi, juste devant, dans l'axe de mes yeux, sous l'étrave du pare-brise. Le fameux "trait", je ne vois plus que lui.

Ainsi écarté le danger de le perdre de vue, il me faut faire face à un autre risque. Je sais que les fameux Américains Yeager, Bridgeman et Murray, des super-champions pourtant, ont, au cours de leurs vols, perdu totalement le contrôle de l'avion. Ils sont tombés du ciel comme des cailloux à plus de 1.000 km/h pendant 15 sec avant d'avoir pu faire quoi que ce soit. Peut-être la même mésaventure m'attend-elle. Mais j'en doute. Le Trident, lui, ce n'est pas seu­lement un moteur ; c'est aussi un avion.

Néanmoins, pour parer à toute éventualité, j'avais décidé de me réentraîner à la voltige. Un avion, c'est comme un cheval. Son comportement dépend beaucoup de celui qui le monte. On ne peut pas l'empêcher de s'em­baller si la peur le prend aux entrailles. Pas plus que même Yeager ou Murray ne purent éviter de tomber dans le trou. Il ne reste plus alors qu'à limiter les dégâts

Pour mon entraînement "voltige", je téléphone à Raymond Guillaume. C'est un grand cavalier du ciel. Il a formé un nombre considérable de pilotes. Jacque­line Auriol est sa dernière réussite, c'est une réfé­rence. Et puis, Guillaume et moi, nous sommes de très vieux amis. Je l'ai connu à Istres en 1933, alors que j'étais élève-pilote. C'était déjà un "maître". Quand nous sommes à bord, ce sont 50 années d'aviation qui s'additionnent. Et aussi 50 années d'expérience. Je lui demande de m'aider à ce réentraînement.

Ce Guillaume, c'est un increvable. J'ai rarement vu un pilote aussi qualifié, aussi dynamique. Avec Raymond, pendant huit jours, sur le Meteor d'entraînement, }e m'en donne à cœur-joie. Un soir, alors que nous regardions le soleil dispa­raître derrière le hangar, il me dit :

- « Tu n'as rien perdu, Charlie. Rien. Tu es resté le vrai pilote de chasse.»

Je ne réponds pas. Je suis bouche bée. C'est que Guillaume reste volontiers des années sans éprouver le besoin de faire un compliment. Or, il vient de me dire ce que l'on ne peut pas dire à un ancien chas­seur sans lui mettre la larme à l'œil.

Merci, vieux frère. Quelle confiance tu me donnes.

Pendant ce temps, les hommes du Trident tra­vaillent nuit et jour - ou peut s'en faut - à le pré­parer. Le moment approche où ils m'enfermeront dedans pour ce premier vol avec trois fusées qui est notre souci à tous. Il y a des hommes qu'il faut pous­ser à la tâche. Ceux-là, il faut les retenir. Il faut surveiller leurs heures de travail et les contraindre au repos. Mais ils trichent, les bougres ! Ils n'ont pas sommeil, disent-ils. Quand on leur enlève les outils des mains, ils restent là, à fouiner autour de l'avion.

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Les mécaniciens au travail (INA)

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D'autres mécaniciens autour du "Trident (INA)

Du dévouement ? Beaucoup plus que cela. De la conscience ? Beaucoup plus encore : de l'amour. Un amour-passion pour "leur" avion. Quel travail, pourtant. Certains d'entre eux vivent dans une atmosphère de vapeurs d'acide : l'acide des fusées. L'avion est en plein air, sur une fosse bien arrosée, mais c'est égal.

Parce que j'ai fait la guerre, je sais que les hommes sont souvent à l'image de leur chef. Les hommes du Trident ont pour chef l'ingénieur Girard. Et ceci, sans doute, explique cela. Ils ont pour leur patron de la vénération. Il donne l'exemple.

La quantité de travail que Girard fournit chaque jour, c'est pour moi une énigme. D'autre part, son expérience est considérable. Autre énigme. Comment a-t-il pu accumuler et retenir tant de choses, ce gar­çon qui a tout au plus 45 ans ? Par sa puissance phy­sique, peut-être : il est de taille réduite, il a des épaules de déménageur et il est fort comme un Turc.

Girard a désigné pour s'occuper du Trident deux ingénieurs dont on pourrait se demander s'ils n'ont pas été mis au monde à cette fin : Pierre Garang et Léonide Minor.

Garang, pour tous, c'est Pierrot. C'est le "môme". Il a 35 ans, mais semble sortir à peine de l'adoles­cence. Il a une jolie petite figure joufflue perchée à 1,85 m au-dessus du sol. Son comportement est d'ailleurs celui d'un jeune homme au début du siè­cle : il est timide et semble chercher éternellement à se faire pardonner on ne sait quoi.

Léonide Minor, qui a été formé aux essais en vol aux États-Unis, est d'origine russe. Pas besoin de le dire. Son accent slave vous laisse sous le charme. Il est brun, a le teint mat, et il est réservé comme une demoiselle de la gentry présentée pour la première fois à la Cour d'Angleterre. Son extrême intelligence éclate dans ses yeux.

Avec de tels parrains, le Trident serait vrai­ment impardonnable s'il ne dépassait pas toutes les prévisions.

Il est là, devant mes yeux, ce Trident, sur l'aire cimentée de l'aérodrome de Melun-Villaroche. Je pense, en le regardant, aux bandes dessinées, images hardies préfigurant les voyages interplanétaires à bord de fusées. Il règne une activité fébrile. Une multitude de tuyaux se tordent sur le sol dans toutes les directions. Ce ne sont pas les pipe-lines du "secret". Ils ne transportent pas de liquide mer­veilleux. Ni de Beaujolais pour s'attirer les bonnes grâces des habitants de la lune. Ce sont tout simplement des tuyaux d'eau. En un clin d'œil, un arrosage serait effectué, s'il en était besoin, pour combattre les émanations d'acide nitri­que, nocives pour les hommes.

Nous sommes en conversation : Minor les mains dans les poches, Pierrot les bras croisés sur la poi­trine, et moi l'index de la main droite en point d'in­terrogation, essayant de deviner l'angle de montée idéal pour le Trident, lorsqu'un courrier arrive, essoufflé. Je pense à Napoléon, debout sur ses étriers, assistant d'une colline voisine à la bataille et distri­buant ses ordres par l'intermédiaire de cavaliers. Mais notre courrier n'a point crevé de cheval sous lui. Il est simplement venu très vite pour dire à la cantonade que Mouillé allait, d'un instant à l'autre, commencer son point fixe. Si cela nous intéressait... Tu parles !

En quelques rapides enjambées nous voilà revenus à l'endroit où la Société d'Etudes pour la Propulsion à Réaction a installé des bancs d'essais et des fosses spéciales pour l'évacuation des acides. Tous les hommes sont muets : ceux des fusées et ceux de la SNCASO. Ils disparaissent après un ultime regard au Trident, pour aller revêtir une tenue spéciale. Les ingénieurs et les expérimentateurs se protègent derrière un mur très épais, en ciment armé, percé de meurtrières garnies de verre blindé. Aux matériaux près, on se croirait au moment de l'attaque d'un château fort. Il ne faut rien moins que cela, d'ailleurs, pour que Mouillé puisse poursuivre, tout le temps nécessaire, l'essai des fusées. Si le point fixe est satisfaisant, peut-être pourrai-je voler ce soir.

Voler avec les trois fusées...

