Objectif traité

Nous sommes en 1951. Il règne le long de la RC4 notamment entre That-Khe et Cao-Bang, une intense activité aérienne. Les JU-52 desserrent sur ces terrains des tonnes de matériels. Parallèlement à cette activité, l’ELA 53 de Bach-Maï assure jour après jour des missions de reconnaissance depuis le golfe du Tonkin bien après Cao-Bang dans la zone abandonnée aux Viets, en survolant notamment la frontière chinoise afin de repérer d’éventuels rassemblements vietcongs permettant ainsi aux groupes de transport de travailler en toute quiétude sinon en sécurité.

Ce jour-là, le Général Alessandri a pris place sur le siège réservé au navigateur du Siebel qui effectue le premier vol de la journée.

Nc 701
NC-701 "Martinet", ex-Siebel 204

À cette heure matinale la visibilité n’est pas excellente mais nous distinguons nettement des hommes sur le pont qui enjambe la rivière qui fait office de frontière avec le grand voisin du nord. Des hommes habillés de noir, quelques camions, semble-t-il, stationnent à une centaine de mètres côté chinois.

Une série de photos est prise. C’est un pont métallique probablement construit par les Français il y a quelques années, la route devait être utilisée jadis pour le transport des minerais extraits dans les mines du secteur.

Afin d’éviter un éventuel apport de matériel lourd par nos voisins d’en face, le général a donné l’ordre de détruire l’ouvrage par tous les moyens.

C’est ainsi qu’un groupe de JU-52 a pris l’air un beau matin pour exécuter l’ordre. Le leader de la formation a pu, pour l’occasion, sceller la photo de son objectif sur l’ordre de mission ; mission qui a été accomplie avec toute la rigueur nécessaire.

Mais dès le lendemain, vers midi, le pilote du Siebel pouvait aviser les OPS de Bach-Maï que les Viets avaient reconstruit le pont et qu’il était toujours aussi solide. Consternation !

Manquant d’efficacité pour ce type de mission, les JU-52 seront, dès le jour suivant, remplacés par un groupe de chasseurs-bombardiers. Des Hellcat, si ma mémoire est bonne, leurs pilotes ayant attaché, sur leurs cuisses, les photos de l’objectif à atteindre.

Ironiques, les chasseurs racontent, dès leur retour, la façon dont ils ont détruit le pont. Quelle leçon pour les JU bombardiers. Ils ont même mitraillé quelques hommes habillés de noir et portant leurs drôles de casques. Quelques camions qui se trouvaient à proximité ont été également détruits.

Mission accomplie, ils quittent nos bureaux fiers et souriants. Vexant pour nous. Enfin ! …

Mais c’est également le lendemain de ce toujours beau jour que le Siebel de reconnaissance pouvait, à nouveau, aviser les OPS de Bach-Maï que le pont avait encore une fois été reconstruit et qu’il était bien là, toujours aussi solide.

Cette fois la base est en effervescence. Les chasseurs-bombardiers sont en alerte maximum.

Il se prépare certainement des événements d'importance dans le secteur.

C’est ainsi, qu’une fois de plus, le Général Alessandri a pris place dans l’avion de reconnaissance.

Les leaders des formations qui ont détruit le pont sont là également, un à droite, l’autre à gauche. On ne se mélange pas ! Ils font la remontée de la RC4 en partant de Langson avec nous. Verticale That-Khé, nous remontons vers la frontière. Le pont est là au fond de la vallée, intact et semble nous narguer. Nos leaders sont consternés. C’est bien celui-là, admettent-ils, en chœur.

- « Peut-être est-ce un autre pont que nous avons détruit » émet faiblement le chasseur !
- « Il n’y a pas d’autre pont ! » réplique sèchement le général. Il devient songeur.

Il doit y avoir, en bas, une main d’œuvre extraordinaire, à moins que les Chinois ne disposent de ponts de rechange. Invraisemblable !

Notre pilote amorce un virage et effectue un tour, puis un autre au-dessus de l’objectif. Une idée me traverse soudain l’esprit. Je fais signe à Thuel, aux commandes, de monter et de prendre la direction de la Chine. Nous allons jeter, d’en haut, un coup d’œil de l’autre côté de la frontière. C’est à peine une surprise.

À quelques kilomètres de là, peut-être trois, nous pouvons apercevoir un pont métallique ressemblant à s’y méprendre au notre, totalement détruit au fond de la vallée, et plus loin encore un autre pont du même type ou presque gît, lui aussi, au fond du ravin. Deux camions sont là, brûlés.

Donc, chacun a eu le sien ! Et dire qu’on les avait pris pour …

À sa descente d’avion le général n’avait eu qu’une seule parole avant de prendre congé :

- « Merci »


Lucien VAICBOURDT

Extrait du "Recueil de l’ADRAR" Tome 1

Date de dernière mise à jour : 11/04/2020

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