Ces essais de fusées, c'est quelque chose d'hallu­cinant. Je voudrais vous les raconter. Mais pas aujourd'hui, pas maintenant. Nous sommes pressés de voler. Elle piaffe, elle rue, la cavalerie du ciel. Il n'y a plus que l'essai qui compte.

Girard nous a rejoints. Autour de nous, tout ce qui pourrait entraver une action rapide de la sécurité est enlevé. Méline, dit "Pompon" - c'est le pompier de service - a revêtu son "costume de feu". Gilles, le technicien du moteur-fusée pour la SNCASO, s'est placé à une vingtaine de mètres, dans l'axe de l'avion, chro­nomètre en main.

Mouillé s'installe au poste de pilotage, et le mécanicien de la maison Dassault, qui construit sous licence les réacteurs Viper équipant le Trident, l'aide à mettre en route les deux réacteurs. Ils sont à peine allumés, que leur poussée tire les câbles qui retiennent l'avion. Il faut qu'ils soient, ces câbles, tendus à l'extrême et raides comme des barres d'acier pour résister au coup de bélier qui va se produire dans un instant quand Mouillé allumera, l'une après l'autre, les trois fusées.

L'instant est presque solennel. Pierrot (Garang) a revêtu, comme Pompon, son costume de feu : une tenue caoutchoutée qui le protégera en cas de besoin. Pas question pour lui de se mettre à l'abri avant d'être sûr de pouvoir, si un accident survenait, être le premier sur place pour essayer de "sauver les meubles ». Les ingénieurs de la SEPR autour de lui, et en liaison radio avec Mouillé, il fait signe que tout est paré.

Bientôt, le moteur-fusée, le premier moteur-fusée, va être lancé. Gilles, l'ingénieur expérimentateur, que l'on connaît d'ailleurs surtout sous le nom d' "homme-fusée", fait lentement tourner sa main au bout de son bras dressé.

Puis il abaisse le bras. C'est le signal convenu. Au poste de pilotage, le petit Mouillé a poussé le contact sur la chambre 1.

Durant quelques secondes, le générateur crache son infâme et épaisse fumée ocre. Puis on perçoit un sifflement. Il s'enfle, gronde, enfin se déchaîne dans un bruit de tonnerre. La pre­mière fusée est allumée. Derrière l'avion, comme dessiné au pinceau, un long dard de feu jaune clair s'allonge, s'étire dans un bruit d'enfer. C'est la bête de l'Apocalypse du livre de Saint-Jean. Plaqués prudemment le long du mur d'un hangar, c'est le sentiment que nous avons, Minor et moi.

Pour Gilles, l'heure est à l'action. Une deuxième fois, il lève le bras. Top ! Il l'abaisse. Un nouveau rugissement sous la voûte de ciment. Un autre dard de feu s'est accolé au premier.

Pour nous, qui l'avons vu bien des fois déjà, le spectacle reste extraordinaire, hallucinant.

Quelques secondes passent.

Gilles, le "maître du feu", lève une troisième fois le bras. Et il l'abaisse une troisième fois. La troi­sième fusée est allumée.

Soudés au sortir de la tuyère en un seul et inquiétant cylindre de feu, les trois dards ne veulent pas se fondre à jamais. La longue flamme se termine par trois queues, trois traits de pinceau. Les trois fusées originelles sont là, comme fières chacune de sa propre puissance.

L'avion, immobile, a dû cependant avancer de quelques centimètres, tendant à l'extrême les câbles qui le retiennent. Il tire sur eux de toute la force de quelque 50.000 CV.

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Point fixe fusées (INA)

On pense à une avalanche subitement retenue dans sa course par la main du Créateur. Pas une secousse. Pas un soubresaut. La bête donne toute sa puissance. C'est une puissance que les hommes ont calculée.

Je sens le regard de Minor posé sur moi. Je tourne la tête. Nos yeux rivés ont un langage muet. Nous le "tenons", l'allumage de la troisième fusée. Nous le "tenons", notre vol.

Et voici que Gilles, de nouveau, agite un bras. Il le balance comme, sur le quai d'une gare, l'employé de service, la nuit, balance sa lanterne. C'est le signe convenu. Dans l'habitacle de l'avion, Mouillé, aussitôt, coupe l'allumage de la troisième fusée.

De nouveau, le bras de Gilles se balance. La deuxième fusée est éteinte.

Encore Gilles. Encore Mouillé. Les trois fusées sont "soufflées". Comme des bou­gies.

Nos oreilles, blessées, ne perçoivent plus quun gazouillis d'oiseau : le bruit des réacteurs. Gazouillis par rapport au bruit des fusées, bien entendu. Gazouillis qui s'atténue, qui disparaît. Mouillé a réduit les réacteurs. Puis il les a éteints.

L'essai est terminé. Dans les yeux de chacun brille une certitude de victoire. Vraiment, tout a bien mar­ché. Allons-nous voler ce soir ? Il faut auparavant retirer les appareils enregistreurs, développer les films, contrôler, vérifier. Nous nous méfions de nos sens. [...]

Au retour, un petit crochet, pour bavarder 5 min avec les gars de la Météo. Des types vraiment au poil, sympathiques en diable et si sérieux. Il paraît que tout s'annonce bien, que le vent tombera dans la soirée, que la température baissera légèrement et que la visibilité sera bonne.

Le sourire aux lèvres, je vais avertir Mouillé. Un bien curieux petit bonhomme, et une étonnante personnalité que celle de Mouillé. Haut comme trois pommes, il a le nez retroussé de la midinette classique et les yeux les plus fureteurs qui soient. Des yeux très bleu-acier, et si intelligents. 

Mon ami Mouillé, c'est le "patron" de l'avion. Depuis des années, nous travaillons ensemble. S'il devait m'être enlevé un jour, il est probable que j'éprouverais la plus désagréable des sensations. Peut-être quelque chose comme la perte d'un membre. Le Trident sans Mouillé, c'est quelque chose qu'on ne peut pas envisager de sitôt.

Bien vite, je lui annonce que le ciel va nous faire fête, que c'est enfin le grand jour. Il paraît que ça tombe bien. Deux ou trois "bricoles" qui s'entêtaient depuis hier à ne pas tourner rond, viennent enfin de livrer leur mauvais secret.

Mouillé me regarde, sourit et de nouveau plonge, la tête la première, dans l'avion. C'est sa façon à lui de dire que tout va bien. Je sais que, sans prononcer les mots, ses lèvres ont dit : 

- « On tient le bon bout, ça va gazer. »

De lui à moi, pas la moindre question. Nous nous comprenons si bien ! 

Tout à l'heure, dans la soirée, l'avion sera remorqué en bout de piste. Nous ne sommes qu'au début de l'après-midi. Je vais essayer de me reposer un peu, de m'allonger dans mon bureau. Mais sur ma table de travail, tant de papiers sont posés. Les papiers tiennent beaucoup de place dans la vie d'un pilote d'essais. Ils ne sont pas inutiles, d'ailleurs. Le tout est de savoir s'en servir.

À la suite du vol, de ce vol tant attendu avec les trois fusées allumées, je sens que, l'exaltation tombée, j'éprouverai l'impérieux besoin de rentrer chez moi, d'embrasser ma femme, mes gosses - peut-être ne gronderai-je pas si elles se montrent trop turbulentes - de me reposer, de me détendre. 

C'est fini. J'ai fait le vide sur mon bureau. Pas tout à fait, cependant. L'ordre d'essai est toujours là, dans un coin de mon grand buvard rouge. C'est une habitude : je ne le classe jamais, même le connaissant par cœur - au point, je crois, de pouvoir le réciter en commençant par la fin - avant que l'essai soit terminé.

Je fais un pas vers le divan. Puis deux pas en arrière. Non, décidément, cet ordre d'essai, je ne peux pas ne pas le relire. Si quelque chose avait été oublié ? Non, rien n'a été oublié. À quoi bon s'étendre maintenant ? J'ai devant moi, tout de même, un large quart d'heure. Il peut être employé utilement à une détente physique.

C'est fou ce que les bruits peuvent se multiplier au moment précis où l'on désirerait qu'ils cessassent tout à fait! En voici un, que je devine plus que je ne l'entends : c'est la porte de mon bureau, doucement soulevée. On ouvre avec précaution. Peut-être est-ce Mouillé qui vient me réveiller, comme on réveille avant l'aube le condamné à mort. Je lève un coin du voile noir qui couvre mes yeux. Eh oui, c'est Mouillé, son bout de nez retroussé est visible, et je devine son œil malin.

- « Entre, vieux. »  Il se faufile.
- « Tout est paré. J'ai prévenu Garang. Votre pourvoi en grâce est rejeté.
     On amène la "guillotine" en bout de piste. Ça va ? »
- « Ça va. »

J'entends le petit diable galoper dans les couloirs. Je suis sûr qu'en trois sauts, il aura atteint le hangar. Il se rompra le cou un jour, cet animal. Il est vrai qu'il est pressé. Il est toujours pressé. Mais aussi toutes les excuses sont bonnes. Et celles d'aujourd'hui plus que les autres : on va voler, pour la première fois, avec les trois fusées. 

De son côté, Garang téléphone à la tour de contrôle, annonçant un décollage prévu pour 18 h 30 et demandant au médecin de service de ne pas quitter la base. Personne ne partira, d'ailleurs, car chacun veut voir le Trident en vol avec ses trois fusées. Les pompiers se préparent. Ils échelonnent les citernes à eau tout au long de la piste et surtout en bout de piste, à l'endroit où commencera le décollage. 

Mouillé surveille l'accrochage du Trident au tracteur. Rien ne lui échappe. Le tracteur roule maintenant, emmenant vers la ligne de départ l'avion lourdement chargé. Il est à son poids maximum. Cela aussi est nouveau. Quelle "gueule" ont les amortisseurs ? Ils tiennent le coup. Tout va bien. 

Immédiatement derrière l'avion, suit une citerne à eau. Encore une. Toujours cette crainte d'une fuite d'acide. C'est cela, l'aviation d'essais : de la crainte, toujours de la crainte. La prudence vous est entrée dans la peau.  Derrière la citerne, la voiture des pompiers. Ils sont là, attentifs. C'est à la seconde près qu'il leur faudrait agir si un coup dur imprévisible - mais toujours prévu - se produisait. La "procession" lentement s'en va, par derrière la tour de contrôle, vers l'extrémité de la piste. 

Dans le magasin, Mouillé et Smith vérifient une dernière fois mon équipement de vol, le parachute, la bouteille d'oxygène de secours, mille et mille détails. Tout cet équipement de vol, Mouillé, tout à l'heure, l'emportera lui-même dans sa voiture. Au dernier moment, il le placera dans l'avion.

En attendant l'heure fixée pour le dernier "contact" avec Servanty et Girard, je commence à passer mon "armure de chaleur". Certes, je n'ai pas, si tout fonctionne normalement, à craindre le froid à bord, malgré la très haute altitude prévue. Mais il y a des précautions à prendre, pour le cas où la cabine viendrait à se refroidir. Pour le cas - il faut tout envisager - où il me faudrait quitter l'avion et flotter dans le ciel, pendu à mon parachute.

Tout est paré, vraiment, comme l'assure Mouillé. Aucune idée noire, par conséquent. Ce n'est d'ailleurs pas le moment. Le 6 juillet 1955 doit être un grand jour. Et ce sera un grand jour.

À moi la chemise de laine, les caleçons longs, de laine également, et les sous-vêtements de soie. À moi la combinaison anti-g, ajustée avec soin et gonflée en fonction des accélérations positives que l'avion subira, et que je subirai par la même occasion. Ma combinaison, je la passe lentement. Je bloquerai tout à l'heure les fermetures éclair avec beaucoup d'attention.

Tout homme a ses manies. J'ai les miennes. Et parmi elles, un aide-mémoire attaché à ma cuisse droite. C'est un condensé du vol que j'ai à effectuer. Il est écrit de ma main. Un crayon est fixé sur ce carton. En fait, ce n'est pas une manie, mais une saine précaution, dans le cas d'une panne de radio. Et aussi une défense contre les indiscrétions. Il n'est pas besoin d'être grand technicien pour capter les ondes à bord d'une voiture se trouvant à proximité du terrain. Et il n'en manque pas. Or, il est des choses, assez secrètes ou très secrètes, qu'un pilote ne doit confier qu'à son ingénieur.

Ce petit carton, dans le cas où des instructions envoyées du sol me parviendraient mal, me serait très précieux. Précieux aussi pour anticiper sur la consigne à recevoir et qui, parfois, doit être exécutée à la seconde même.

Le temps passe. Mon Trident me manque. Je sors du bureau pour essayer de l'apercevoir. C'est grâce à la foule qui l'entoure que je le découvre là-bas, au loin, dépassant tout juste la hauteur de l'herbe. Mais pourquoi tout ce monde ? C'est à chaque fois la même chose. Les curieux arrivent d'un peu partout. Ce sont des nôtres, il est vrai. Des gars de l'aviation qui travaillent sur le terrain. Qu'importé, il faudra remédier à cela. 

Je reconnais à leurs gestes les amis mécanos qui préparent la pression dans les réservoirs d'acide, de furaline et d'eau. C'est cette pression, minutieusement calculée, qui enverra ces liquides dans les pompes. Et ce sont les pompes qui alimenteront l'avion. Comme c'est simple tout cela. Simple à écrire, plus exactement...

Ma pensée fait entièrement corps avec l'avion. C'est comme si j'étais dedans. Presque comme si j'étais déjà en l'air. Je vais voler avec fusées. Je sais ce que c'est, dira-t-on. Mais c'est encore si nouveau. Et si délicat.

Et puis, je vais allumer la troisième chambre. Et ça, c'est nouveau. Furieusement nouveau. D'ailleurs, cela me turlupine un peu. Je relis encore l'ordre d'essai. Il est d'une extrême simplicité : décollage sur une fusée, extinction dans les conditions habituelles, montée avec la seule aide des deux réacteurs jusqu'à une altitude (secrète) permettant de conserver une quantité suffisante de pétrole pour un retour plus long que prévu, rallumage de la première fusée, montée, allumage de la deuxième chambre (fusée) à un "Top" déterminé, et enfin, lorsque l'avion sera sur la trajectoire fixée, allumage de la troisième chambre.

Pour moi, le pilote chargé de cet essai, cela se résume, sur mon carton, à quelques signes dans la première colonne sur la gauche, celle réservée au minutage. Un minutage en secondes pour ce qui est de l'allumage des trois fusées et des tranches d'altitude que les ingénieurs d'aujourd'hui découpent comme des rondelles de saucisson. J'y ajoute un petit aide-mémoire concernant les manœuvres essentielles de préparation, qui d'ailleurs me seront données par radio. Deux précautions valent mieux qu'une. Je resterai éternellement fidèle à ce principe.

Plus d'amateurs maintenant autour du Trident. Seulement le cortège des habitués. Ouf. Pour tous, c'est l'ultime préparation. Pierrot Garang arrive avec la voiture radio.

- « Tout est définitivement en place, dit-il, nous allons demander à la tour de contrôle l'autorisation d'aligner
     l'avion sur la piste. »
- « Melun, voiture SNCASO autorisation d'aligner l'avion sur la piste. QGO 10 min. »
- « SNCASO Melun bien compris. Alignez l'avion. »

À partir de maintenant et pendant tout le temps nécessaire au décollage et au commencement de la montée, la piste nous est strictement réservée. C'est ce qu'on appelle le QGO technique.

Et voici Girard, plus trapu que jamais. Il semble porter sur ses robustes épaules les pesantes responsabilités de ce premier vol à trois fusées. Son poil paraît encore plus noir que de coutume, et il est muet. Il est d'ailleurs toujours muet à la dernière minute. Muet mais pas aveugle. Ses yeux sont partout. Ils déshabillent l'avion. Pas un détail, soyez-en sûr, ne lui échappera.

Le Trident est centré. Impeccablement. Je pense - pourquoi ? - à la Justice et aux balances que les hommes lui ont donné comme emblème. Elle n'est certainement pas, la Justice, aussi parfaitement équilibrée que le chef-d'œuvre de Servanty à bord duquel je vais monter à l'assaut du ciel. Un petit ciel de 52.000 pieds, pas plus, préciserait Minor s'il pénétrait ma pensée.

Le "petit cheval" - dispositif permettant de donner la pression nécessaire dans les réservoirs - est débranché. Débranchés aussi, les tuyaux d'arrosage. Vidées, les gamelles d'eau. Et les hommes poussent l'avion, à bras, jusqu'à l'entrée de la piste, toute proche.

Je m'éloigne. Tournant le dos à l'avion, je vais, à lentes enjambées, parcourir quelques centaines de mètres en respirant à pleins poumons. Une saoulée d'air pur, d'oxygène "libre". C'est un besoin. Il n'est pas le même pour tous les pilotes. Certains font un stage d'une dizaine de minutes dans leur avion, respirant l'oxygène pur de leur bouteille. Question de goût peut-être...

Pour ma part, je n'ai pas encore éprouvé le besoin d'oxygène pur. Mes montées, jusqu'à présent je les ai réussies sans jamais la moindre difficulté, sans la moindre fatigue. Pas de raison, par conséquent, de changer de "comburant".

Mes yeux vont, tour à tour, de la bande de ciment qui va servir de tremplin dans un instant, à la baraque du gonio près de laquelle sont arrêtées une douzaine de voitures. Rien à dire : elles sont sur la route qui va de Melun à Lagny. Si dans l'une d'elles se trouve un ingénieur muni d'une paire de lorgnettes et d'un bon poste radio, peut-être se croira-t-il capable de découvrir les secrets du Trident. Illusion. Toutes les précautions sont prises. Pour lui, les chiffres passés en phonie seront sans signification.

Mais voici que l'avion est aligné et que sont installés les systèmes de démarrage. Mouillé me fait signe d'approcher. Et il insiste. Croit-il donc que j'ai oublié le vol aux trois fusées ?

Avant chaque grand départ, je le retrouve, Mouillé, tout différent de celui que je vois au hangar. Notre regard se croise. Le sien est doucement impératif. Je le traduis ainsi : 

- « Allez, vieux, à toi de jouer. Et que ça saute »

Et toujours, de ma part, cela se termine par un éclat de rire. Je pense à l'instant très proche où, collé à l'avion comme une sangsue, il va fermer l'habitacle sur ma tête avec des gestes d'une précision extrême.

Depuis que je vole sur ces monoplaces auxquels il apporte la dernière main, j'ai pris l'habitude d'attendre la réelle détente que me procure la façon dont il me cale sur mon siège, dont il finit de m'habiller et dont il ferme la "boîte". Je crois que certaines habilleuses de théâtre ont cette façon muette et autoritaire de lâcher leur client sur la scène.

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Goujon s'installant dans le cockpit (INA)

La lecture de la check-list se déroule rapidement, l'essai radio est maintenant terminé.

La radiotéléphonie est simplifiée au maximum, et nous volons à Melun dans une grande intimité. C'est au père Coupet, maintenant en retraite, que nous devons cela. Il commandait l'aérodrome de Melun-Villaroche il y a un an encore, après avoir, comme pilote d'essais, fait voler les "cages à poules" de Farman au début du siècle. Que ne se penchent-ils pas plus souvent, mes camarades pilotes d'aujourd'hui, sur les problèmes qu'ont eu à résoudre, en leur temps, nos grands prédécesseurs ! De leur expérience, il y a tant de choses à retirer.

La conversation s'engage avec la tour de contrôle :

- « Melun Trident. »
- « Trident 5 (je vous reçois 5 sur 5, donc tout va bien) »
- « Trident autorisation de mettre en marche. Répondez. »
- « Trident OK »

Puis je me branche sur la voiture radio 

- « Pierrot, Charlie. »
- « Charlie 5, HB, petite vitesse. »
- « OK »

Mouillé lance les moteurs.

- « Pierrot, moteur 1 en route.»
- « OK »

Quelques secondes plus tard, le branchement est établi pour le démarrage du deuxième moteur.

- « Pierrot, moteur 2 en route. »
- « OK »

Félix, en hâte, fait dégager les chariots qui constituent les groupes de démarrage. La piste est libre devant moi. C'est l'instant où Mouillé ferme définitivement la "cage". 

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Mouillé ajustant la verrière (INA)

Ouf, ça y est. Il a poussé le couvercle de son geste habituel et j'ai enclenché le verrouillage. Mais il est toujours là, son nez curieusement retroussé contre le plexiglas, et il regarde. Au sol, le Trident, c'est SON avion. Il ne peut se décider à l'abandonner de gaîté de cœur, fût-ce à moi, son ami. Il regarde encore. Sans doute maintenant est-il résigné. Il descend de sa petite échelle, la retire, va se placer à quelques pas sur ma gauche, un peu en avant, et lève le pouce en l'air.

- « OK »

L'avion a été soigneusement aligné, freins bloqués. Je n'ai pas le moindre déplacement à lui imposer.

Maintenant, la tour de contrôle sait que je suis sur le point de partir. Je ne vais plus m'adresser à elle, mais seulement à Pierrot Garang, à bord de la voiture radio.

Pierrot a sous les yeux un résumé de toutes les actions vitales, de tout ce que nous devons faire, le Trident et moi. On sait que je les connais par cœur, qu'elles sont notées sur ma liste de bord, et qu'elles sont aussi fixées sur le carton collé à mon genou. Pierrot aussi les connaît par cœur. Mais, comme moi, il est la prudence même.

Là-bas, devant mes yeux, le soleil, qui commence à descendre, me gêne un peu. Je regarde une dernière fois, rangés dans l'herbe, au long de la piste, les panneaux hauts de 2 m et parfaitement visibles qui, de 500 m en 500 m, étalonneront mon décollage et faciliteront ma décision, s'il me fallait en prendre une. Ceci dans le cas où un pépin se produirait pendant ma course folle sur la piste avant l'envol.

Ce sont maintenant les litanies de la check list. Je réponds point par point, après avoir exécuté l'action commandée. Ainsi sont vérifiés tour à tour les instruments de navigation, le réchauffage des antennes anémométriques, le circuit hydraulique auquel nous attachons une très grande importance, etc... La minuterie du moteur-fusée est remontée, tous les contacts devant permettre le fonctionnement des trois fusées sont enclenchés, et bientôt il ne me reste plus qu'à contrôler la puissance des moteurs à réaction.

Nous y arrivons :

- « Contrôle moteur plein gaz 13.400. »
- « 13.400 »
- « T4 (température des tuyères) 560.»
- « 560.»
- « Au compteur 1.100 litres. »
- « OK »
- « Réduction à 13.000 tours. »
- « 13.000 tours OK »
- « HB en grande vitesse. »
- « Grande vitesse, contact sur la chambre 1. »

A ce moment, je guette une petite lampe. Elle clignote. Je lâche les freins et pousse progressivement les commandes de gaz des réacteurs. En attendant la puissance de ma première fusée, je m'applique à faire un début de ligne droite impeccable.

- « Ça y est : allumée ! »

De sa voiture radio, Pierrot Garang surveille la flamme produite par la fusée qui pointe derrière l'avion. Mais il surveille aussi son chronomètre et les panneaux-repères, au passage desquels ma vitesse est chronométrée. Flamme de la fusée, repère au sol et chronométrage sont les trois éléments sur lesquels il se basera pour décider - il me transmettra l'ordre par radio - de la continuation de ma course (si tout va bien) ou du renoncement au décollage (si la vitesse au sol est insuffisante).

À bord, pour moi, tout va bien. Très bien. La poussée semble correctement établie et l'accélération est celle que j'attendais : irrésistible. Je sens que ça va gazer. J'en suis sûr. Absolument sûr !

Le premier panneau est dépassé à la vitesse fixée. Je vais la porter maintenant à xxx nœuds [NDLR : xxx = éléments alors secret-défense]. Comme toujours, je m'efforce de bien effacer mon avion. Entendez par là que je le tiens rigoureusement en contact avec le sol, afin de l'empêcher d'augmenter son angle d'attaque. Me voici à 120 nœuds, 125, 130 (240 km/h). C'est parfait. Tout doucement, je relâche la légère poussée que j'effectue sur le manche : 135, 140.... Le badin monte avec une rapidité vertigineuse.

Dans sa voiture radio, Pierrot doit commencer à se décontracter.

Maintenant, très doucement, je tire sur le manche. L'avion n'en demandait pas tant. Nous voici en l'air, lui et moi. Pas d'euphorie, surtout. Il n'y a vraiment pas de quoi. Le Trident devait décoller. Il a décollé. N'en parlons plus. Mais procédons bien vite aux manœuvres indispensables. D'abord, la rentrée du train d'atterrissage, puis celle de la première tranche des volets. Très importants, les volets. S'ils ne rentraient pas ou s'ils rentraient mal, de graves conséquences pourraient en résulter.

Mon badin donne une vitesse de 200 nœuds (370 km/h).

Dans mes écouteurs, la voix de Pierrot résonne. Il égrène les 5 sec à la fin desquelles je devrai couper ma fusée. Je compte avec lui : cinq, quatre, trois, deux, un. Un coup d'œil sur mon badin : 240 nœuds (440 km/h), puis 250 nœuds (465 km/h). Tout est pour le mieux. Je coupe mon moteur-fusée et je préviens Pierrot : 

- « Coupé. »

À ces faibles vitesses, la décélération n'est pas brutale. D'autant moins brutale que l'avion, très lourd, court sur son inertie. Je rends encore un peu la main, pour aller prendre la bonne vitesse de montée. Au-dessus du village de Réau, presque à la verticale du clocher, je commence ma montée. 

- « O.K. Charlie. »
- « O.K. Tout bien rentré. »
- « xxx nœuds pour ta première partie de montée. » 
- « OK »

Vue du sol, la fusée a été coupée avant que soit franchie l'extrémité de la piste. J'étais donc à une vitesse de 500 à 600 km/h après moins de 3 km.

À ce moment, j'ai disparu aux yeux de mes amis. C'est que la coupure de la fusée se caractérise par un nuage noir dû à un excès de combustion d'alcool, et aussi par un nuage blanc provenant de l'évaporation de l'acide. Volant au-dessus de ces nuages que j'ai créés d'un geste, je me transforme pendant un instant en homme invisible. Comme la seiche qui s'entoure d'encre quand un danger approche. Girard, Pierrot, Mouillé ne se sont pas inquiétés, bien sûr. Ils savent de quoi il retourne. Mais je pense aux spectateurs automobilistes arrêtés au bord de la route. Le temps que le nuage se dissipe, il n'était plus question de voir le Trident à l'œil nu. Qu'ont-ils dû penser ? Sans doute que l'avion avait explosé en vol. N'avaient-ils pas vu, de leurs yeux vu, la flamme qui sans doute causa l'explosion, et le nuage de fumée qui s'ensuivit ? J'imagine qu'ils ont dû discuter de grands coups ce soir-là au café du coin.

Mon Trident grimpe. Il grimpe bien. Mais comme je n'ai pas, dans ce domaine, de performance à réaliser, je ne lui demande pas le maximum. Il s'en faut. Je m'applique tout simplement, mais très consciencieusement, à suivre le meilleur angle de montée. J'effectue quelques virages, sans trop d'inclinaison, mais suffisants pour jeter un coup d'œil sur cette terre que j'ai quittée il y a si peu de temps et dont je sais qu'elle va, dans un instant, disparaître à mes yeux. Et je la vois, cette terre, encore toute proche, parce que le ciel, pour faire fête au Trident sans doute, a balayé ses nuages.

Là-bas, la vallée de la Juine. Voici Étampes. Un peu au sud, ma maison. Je la laisse à ma gauche. À portée de la main, semble-t-il. [...]

L'avion grimpe toujours. Les 10.000 pieds (3.047 m) sont atteints. Et aussitôt dépassés. La cabine est maintenant sous pression. Je règle la température pour éviter la buée sur les glaces. Tous les automobilistes savent faire cela.

Mon Trident monte toujours. Et à belle allure. Je suis heureux comme un poisson dans l'eau. Il me faut maintenant rallumer ma première fusée et, si possible, par le travers du terrain de Brétigny en direction de l'est. J'évolue de façon à atteindre ce but. Aux différentes tranches d'altitude, j'ai passé par radio les indications concernant la courbe de mon vol. Les dernières restent à passer et il me faudra ensuite prendre toutes les dispositions classiques avant l'allumage de la première fusée qui ne précédera que de peu d'ailleurs l'allumage des deux autres.

J'appelle Garang. Entendre une voix amie, cela me réjouit.

- « Pierrot, 26000 pieds (7.922 m). Au compteur 340 litres. »
- « OK Charlie, préparatifs. »
- « Pression cabine ? »
- « OK »
- « Oxygène ? »
- « 130 kg. »
- « OK »

Ainsi la pression de la cabine est parfaitement réglée. C'est une chose à laquelle nous attachons une importance extrême. Et pour cause. Avec les fusées allumées la vitesse ascensionnelle va être considérable et la moindre fêlure dans le système de pressurisation pourrait avoir des conséquences tragiques malgré l'inhalateur à pression d'oxygène (100 %) que j'utilise en permanence. Cet inhalateur fonctionne d'ailleurs automatiquement et donne de l'oxygène pur à partir de 18.000 pieds (5.484 m). Mais, comme beaucoup de pilotes, je préfère le placer à priori sur 100 %.

Mes moteurs sont réglés à 13.000 tours. À ce régime réduit, je sais qu'ils ne s'emballeront pas au moment de la brutale accélération et de la vitesse ascensionnelle causées par l'allumage de la fusée 

Cette vitesse-badin de l'avion est maintenant assez faible. Je règle ma commande de profondeur. Elle doit correspondre à la vitesse fixée pour une fusée allumée. Je serre - très fort - les bretelles de mon harnais de façon à faire corps avec mon siège dans le cas où une fusée viendrait à s'éteindre en pleine vitesse.

Puis c'est la vérification du circuit hydraulique, le regonflage des accus, le renclenchement de la minuterie des fusées.

De nouveau, Garang appelle :

- « Interrupteur des chambres 1, 2 et 3 sur marche. »
- « OK »
- « HB en grande vitesse. »
- « Grande vitesse. »
- « Contact sur chambre 1. »
- « Contact. »
- « Fusée allumée. »
- « OK »

Ça y est. Me voilà lancé sur la première partie de la trajectoire que je connais bien. La belle machine pointe son nez vers le ciel suivant un angle de 20°environ. La vitesse croît avec une rapidité folle : 0,80 de mach, 0,82, 0,85, 0,90.

- « Attention chambre 2. »
- « 5, 4, 3, 2, 1. Top. »
- « 2ème fusée allumée. »
- « OK »

Je cabre un peu plus pour ne pas dépasser la vitesse fixée. J'ai maintenant beaucoup plus de 20° d'assiette. La poussée est parfaitement établie : 32.000, 33.000, 35.000, … Voilà le moment fatidique :

- « Attention pour chambre 3. »
- « 5, 4, 3, 2, 1. Top. »
- « 3ème fusée allumée. »
- « OK »

Pour moi, troisième secousse. Et quelle secousse ! Plus brutale que les précédentes car je suis maintenant à haute altitude, l'air est moins dense et, par conséquent, plus violente l'accélération.

J'ai passé le mur du son, sans m'en apercevoir. Qui eût pensé cela il y a quelques années seulement ? Je surveille le petit altimètre placé juste devant moi sous l'étrave du pare-brise. L'aiguille tourne à une vitesse jamais encore observée. Et pour cause !

42.000 pieds (12.800 m). Qu'il grimpe vite ce Trident. Trop vite même. Beaucoup trop vite. Dieu sait où il m'emmènerait si je lui laissais la bride sur le cou. Pas de ça, j'ai une consigne. Et elle est formelle : ne pas me laisser entraîner au-dessus de 52.000 pieds (15.600 m).

Je rends la main. La vitesse augmente. Elle augmente encore. Elle augmente toujours. Je voudrais pouvoir crier à Pierrot le chiffre que je lis sur mon machmètre. Quel succès ! Quel triomphe ! Mais confier aux ondes quelque chose d'aussi secret, n'est-ce pas le crier sur les toits ? 

C'est Servanty qui va être content, tout à l'heure quand, de bouche à oreille, je lui dirai à lui, l' "inventeur", et à Girard, et à Garang, et à Minor, et à de Bladis, et à Guignard, et à Mouillé aussi bien sûr, ce que j'ai lu.

De bouche à oreille parce que, bien que ce vol ait été tenu secret, je ne serai pas surpris le moins du monde si, en quittant le terrain ce soir, j'apercevais de l'autre côté des grilles la voiture de Bob Marchand. Bob Marchand, on le connaît ici surtout sous le nom de M. France-Soir. C'est un pilote devenu journaliste et qui a conservé la passion de l'aviation. Nous le redoutons comme la pluie. Mais je lui rends justice : il n'écoute pas aux portes, ne lit pas les circulaires qui peuvent traîner sur un bureau et n'écrit jamais rien de ce qu'il a promis de ne pas écrire.

Le contrôle de l'avion est excellent. Les yeux fixés sur l'aiguille de l'accéléromètre, je m'efforce de le maintenir au chiffre de 0.7 convenu au départ. Mais l'accélération est telle que la peur me prend au ventre. Pourvu que je ne sois pas entraîné au-dessus des 52.000 pieds prévus. Cette crainte de "bouffer le trait" me hante. Si je faisais descendre l'aiguille à 0.5 ? À 0.4 même? Mais j'ai peur en agissant ainsi de troubler le fonctionnement des fusées.

Depuis un moment déjà je ne repose plus sur mon siège. J'ai décollé ! L'impression n'est jamais agréable, cela se conçoit. Je m'efforce de rester souple, d'éviter tout raidissement, toute crispation. Le contrôle de l'avion est si facile que j'y parviens.

50.000 pieds (15.000 m) à l'altimètre. Et je grimpe toujours, à plus de 20° et à une vitesse supérieure à 1,2 de mach. Mes bretelles me scient les épaules. Sans elles, ma tête passerait au travers du plafond. Et moi avec. Je voudrais être assis, enfin. Je voudrais aussi pousser sur le manche, me rapprocher du vol horizontal, ne pas dépasser les 52.000 pieds. Certes, je pousse sur le manche pour ralentir cette ruée vers le ciel. Mais pas assez. Je n'ose pas. Vais-je "bouffer le trait" ? Ce serait trop bête.

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J'essaie de forcer ma nature. Je me donne des ordres, un ordre plutôt, et toujours le même : pousse, Charlie, pousse, mais pousse donc !

Non, je ne pousse pas. Pas davantage, en tout cas. J'ai une mission. Et une mission c'est sacré.

Le ciel me vient en aide. En un clin d'œil, mes trois fusées, vides, s'éteignent. Je suis jeté en avant par la décélération qui agit comme un coup de frein. Si mes bretelles avaient cassé, je serais passé à travers le pare-brise. D'un seul coup, je me retrouve assis sur mon siège. Comme on est bien, assis.

L'avion a cessé sa folle montée. Et soudain...

Soudain, le bruit revient dans l'avion. Je l'avais oublié ce bruit. Oublié depuis que je l'avais laissé derrière moi parce que le Trident volait plus vite que lui. Certes ce n'est pas la première fois que je constate la disparition du bruit, puis son retour.  

Dès que l'avion a dépassé la vitesse du son, tous les bruits, y compris ceux des réacteurs qui caractérisent le vol, disparaissent comme par enchantement pour laisser place à une sorte de silence seulement troublé par un harmonieux frou-frou. C'est le ruissellement de l'air contre les glaces.

Devant mes yeux, l'altimètre marque 53.000 pieds (15.900 m). Je n'ai donc pas si mal travaillé puisque je n'ai dépassé l'altitude fixée que de 300 m.

Je préviens Garang. Mais sans donner de chiffres.

- « O.K. Mais l'alarme d'eau s'est allumée. »
- « Normal. »

Effectivement, il est normal qu'en raison de la décélération brutale et compte tenu du peu d'eau restant dans les réservoirs, l'alarme automatique indiquant une chute de pression d'eau se soit allumée. 

- « Réacteurs ? »
- « 13.200 tours. »

Ce vol qui se termine a permis à l'industrie britannique de faire un pas en avant. Nous utilisons, en effet, des réacteurs anglais Armstrong Siddeley du type Viper construits en France sous licence par Marcel Dassault. Or, jamais ces réacteurs n'avaient volé si vite et si haut.

Et le pétrole ? Que me reste-t-il ? Un coup d'œil au compteur. Je lis : 400. OK j'ai largement ce qu'il faut pour la descente. Et puis maintenant que je me sens bien assis sur mon siège, maintenant que les mauvais génies ont cessé de me pousser au derrière pour me faire sortir de ma maison par le toit, tout est parfait.

Un regard au sol pour voir où j'en suis. Ça va. Ici la Seine. Là-bas les pistes en croix du terrain de Brétigny.

Descendons. Je pique d'abord, assez fort, pour ne pas rester inutilement à haute altitude. Mes moteurs sont au ralenti. Mais à cette altitude la poussée fait que je reste au-dessus de 950 km/h. Et ralenti à 950 km/h ça n'est pas banal

Pierrot m'appelle.

- « Altitude ? »
- « 50.000 pieds. »

J'ai répondu, sans réfléchir plus avant, en citant simplement le chiffre figurant sur mon altimètre. Mais soudain ce chiffre me trouble. Je suis en descente depuis un moment déjà. Je devrais normalement être au-dessous de 49.000 pieds. Pourquoi alors mon altimètre indique-t-il 1.000 pieds de plus ? 

Et voilà que me revient en mémoire un ennui d'altimètre, dont je n'avais eu qu'à me louer d'ailleurs, au cours d'un vol-fusée sur l'Espadon. Trompé par cet altimètre, je continuais à monter alors que je me croyais revenu en vol horizontal. Et j'ai ainsi battu sans le savoir, et le record de la SNCASO et celui de l'Espadon. Je ne m'en suis aperçu qu'à la descente. Alors que je piquais depuis un moment sous un angle très fort - environ 30°- je constatais que l'altimètre était parfaitement insensible. Était-ce la même chose aujourd'hui ?

Inquiet - chagrin plus exactement - j'interroge la voiture radio :

- « Pierrot, Charlie ? »
- « Charlie 5. »
- « C'est rigolo, Pierrot, il y a une histoire d'altimètre. »
- « Peut-être... »

Il arrive que Garant réponde ainsi, évasivement. C'est quand il n'est pas sûr de son fait. Comment d'ailleurs pourrait-il savoir, le pauvre, quel genre de mouche a piqué mon altimètre.

- « Pressurisation ? »
- « Correcte »
- « Oxygène ? »
- « Correct. »

Et puisque tout va bien, pourquoi ne pas jouir du spectacle qui s'offre à mes yeux. Je voudrais partager cette joie avec ceux que j'aime. Ce coucher de soleil à lui seul me paie de l'effort que je viens de fournir. Il efface toutes les craintes qui m'ont assailli. La vue est presque illimitée : Paris d'un côté, Sens de l'autre. Tout à l'heure, j'apercevais la Loire qui brillait. Je flânerai volontiers. Mon Trident aussi qui a bien mérité de souffler.

Je pense à ce que nous venons de réaliser. Notre moteur-fusée a fonctionné sur ses trois chambres et à l'altitude que nous souhaitions. Nous voici en face d'un résultat intéressant qui nous ouvre toutes grandes les portes de l'espoir. Rassuré par la bonne marche des fusées, Servanty va certainement me demander maintenant de le pousser, son Trident, en vol horizontal.

Pourtant, ce n'est pas encore aujourd'hui que je me croirai autorisé à aborder le terrain à grande vitesse pour terminer mon vol par le "tonneau de la victoire", comme nous le faisions pendant la guerre pour annoncer un succès aux dépens d'un avion ennemi.

Mes vols-fusées, je les termine toujours en "pépère". On ne peut prendre de risques avec un prototype comme le Trident.

L'altitude décroît. J'appelle la tour de contrôle. Je reçois sa réponse.

- « Melun Trident autorisation de rejoindre le circuit. Consignes d'atterrissage. Répondez. »
- « Joignez le circuit piste 29 face à l'ouest. Vent au sol calme. Dernière pression barométrique 1.005 millibars. »
      Vous êtes seul dans le circuit. Rappelez dernier virage, train sorti et vérifié. »
- « Trident compris. »

La pression barométrique n'a pas varié depuis mon départ. Mon altimètre est donc toujours bien réglé. Je survole le terrain à 1.000 m environ, un virage cap à l'ouest, un virage maintenant à main gauche vers le sud pour passer vent arrière. Réduction des moteurs à fond. Légère montée pour faire tomber la vitesse. Sortie des volets jusqu'à 10° environ.

- « Pierrot volets 10°. »
- « Compris. »

Je réduis toujours la vitesse en maintenant le vol horizontal. Je sors le train et, en même temps, je remets les gaz. Les moteurs tournent à 10.000 tours. La sortie du train provoque une traînée importante qu'il faut donc compenser par une adjonction de puissance. Le train est sorti puis verrouillé. Les trois lampes vertes sont allumées. C'est la preuve que tout fonctionne pour le mieux. Je vais maintenant pouvoir entamer le dernier virage et prévenir le terrain. Le soleil, très bas sur l'horizon, me gêne. Mais la piste m'est si familière que tout se passera bien. Par prudence, pourtant, je me présente légèrement en oblique. J'évite ainsi le soleil et je me mets dans l'axe de la piste au tout dernier moment par un très léger virage.

J'annonce alors mon dernier grand virage :

- « Melun Trident, train sorti et vérifié. Dernier virage. »
- « Trident compris. »

J'ouvre donc un peu mon virage pour dépasser l'axe par le côté nord. Ainsi le soleil se trouvera légèrement sur ma droite quand je couperai l'axe en me dirigeant vers l'ouest-sud-ouest, ce qui me permettra, par la même occasion, de bien voir la cabane du gonio. Cette maudite cabane, qui est placée rigoureusement dans l'axe de la piste, est pour moi un objet de souci. J'ai toujours peur de la mettre les pattes en l'air avec mon Trident. Et moi avec par-dessus le marché. C'est que la visibilité n'est pas complète lorsque l'avion est à faible vitesse et, par conséquent, un peu cabré.

Allons-y. Je sors les volets. 20° pour commencer, puis 30°. Et j'annonce : 

- « Trident finale. 30°, Terminé. »

Et maintenant un très léger arrondi vers la droite. Me voici bien axé. Toujours un petit peu de moteurs pour entretenir la vitesse. Je suis bien. Je passe la route de Melun à Lagny et commence à réduire lentement les gaz pour amorcer l'arrondi définitif. Je suis bon pour ce qui est de la longueur. Réduction à fond des gaz.

Je vole maintenant en palier à 1 m du sol. Je laisse descendre doucement. Je ne tire plus. J'attends que l'avion se pose tout seul. Le Trident est très bas sur ses roues. Attention, en le posant, de ne pas raboter le ciment de la piste avec l'empennage... Je ne rabote rien. L'avion est posé. Aussitôt la vitesse décroît.

J'approche du croisement de la piste nord-sud. Je suis à mi-parcours du roulement au sol et ma vitesse est de 80 nœuds (148 km/h). Le moment est venu de freiner. Il faut, ce moment, l'attendre avec patience. Je pousse le manche légèrement en avant et j'actionne une première fois les freins pour "briser" la vitesse. Elle tombe à 60 nœuds (111 km/h).

Je relâche les freins et laisse courir encore un peu avant un second coup de frein, définitif celui-là, qui immobilisera l'avion avant d'effectuer le demi-tour sur la piste qui me permettra de rentrer au hangar.

Mon vol est terminé. Ce vol à trois fusées. Ce vol avec toute la "cavalerie" que chacun de nous à la SNCASO appréhendait un peu.

- « Melun autorisation de demi-tour ? »
- « Accordé. »

Je rentre les volets, je coupe tout ce qui est devenu inutile sur les circuits électriques, et ne conserve que la VHF.

Puis d'un coup d'éperons, je fais faire un demi-tour à mon pur-sang. Au loin, j'aperçois les voitures du service de sécurité qui entrent en piste. Deux d'entre elles, celle des pompiers et celle portant la citerne d'eau, viennent dans mon sillage. Comme toujours au retour d'un vol-fusées. Merci, messieurs. Je n'aurai pas besoin de vous. Le liquide doit être épuisé jusqu'à la dernière goutte. Mais les consignes sont les consignes et elles ont leur raison d'être.

Je branche le ventilateur électrique car je crève de chaleur. Je sens de grosses gouttes de sueur descendre le long de mon échine, se former une petite rivière qui trace son cours sur ma poitrine pour buter sur la ceinture, infranchissable, et former comme un lac.

Je quitte maintenant la grande piste, celle des essais, pour remonter la piste sud-nord. Dans un instant, je me trouverai sur le chemin de roulement qui mène au hangar. Les voitures des amis viennent à ma rencontre. Voici la "Frégate" noire de Servanty. Toutes se rangent, pour laisser passer l'avion, puis repartent ensuite dans son sillage.

Pour le pilote à bord, les impressions de vitesse sont faussées en raison du grand écart qui vient de se produire. Il lui semble rouler à l'extrême ralenti. En fait, les voitures qui le suivent sont à 80 km/h quand ce n'est pas plus.

Me voici maintenant sur le chemin de roulement. J'appelle la tour de contrôle.

- « Melun, Trident piste dégagée. Essai terminé. Bonsoir. Merci. »
- « Bonsoir Trident et bravo ! »


Charles GOUJON 

Extrait de « Trident » (Éd : France Empire - 1956)

 

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Charles Goujon dans SON "Trident" (Coll. C. Goujon)

*****

La fin

Le 21 mai 1957, Charles Goujon décolle avec une chambre allumée pour une répétition en vue du Salon de l'Aviation 1957.

Comme prévu il effectue un premier virage en allumant la seconde chambre à 100 m. Il attaque la montée à 70° et part comme une flèche à l'assaut du ciel à plus de 800 km/h. En quelques secondes il est à 6 000 m. Il rétablit par un tonneau et pique pour un passage rapide après extinction des fusées.

Mais le piqué se prolonge anormalement. Pourtant le pilote n'a rien dit à la radio.

Soudain, en plein vol, l'avion se disloque. Des éléments voltigent dans le ciel, l'oiseau amputé s'écrase et explose. Une fois de plus, un vol sortant du domaine classique d'essais, en vue de présentation à basse altitude et dans le cadre d'une manifestation aérienne, s'est terminé en catastrophe.

Charles Goujon, retrouvé attaché sur son siège, n'a pas eu le temps de s'éjecter.

Jacques NOETINGER

Extraits de "Rigueur et Audace" (Éd : Nouvelles Éditions Latines - 1991)

*****

 

Pour en savoir plus sur le Trident

SO.9000 Trident I 

À la demande de l'Armée de l'air, qui s'intéressait à un intercepteur supersonique, la SNCASO étudia en 1951 le concept d'un avion combinant réacteur classique et moteur-fusée, pour lequel deux prototypes furent commandés. Le statoréacteur était également envisagé mais le financement de l'étude de ce type de motorisation allait aux prototypes Leduc

Compte tenu des contraintes liées au domaine de vol demandé, l'avion retenu était un monoplace, la forme de voilure retenue étant une aile droite de faible envergure et à profil extrêmement mince. 

Les réacteurs furent placés en bout d'aile et le moteur fusée intégré dans la cellule. Le premier vol du prototype n°1, sans moteur fusée, eut lieu le 2 mars 1953.

Le second prototype, réalisé six mois plus tard, s'écrasa lors de son premier vol le 1er septembre 1953 sur la base aérienne de Melun-Villaroche. L'appareil avait peiné à décoller en raison de la faible poussée de ses réacteurs et de la température caniculaire qui sévissait ce jour-là. De fait il n'était pas assez haut quand arrivé en fin de piste l'appareil percuta un poteau électrique. La cabine se détacha de l'appareil à 300 km/h et rebondit à plusieurs reprises avant de s'immobiliser, laissant son pilote Jacques Guignard gravement blessé. 

Après remplacement de ses deux réacteurs par des Dassault MD30-ASV5 (750 kgp) le prototype n°1 atteignit en 1954 la vitesse de Mach 1,63.

SO.9050 Trident II

Suite aux performances du SO-9000 Trident I, les services officiels commandèrent deux nouveaux prototypes en 1954 : le SO-9050 Trident II vola pour la première fois le 19 juillet 1955. 

Deux accidents en marquèrent la mise au point.  

- Le 6 janvier 1956, alors que Jacques Guignard effectue son second vol sur le Trident II, il tombe en panne de carburant alors qu'il est en approche finale sur la piste d'Istres. Obligé de se poser dans la Crau, l'appareil est détruit mais le pilote s'en sort sans blessure, la cabine éjectable s'étant détachée.  

Le second accident eut des conséquences plus funestes. Le 20 mai 1957, alors que Charles Goujon répète une dernière fois le programme de démonstration du salon du Bourget, lors d'un piqué en vue d'un passage à grande vitesse l'appareil se désintègre en vol. Le pilote eut le temps de déclencher l'éjection mais fut retrouvé mort avec la colonne vertébrale brisée et le crâne fracturé.

Six appareils Trident II furent commandés en juin 1956. Les trois premiers appareils furent livrés de mai 1957 à janvier 1958. Le prototype O6 prit l'air pour la première fois le 3 janvier 1958. Quelques jours plus tard, le prototype O5 s'octroya le record du monde d'altitude avec 22.800 m. Puis le 19 avril, ce fut le tour du prototype O4 de battre le record du monde de montée à 18.000 m en 3 min 17 sec après le lâché des freins. Le même jour le prototype O5 effectua un tonneau à Mach 1,81. Le 2 mai 1958 un record mondial d'altitude fut atteint par Roger Carpentier sur le O6 avec 24.217 m. 

Malgré les succès obtenus le programme fut interrompu le 6 octobre 1958 pour des raisons budgétaires. Ce dernier jour, pour un baroud d'honneur Jean-Pierre Rozier (1) fit monter l'appareil à une altitude de 28.000 m [92.000 ft] record non homologué.

Compte tenu du coût de l'appareil et de sa spécialisation en intercepteur, la série n'eut pas de suite.

Origine du texte : Wikipedia

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(1) J'ai très bien connu Jean-Pierre Rozier avec qui j'ai fait mon pilotage à Cognac en 1948-1949, sur Tiger-Moth puis sur Sipa 10.  Déjà très bon pilote, il n'eut aucun mal à sortir major de notre stage.

Rozier
Jean-Pierre Rozier

Nous avons continué au CIC de Cazaux où nous avons eu la chance (?) de voler sur des "reliques" telles que Curtiss P-36, Dewoitine 520 et Bell P-39 "Airacobra". Ensuite, nos voies se sont séparées. 

Pendant l'occupation, il avait fait partie de la Résistance dans le maquis de Savoie. Arrêté, puis torturé par la Gestapo, il n'a jamais parlé. 

Jean HOUBEN

Date de dernière mise à jour : 10/04/2020

Commentaires

  • Tarik
    • 1. Tarik Le 25/11/2020
    Quelle épopée ! Je ne pense pas qu'on puisse ressentir quelque chose de semblable avant longtemps ! Une arrivée sur Mars peut être ?

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